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Chasse

Un livre en hommage aux victimes des chasseurs

Chasse à Clairefontaine-en-Yvelines (Yvelines) en 2021.

Plus de 400 personnes ont été tuées par des chasseurs en vingt ans. Dans un manifeste, le collectif Un jour un chasseur leur rend hommage et demande des réformes urgentes.

Chaque automne, la même rengaine macabre. Pas une semaine ne s’écoule sans un accident de chasse. Depuis un an, quelque chose a changé : ces incidents ne passent plus inaperçus. « La parole se libère peu à peu, constate le naturaliste Pierre Rigaux. Les habitants paraissent de moins en moins enclins à supporter l’accaparement de l’espace par une minorité pratiquant un jeu mortel hors de toute raison. » Le militant écologiste écrit ce constat dans la préface d’un manifeste nouvellement paru, intitulé Chasser tue (aussi) les humains (Leduc, 2022), et rédigé par le collectif Un jour un chasseur.

Après deux ans de manifestations et de pétitions, ce groupe de jeunes habitantes rurales (il s’agit majoritairement de femmes), constitué à la suite de la mort de leur ami Morgan Keane [1], a décidé de prendre la plume « pour remuer le couteau dans la plaie ». « Parce que c’est trop facile de se taire, parce qu’on s’en voudrait de ne pas avoir tout tenté pour changer les choses. »

Les amies de Morgan Keane, ici devant sa maison, tentent de réguler la chasse. © Alain Pitton/Reporterre

Briser l’omerta donc, et « libérer la parole des oubliés de la ruralité ». Car, rappellent les autrices, 21 millions de Français vivent à la campagne, dont une majorité écrasante de non-chasseurs. 46 % des chasseurs vivent dans une ville de plus de 20 000 habitants, dont 10 % à Paris. « La défense de la chasse n’est pas une question de classe sociale ou de tradition, insistent-elles. C’est l’histoire éternelle d’un vieux monde, représenté par une majorité d’hommes blancs et vieux, qui refusent de comprendre que notre société évolue. » Voilà donc pour les hérauts de la « ruralité ».

Le manifeste compile ensuite des témoignages d’habitants, choqués, traumatisés, blessés par des chasseurs. « Un jour, une balle a traversé toute notre maison. À quelques secondes près, je me la prenais en pleine tête. » « Un jour, mon père a été tué par un chasseur » lors d’une partie de chasse, parce qu’il était entré sans le savoir sur sa propriété ; « le tueur a fait un an de prison — il chassait avec le procureur — et exerce toujours comme médecin ». « La balle d’un chasseur s’est retrouvée dans la chambre de notre fille, pendant sa sieste. »

Un hommage aux 428 morts depuis 1999

Les autrices expliquent avoir voulu « rendre hommage aux victimes » — 3 403 accidents de chasse depuis 1999, 428 morts. Mais ne s’arrêtent pas là. Minutieusement, elles explorent « les failles du système cynégétique », comme la faiblesse des examens lors du permis de chasse, ou la connivence entre chasseurs et politiques. Puis elles dessinent des pistes « pour en finir avec les accidents de chasse ».

Parmi les « réformes urgentes » à prendre :

  • arrêter la chasse les mercredis et dimanches — comme c’est le cas en Angleterre, Portugal, Pays-Bas, Italie —, car « étant donné la portée des armes et leur puissance, envisager de partager l’espace public avec des hommes armés n’est pas une option » ;
  • une formation plus stricte et un renforcement des règles de sécurité — âge minimal, difficultés des épreuves, renouvellement du permis chaque année avec certificat médical et test psychologique ;
  • un contrôle et un suivi des armes de chasse et des comportements à risque ;
  • des sanctions pénales à la hauteur des délits commis ;
  • la libération de la parole et la reconnaissance des victimes de la chasse par l’État.

Loin de l’ambition du collectif, le gouvernement n’a pour le moment esquissé que des mesurettes — telle la mise en place d’un délit d’alcoolémie, la création d’une demi-journée non chassée ou la conception d’une appli pour informer les riverains des lieux de chasse.

Espérons que ce petit livre engagé — mêlant enquête, analyse politique et guide pratique (exemple : comment signaler les incidents près de chez soi) — fera bouger les lignes. Car, si la prise de conscience progresse parmi la société, le chemin paraît encore semé d’embûches. « Il ne s’agit pas de mettre les chasseurs au ban de la société, souligne Pierre Rigaux dans sa préface. Il s’agit de faire progresser l’intérêt général. »

Chasser tue (aussi) les humains, du collectif Un jour un chasseur, préface de Pierre Rigaux, aux éditions Leduc, octobre 2022, 266 p., 18 euros.
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