Günter Wallraff, l'homme aux mille visages, figure du journalisme d'investigation en Allemagne

Günter Wallraff dans le jardin de sa maison de Cologne, en Allemagne. ©Radio France - Sébastien Baer
Günter Wallraff dans le jardin de sa maison de Cologne, en Allemagne. ©Radio France - Sébastien Baer
Günter Wallraff dans le jardin de sa maison de Cologne, en Allemagne. ©Radio France - Sébastien Baer
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Il est l'un des journalistes d'investigation les plus respectés d'Allemagne. Auteur du best-seller "Tête de Turc" en 1985, Günter Wallraff s'est fait une spécialité : enquêter sous de fausses identités pour dénoncer les injustices. À 80 ans, il poursuit son combat.

La panoplie des personnages incarnés par Günter Wallraff est très vaste : livreur de colis, journaliste sans scrupules, employé de centre d’appel, sans abri… Mais étonnamment, quand l’écrivain ouvre la porte de sa maison de Cologne, c’est dans la peau d’un joueur de tennis de table qu’il nous accueille. À 80 ans, Günter Wallraff, sportif accompli et ancien marathonien, s’entraîne trois fois par semaine. Et avant-même de commencer l’interview, l’écrivain nous propose une partie qu’il est difficile de refuser. "C’est un sport de combat, dans le bon sens du terme ; c’est aussi un entraînement pour le cerveau. Parfois, je joue le soir jusqu’à plus de minuit. Je joue comme je suis dans la vie : en défense. Je laisse venir les adversaires".

L'écrivain s'entraîne trois fois par semaine au ping-pong et à 80 ans, il reste un redoutable adversaire.
L'écrivain s'entraîne trois fois par semaine au ping-pong et à 80 ans, il reste un redoutable adversaire.
© Radio France - Sébastien Baer

Ses adversaires à lui sont ceux qui exploitent les plus faibles. Pour les dénoncer, pour donner une voix à ceux qui en sont privés, Günter Wallraff s’est glissé dans la peau d’un journaliste du tabloïd Bild ou d’un employé de fastfood.

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Cinq millions d'exemplaires vendus pour "Tête de Turc"

Le rôle qu’il préfère, le plus compliqué aussi, est celui d’Ali Levent Sinirlioglu. Pendant deux ans, dans les années 80, Wallraff a multiplié les petits boulots en se faisant passer pour ce travailleur immigré turc. "Je devais paraître plus jeune et incarner un homme de 25 ans alors que j’en avais plus de 40. Je me suis entraîné dur, je courais des marathons, j’ai pris des cours de turc, je portais une perruque et des lentilles de contact sombres. Un jour, je suis allé rendre visite à ma mère et je lui ai parlé en mauvais allemand, et elle ne m’a pas reconnu !". Günter Wallraff a fait le récit de cette expérience dans un livre, Tête de Turc, vendu à 5 millions d’exemplaires en Allemagne et dont les traductions en une trentaine de langues sont exposées dans son salon-bibliothèque. Mais ces deux années passées à respirer les poussières dans une usine de métallurgie 12 heures par jour lui ont laissé des séquelles. "Quand il fait mauvais temps, j’ai souvent encore des problèmes de bronches. La plupart de mes amis de l’époque sont morts aujourd’hui, des suites de cancer ou de leucémie. Sans masque de protection, on respirait de dangereuses particules toxiques".

Ses reportages sous de fausses identités lui ont souvent valu des procès. Les entreprises qu’il infiltrait ont dénoncées ses méthodes peu conventionnelles*. "Rien que le procès du journal Bild a coûté 250 000 marks, cela représente 130 000 euros aujourd’hui. Mais ce genre de situation me motivait ; plus je sentais qu’il y avait une injustice, plus je me transformais en guerrier. Cela me donnait de la force et je prenais tous les risques".*

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"Vilain petit canard"

Avec ses enquêtes en immersion, Günter Wallraff a fait bouger les choses. La justice a même reconnu le caractère d’utilité publique de son travail et une loi a vu le jour : la loi Wallraff. Elle autorise le journalisme sous couverture quand il représente le seul moyen de faire éclater la vérité. "Pour moi, cela a été une libération et a eu de nombreux effets positifs mais pendant longtemps j’ai été le vilain petit canard, celui qui -sous une fausse identité — dupait les gens. On me traitait de menteur, de communiste infiltré et tout ce que vous voulez et je recevais des menaces de mort, des insultes, si bien que ma mère ne voulait plus vivre dans mon quartier".

Aujourd’hui, Günter Wallraff a pris un peu de recul mais il assure qu’il a d’autres projets d’investigation. Et plus que jamais l’envie de soutenir ceux qui en ont besoin*. "Je consacre plus de la moitié de mon temps à essayer d’aider les gens à faire valoir leurs droits. Tous les jours ou presque, je reçois des appels à l’aide par téléphone, par courrier ou des visites et j’essaie de m’impliquer pour faire bouger les choses auprès d’une entreprise ou des autorités. Quand il y a une injustice, on ne peut pas faire autrement".* Le journaliste a fait des émules qui se sont regroupés au sein de la Team Wallraff pour faire du journalisme d’investigation. En Allemagne et aussi en Suède, un néologisme a même vu le jour, le verbe ‘Wallraffer’, qui signifie enquêter sous une fausse identité.

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