L’Iran, révélateur des incohérences du féminisme occidental

TRIBUNE. Depuis le meurtre de Mahsa Amini, une révolte fait vaciller la République islamique. La révolution rêvée des féministes a lieu, et nous passons à côté.

Par Mathilde Berger-Perrin

Temps de lecture : 4 min

Le 16 septembre 2022, la jeune Mahsa Amini a été battue à mort par la police iranienne à Téhéran pour avoir mal porté son voile islamique, obligatoire dans l'espace public. Depuis, pas une journée sans que l'Iran ne connaisse des manifestations, isolées ou massives, symboliques ou brutales. Les femmes iraniennes font preuve, face à une répression qui fait des centaines de victimes, d'un courage incroyable. Elles ont entraîné les hommes dans une lutte pour la liberté de se vêtir comme elles l'entendent. C'est une lutte pour la liberté tout court, face à un gouvernement 100 % masculin qui fait régner la peur, sur la base d'une loi religieuse. Si ce n'est pas cela le patriarcat, qu'est-ce que c'est ?

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Et pourtant : les féministes françaises ne lui donnent pas sa juste place. On se coupe les cheveux, en même temps qu'on traque les amateurs de viande, mais on se fera discrets pour définir contre quoi les Iraniennes se battent dans les faits. Bien sûr, nombre d'associations et de figures éminentes se sont exprimées en soutien. D'autres n'ont rien dit, comme Rokhaya Diallo. D'autres les soutiennent, non sans bien rappeler qu'elles ne s'assoient pas à la même table que les « islamophobes ». Seulement voilà : quand on lutte contre un ordre politique qui se réclame de la lettre d'une loi religieuse, le lien entre « patriarcat » et religion est tout sauf un raccourci. Et aujourd'hui, que ce soit aux États-Unis, en Pologne ou en Iran, politique liberticide et substrat religieux marchent main dans la main – par intégrisme, ou par calcul électoral. Aujourd'hui, il n'y a aucun courage politique à critiquer, quand on est féministe en France, les évangélistes républicains et les conservateurs polonais, ou appeler à la démission de tel élu qui n'est pas de son bord. Critiquer l'intégrisme musulman demande davantage de force.

Difficile de distinguer aspect dictatorial et interprétation religieuse dans un pays qui a « un ministère de la Culture et de l'Orientation islamique » et inscrit dans sa Constitution des devoirs différents pour les hommes et les femmes. La faute à la modernité ? Le Monde faisait part d'une « enquête sur les valeurs et attitudes des Iraniens » menée par le gouvernement iranien, lequel regrette que celle-ci « crée aussi des dommages dans le domaine de la culture et des systèmes sociaux, tels que l'effondrement des valeurs ou le déclin de l'institution familiale ». Soit le maintien des rôles traditionnels, cette lutte contre les stéréotypes de genre que notre féminisme a entrepris depuis les années 1950 avec Simone de Beauvoir.

À LIRE AUSSI « Dès que les sociétés vivent une crise, elles le font payer aux femmes » Ce n'est pas la foi intime et individuelle des musulmans que je critique, c'est un ordre économique, politique, juridique et culturel qui, au nom du religieux, légitime une hiérarchie des individus en fonction de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Un patriarcat en bonne et due forme. Nier la dimension religieuse de ce contrôle sur les femmes reste une barrière mentale qui empêche de traiter sérieusement le sujet, en Iran comme ailleurs.

Et on aurait tort de penser que cela ne concerne que l'islam. Il a fallu attendre 1956 pour qu'un pape établisse que l'accouchement sans douleur n'était pas contraire à la morale chrétienne, rappelle Élisabeth Badinter sur le plateau de 100 Minutes pour comprendre (archive INA 2004), où elle fait face à trois jeunes filles voilées. Elle ajoute : « Tous les progrès qui ont été faits pour que la femme devienne maîtresse de son corps, tous ces progrès, pardonnez-moi de vous le dire, ont été faits contre les religions. »

Faut-il interdire le voile en France ?

