Accueil

Société Laïcité et religions
"On pensait que les enfants allaient oublier" : quand les évêques pataugent dans le déni
L'Eglise est une fois de plus secouée par la révélation de nouvelles affaires de violences sexuelles, qui concernent des cardinaux.
Charly TRIBALLEAU / AFP

"On pensait que les enfants allaient oublier" : quand les évêques pataugent dans le déni

Rois de la com'

Par

Publié le

Les révélations de nouvelles affaires de violences sexuelles dans l'Église suscitent un tollé, y compris parmi les fidèles catholiques. Malgré tout, les plus hautes autorités du clergé multiplient les déclarations sidérantes qui semblent relativiser l'ampleur du problème.

Les prélats persistent à ne pas assumer leurs responsabilités face aux abus sexuels dans l'Église. D'ailleurs, ils s'en cachent à peine. Ce mercredi, Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, était tout de même en mission sur RTL, pour convaincre les auditeurs de son engagement à faire le ménage dans ses rangs, après la révélation – jugée trop tardive par certains fidèles – de nouvelles affaires de violences sexuelles lors d'une conférence de presse à Lourdes le 7 novembre.

L'une d'entre elles concerne le cardinal Ricard, visé par une enquête pour « agression sexuelle aggravée », qui a reconnu une « conduite répréhensible avec une jeune fille de 14 ans », il y a une trentaine d'années à Marseille. Cela ne l'a pas empêché de devenir l'une des plus hautes personnalités de l'Église en France, avant de quitter ses fonctions d'archevêques en 2019, après avoir atteint l'âge limite de 75 ans.

A LIRE AUSSI : Affaire du cardinal Ricard : "Dans les milieux catholiques, d'autres noms circulent"

« Nous comprenons de mieux en mieux le problème », a malgré tout assuré Eric de Moulins-Beaufort sur RTL, avant de se vautrer dans une énième tentative de noyer sa responsabilité et celle de l'Église. « Jusqu'en 2016, personne ne prend vraiment au sérieux les personnes victimes, parce que tout le monde pense que, comme ce sont des enfants, ils vont oublier. Et quand je dis tout le monde, la police, la justice est aussi dans cet état d'esprit », a-t-il ainsi bredouillé.

Déni de responsabilité

Comme le publiait Marianne en octobre dernier, Eric de Moulins-Beaufort est toutefois très bien placé pour savoir que les enfants n'oublient pas. Alors qu'il était évêque auxiliaire de Paris au début des années 2010, il n'a pas empêché un prêtre de participer à des événements rassemblant des jeunes. Eric de Moulins-Beaufort avait pourtant été averti, par la famille d'un enfant victime des agissements de ce prêtre, des dangers que cela pouvait représenter.

A LIRE AUSSI : Abus sexuels dans l'Église : "Moulins-Beaufort fait partie du problème et doit démissionner"

Le prêtre concerné, condamné depuis, continuait à officier dans une paroisse du XIVe arrondissement l'année dernière. Interrogé à ce sujet par Marianne, Eric de Moulins-Beaufort estimait ne rien pouvoir faire de plus que « placarder une affiche sur l'entrée de la paroisse pour rappeler l'interdiction qui lui a été faite de célébrer des sacrements ». « Je ne suis pas devenu prêtre ou évêque pour me transformer en procureur ou policier », assumait-il d'ailleurs sur RTL ce mercredi, tout en assurant être dans un « apprentissage » qu'il qualifiait de « progressif ». Le premier évêque de France avance, mais pas trop vite quand même.

« Pas pire que les Borgia »

Plus d'un an après la remise du rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église), qui estimait le nombre de victimes à 330 000, d'autres pontes de l'Église semblent toujours évoluer dans une dimension parallèle. En témoigne une interview d’André Vingt-Trois, l'archevêque émérite de Paris, publiée sur le site du diocèse de la capitale début novembre. Interrogée sur la « crise des abus », cette figure de l'épiscopat multiplie les euphémismes. « Nous vivons, nous, une crise qui a ses caractéristiques et ses composantes mais qui n'est pas pire que la crise des Borgia », assure-t-il, en faisant référence aux pontificats controversés, entre le XIVe et le XVe siècle, de deux membres de la famille Borgia, à la réputation sulfureuse et accusés de privilégier leur influence politique à la chose religieuse.

A LIRE AUSSI : Abus sexuels dans l'Église : quand les victimes se heurtent au déni familial

Et de poursuivre en pourfendant la naïveté des fidèles, qui pensaient pouvoir confier leurs enfants au catéchisme sans qu'ils se fassent agresser. « Certains chrétiens avaient retenu de leur catéchisme que l'Église était une société parfaite, un atoll où on pouvait être à l'abri de tout péril. C'est faux », ose André Vingt-Trois. D'ailleurs, « au moment de la Passion, Pilate vend Jésus pour trente deniers » poursuit-il, dans cette digression sidérante qu'il conclut en considérant que « le regard qui doit compter pour nous [catholiques], c'est le regard que Dieu porte sur nous ». Tant pis pour les victimes, les fidèles et la société qui observent, atterrés, l'épiscopat s'enfoncer dans le déni.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne