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Prof "menacée", atteintes à la laïcité : un lycée de Montauban inquiète les services de renseignement
Le lycée Antoine Bourdelle de Montauban (Tarn-et-Garonne) en janvier 2020.
Mathieu Ferri/Radio France/Maxppp

Prof "menacée", atteintes à la laïcité : un lycée de Montauban inquiète les services de renseignement

Info Marianne

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Le lycée Bourdelle de Montauban fait face à des atteintes répétées à la laïcité. Après la vidéo d'une professeure filmée à son insu et diffusée sur TikTok, un appel à se présenter dans l'établissement en « abayas ou robes longues » ce 9 novembre vient de nécessiter l’intervention des équipes académiques.

Les vacances scolaires sont à peine terminées que la question de l’application de la laïcité resurgit dans l’Éducation nationale. Plusieurs documents internes consultés par Marianne font état de « divers incidents » au lycée Bourdelle de Montauban (Tarn-et-Garonne). Les services de renseignement territoriaux s’en inquiètent dans une note du 20 octobre. L’académie a mis en place une organisation spécifique pour cette journée du 9 novembre, alors que circulait un appel pour les élèves à se présenter en « abayas ou robes longues ».

Cela fait plusieurs mois que le lycée est confronté à des atteintes à la loi de 2004 sur les signes religieux ostensibles. « Depuis la rentrée 2022 et dans les mois qui ont précédé, plusieurs d’entre vous nous ont fait part de leur inquiétude quant à la résurgence de tenues qui interrogent le respect de la loi du 15 mars 2004 au sein de notre établissement », peut-on lire dans un courrier envoyé par le chef d’établissement à ses équipes le 10 octobre.

Plus inquiétant encore, deux sources au sein de l’Éducation nationale confirment, sans donner plus de précisions, qu’une enseignante aurait été filmée à son insu. Selon une source policière et la note émanant des renseignements territoriaux, une élève « d'origine tchétchène », portant une abaya et ayant « consacré plusieurs minutes à plier son voile islamique » au début du cours (*), aurait répondu par des « menaces » à son enseignante qui la rappelait à l'ordre, lui renvoyant qu'elle serait « raciste ». L'élève aurait tenu « un discours sur le ton :vous allez voir ce que vous allez voir, en faisant référence à son père et son frère, poursuit notre source policière. Cet échange a été enregistré par l’élève et diffusé sur TikTok, à la fin, on l'entend tenir des propos du type "elle va voir ce qu’Allah va lui faire". »

Auprès de Marianne, l’élève à l'origine de la vidéo reconnaît avoir prononcé cette dernière phrase mais assure qu’il ne s’agissait « pas d’une menace » mais d’une « parole sous le coup de l’émotion » et regrette « la façon dont elle a été interprétée », sa phrase signifiant, selon elle, « qu'elle réserverait un traitement légal et administratif aux propos que l'enseignante venait de tenir ». Elle dit avoir pris la peine de flouter et de modifier la voix de l’enseignante « pour qu’elle ne soit pas reconnue ».

L’élève assure « ne pas avoir fait référence à son père et à son frère » et que ce sont « la directrice adjointe et la CPE qui lui ont dit qu’ils pensaient qu’elle faisait allusion à son père et son frère » – une partie de l'échange qui ne figure pas dans la vidéo diffusée sur TikTok. La jeune fille indique avoir porté plainte contre sa professeure et cite des paroles que cette dernière aurait prononcées durant leur échange. Marianne a pu consulter une vidéo sur laquelle on entend l'enseignante déclarer que : « Personne n’a les c*** (sic) dans ce pays » de reconnaître les abayas comme des tenues « islamistes » (sic) et « je pense que quand on vient au lycée il y a une façon de s’habiller.Je tiens le même discours aux gamines qui se mettent le ventre à l’air. »

L’élève dit avoir l'habitude de subir des « remarques » sur ses tenues et son physique de la part de personnels de l'établissement, remarques qui se seraient « accentuées dans les jours qui ont suivi le différend. C'est pour cette raison, et afin de rétablir la vérité des faits, [qu'elle] a publié la vidéo sur TikTok ».« Ça m’a tellement épuisé, ça m’a rendu mal, j’ai même perdu du poids, ma santé mentale était détruite, assure l’élève qui a été convoquée par le lycée. Ça m’a fait tellement de la peine que j’ai juste décidé d’arrêter le lycée, c’était trop dur pour moi, même si je ne portais pas d'abaya, on me faisait des remarques même si je portais des jupes longues. » Et de préciser que pour elle l’« abaya n’est pas une tenue religieuse ».

La jeune fille dit avoir été « contactée par le CCIE [Collectif contre l’islamophobie en Europe, NDLR] » à la suite de sa vidéo. Elle s'est également tournée vers une avocate : « Cette jeune fille s'est trouvée extrêmement perdue et elle a eu besoin d'être épaulée pour répondre », indique à Marianne Maitre Séverine Lheureux.