Cette focalisation bien française sur le voile tourne à la marotte. En Iran, il est un symbole. Là-bas, celles qui le jettent respectent celles qui le portent. Je suis contre l'interdiction du port du voile en France, dans l'espace public, sur les terrains de football et au bord des piscines. L'interdire, c'est jouer avec les mêmes règles que les régimes totalitaires, c'est faire du voile un outil de contrôle social. En revanche, faire de son port une revendication féministe est tout à la fois triste et hypocrite. L'impératif « d'inclusivité » semble prendre le pas sur l'objectif d'émancipation féministe. Si la minijupe était obligatoire au Pôle Nord, doit-on la prendre pour un symbole d'inclusivité ?

Bien sûr, l'indignation féministe ne peut être que sélective – sauf à être un robot. Je ne reprocherai jamais à des activistes de hiérarchiser leurs combats : il y en a tant à mener. Oui, l'Iran est loin de chez nous, alors que des femmes sont en danger au coin de nos rues. Mais les États-Unis sont loin aussi, et nommer l'ennemi intégriste et conservateur là-bas semblait plus aisé. Des critiques comme la mienne auraient « pour objectif de mettre hors-jeu, de sortir de la discussion politique des féministes en les accusant de lâcheté, d'incohérence », fustige la politiste Réjane Sénac. C'est tout le contraire : je veux voir les féministes au centre du jeu. Ce n'est rien d'autre que la tâche qu'elles se sont donné : la dissolution du « patriarcat ».

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Le privé est politique, disait l'un des slogans féministes dans les années 1960, quand presque tout était encore à gagner. La mode est politique, titrait un ouvrage sorti récemment. Ce discours aujourd'hui a une limite. C'est toujours tourner le dos à une société où le privé, et donc la liberté individuelle, prendrait le pas sur le public, et donc le risque du contrôle. C'est légitimer l'intervention de l'autorité publique pour réprimer des comportements moralement dissidents, comme refuser de porter le voile. Abolir la distinction entre privé et politique fonctionne jusqu'à ce qu'un gouvernement conservateur ou religieux arrive au pouvoir. La théocratie fait exploser ces distinctions salutaires : le privé, le politique et le religieux ne sont que les pages de la même histoire.

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Commentaires (11)

  • Gillesb31

    Au delà de l’affichage d’une soumission le voile signifie dans les textes religieux qui l’imposent au femmes qu’il permet de "protéger les femmes des pensées perverses des hommes

  • jpfm

    Pour rétablir la sérénité dans notre pays en matière de laïcité il faudrait réunir les principales religions de France e (catholique, juive et musulmane ) et arriver à un accord avec ces 3 religions pour que les ports distinctifs des religions disparaissent de l'espace public (croix, kippa et voile etc. ).
    la religion de quelqu'un c'est quelque chose de personnel et privé et n'a pas à être exposé au vu et au su de tout le monde.
    je suggère de réunir les 3 grandes religions de France en leur demandant d'annuler tous les signes extérieurs de religion dans l'espace public et susceptibles d'attiser les ressentiments...
    il n'y aurait plus aucun problème
    s i cela ne peut se faire à l'amiable il faudrait alors modifier la loi de 1905 en ce sens notamment pour protéger les juifs intégristes de voilences (des qu'une personne porte une kippa on sait qu'il est juif ; il en est de même du port du foulard ( ou d'une grosse cro très visible) et protéger les musulmanes des contraintes qu'elles subissent.
    avec ce qui se passe en Iran le moment de le faire serait judicieux pourdéfendre ce projet.
    si les religieux n'étaient pas si bornés ce serait un jeu d'enfant !

  • Kermit12

    Désolé Madame, mais vous n'avez encore rien compris à ce qui se passe chez nous : il n'y a pas qu'en Iran que le voile soit un symbole, comme vous l'écrivez, il l'est aussi en France mais avec le but inverse, nous imposer la vision islamiste de la société, celle dont ne veulent plus les Iraniennes.

    Et n'avoir rien contre le port de ce voile de combat contre notre civilisation dans l'espace public c'est passer complètement à côté de la réalité.

    Enfin quelles que soient vos fonctions, qui ne nous sont pas indiquées, il serait bon que vous repreniez l'étude de celle-ci.