Auprès de Marianne, le recteur de Toulouse Mostafa Fourar assure que « la professeure ainsi que le proviseur ont déposé plainte » et que la protection fonctionnelle a été accordée à l’enseignante. « A partir du moment où une professeure dans l’exercice de sa mission a été filmée à son insu, l'institution a réagi. C’est quelque chose de grave, l’institution apporte son soutien. On met en danger une professeure. » (*).

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De fait, la situation générale du lycée a été prise très au sérieux par le rectorat. Le 10 octobre, le référent « Valeurs de la République » de l’académie de Toulouse avait transmis au proviseur le « protocole de traitement des situations de port de tenue ou de signe religieux dans un espace scolaire public ». Objectif : accompagner les équipes et les aider à identifier lorsqu’un vêtement, comme un bandeau ou « une tunique longue de couleur sombre », peut être considéré comme un « signe religieux par destination ». Parmi les éléments d’appréciation : « la régularité du port de la tenue ou du signe », un « refus de changement de tenue » ou d’éventuels « propos ou actes de l’élève relevant de la contestation d’un contenu d’enseignement ». Après une première phase de dialogue avec les familles, deux élèves ont déjà été sanctionnées dans l'établissement.

Appel à se présenter en « abaya ou en robes longues »

Les tensions ne se sont visiblement pas arrêtées là. « Est apparu le jeudi 20 octobre, aux abords de l’établissement, un appel à se présenter en "abaya ou en robes longues" lors de la journée du 9 novembre », indique le chef d’établissement dans un nouveau courrier du 7 novembre, sans préciser l’origine de cet appel. Les services de la mairie ainsi que la police ont été « immédiatement » prévenus.

« Cet évènement à venir, qui fait suite à divers incidents au sein de l’établissement et aux rappels à la règle avec la perspective ou la mise en œuvre de procédures disciplinaires pour plusieurs élèves, vise potentiellement à générer une situation potentiellement conflictuelle (sic) », s’inquiète le proviseur dans son courrier. Avant de se montrer rassurant, estimant « impossible à cette heure d’évaluer l’adhésion de nos élèves à cet appel particulièrement orienté » et jugeant que « les derniers éléments en notre possession laissent penser que cet appel puisse être finalement peu (voire pas) suivi ».

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Mais, preuve que la situation inquiète, un dispositif spécifique a été mis en place avec « les services académiques » pour la journée du 9 novembre. Des membres des équipes « Valeurs de la République » devaient être présents dans les classes ce matin pour informer les élèves sur la laïcité. Les enseignants ont, eux, reçu pour consigne de « ne pas intervenir sur ce sujet ». Dans un dernier courrier envoyé mardi, le chef d’établissement appelait ses équipes à aborder cet évènement avec « fermeté mais surtout avec sérénité ». Il précisait que le Directeur académique des services de l'Éducation nationale (Dasen) du Tarn-et-Garonne et lui-même pourraient « recevoir dès la première heure une délégation d’élèves ».

Des membres de l’équipe mobile de sécurité du Rectorat devaient également être mobilisés. « Tout est calé pour la journée de demain, confiait-on au sein de l’établissement ce mardi soir à Marianne. On va voir si tout cela relève d’une action individuelle ou trouve un écho auprès des élèves. On ne s’attend pas vraiment à un écho important, mais la vie est faite de surprises… »

Renseignements territoriaux

En attendant de pouvoir faire le bilan de cette journée, la situation de cet établissement est dans tous les cas singulière. Raison pour laquelle les services de renseignement territoriaux ont rendu une note datée du 20 octobre, selon laquelle l’établissement ferait face à de « nombreuses tentatives de déstabilisation du principe de laïcité ». Un fonctionnaire de l’Éducation nationale qui parle d’une « entreprise concertée » évoque « une trentaine » de jeunes filles qui « feraient campagne contre la neutralité scolaire avec un discours construit et des éléments de langage ». « Les actions des jeunes filles suggèrent que leurs revendications relèvent d’une entreprise concertée », abonde notre source policière qui évoque des professeurs divisés : « Il y a un camp majoritaire pour l’application d’une laïcité stricte et un camp, qui s'appuie sur une enseignante, pour une laïcité plus ouverte. »

Dans l’entourage de Pap Ndiaye, on confirme que le lycée est « très suivi par le rectorat », qu’il y a eu « des ports d’abayas » mais on assure que « l’établissement a pris des mesures » et qu’il y aurait même « des infos d’apaisement par rapport à la situation d’avant les vacances ». « C’est un lycée qui est connu depuis longtemps sur ces questions-là, complète une source locale. Il y a eu énormément de problèmes après les attentats de Charlie Hebdo et pareil après Samuel Paty. »

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Une affaire qui intervient dans un climat très particulier pour la rue de Grenelle. Marianne révélait ce mardi que le ministère de l’Éducation nationale doit diffuser une nouvelle circulaire pour mieux accompagner les chefs d’établissement sur les questions de laïcité. Alors que les données de septembre révélaient une hausse des atteintes à la laïcité, on attend désormais le bilan du mois d’octobre.

(*) Nous avons mis cet article à jour le 10 novembre à 19h avec la réaction de l'élève concernée, de son avocate, et du recteur de l'Académie de Toulouse.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne