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Restitution d’œuvres à l’Afrique : le processus de retour du djidji ayôkwé, tambour ivoirien, est lancé

La restauration du tambour emblématique des Bidjan vient de débuter lundi 14 novembre, en vue de son retour prochain à Abidjan.

Par  (Abidjan, correspondance)

Publié le 14 novembre 2022 à 19h00, modifié le 15 novembre 2022 à 17h41

Temps de Lecture 4 min.

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Les chefs Bidjan autour du djidji ayôkwé, « tambour parleur » de l’ethnie Tchaman, au Musée du quai Branly à Paris, le 7 novembre 2022.

Pour le continent africain, l’événement est qualifié d’« inédit » par les historiens de l’art et le monde culturel. Lundi 7 novembre, dix membres de la fratrie des Bidjan – appartenant à l’ethnie Tchaman (aussi appelée Ebrié) qui a fondé Abidjan – ont fait le déplacement au Musée du quai Branly à Paris pour une cérémonie dite de « désacralisation » du djidji ayôkwé, leur « tambour parleur » volé en 1916 par l’administration coloniale française. Les libations et leurs paroles ont ainsi autorisé les non-initiés à manipuler l’œuvre en vue de sa restauration, qui débute lundi 14 novembre, puis de sa restitution prochaine attendue par le gouvernement ivoirien.

Dans les couloirs menant à la salle du musée où l’œuvre – qui n’a jamais été montrée au public – est entreposée, les chefs Bidjan ont entonné des cris de guerre au son d’un tambour, d’un cor et d’un instrument à vent traditionnels. Parés d’épais pagnes, ils se sont ensuite isolés une partie de la cérémonie autour du djidji ayôkwé. A l’abri des regards, ils ont parlé à l’œuvre en atchô, une langue dite « secrète », seulement connue des initiés et autrefois pratiquée pour la guerre et la communication entre les villages.

« Nous avons demandé à l’esprit qui est dans le tambour de se retirer pour autoriser les techniciens du Musée du quai Branly à faire les travaux de consolidation », révèle Guy Djagoua, porte-parole des chefs Bidjan. A partir du 14 novembre et durant environ deux semaines, l’œuvre sera restaurée dans un laboratoire spécialisé d’Aubervilliers, en banlieue parisienne.

Le président français Emmanuel Macron s’est engagé en octobre 2021 lors du sommet Afrique-France à restituer ce tambour réclamé par la communauté depuis des années et par le gouvernement ivoirien depuis la fin 2018. Il serait le premier des 148 objets pillés demandés par la Côte d’Ivoire à la France à revenir au pays.

« On écrit une nouvelle histoire »

« Sa place au musée des civilisations d’Abidjan est déjà trouvée », assure Silvie Memel Kassi, directrice générale de la culture au ministère ivoirien de la culture – et ancienne directrice du musée – qui travaille sur ce dossier depuis des années. « C’est beaucoup d’émotion. Je réalise que la question du retour est une réalité. J’ai vu cet objet enlevé dans la douleur, arraché, coupé de sa source. On ne peut pas effacer cette histoire mais, désormais, on l’appréhende autrement », précise-t-elle.

Contrairement au sabre d’El Hadj Oumar Tall officiellement rendu au Sénégal fin 2020 et aux 26 objets du trésor des rois d’Abomey restitués au Bénin fin 2021, le processus de retour du tambour se fait en concertation avec les populations concernées. « A travers cette restitution, on écrit une nouvelle histoire. Le bien est parti dans des conditions assez tragiques, il est donc intéressant de voir qu’un siècle après, il revient avec un vrai dialogue entre les conservateurs et les communautés », estime Françoise Remarck, ministre ivoirienne de la culture et de la francophonie.

Des chefs Bidjan autour du djidji ayôkwé, « tambour parleur » de l’ethnie Tchaman, au Musée du quai Branly à Paris, le 7 novembre 2022.

Le djidji ayôkwé, qui signifie panthère-lion, était un outil de communication et de résistance face aux colons français. L’œuvre longue de 3,31 mètres et lourde de 430 kilos avait une portée de 20 kilomètres. Ses sons permettaient de communiquer avec les villages sans être compris des colons. Ces derniers, agacés, l’ont pris des mains de Nangui Abrogoua, le chef des Tchamans, dont l’un des descendants a assisté à la cérémonie.

« Les colons l’ont volé à un moment où ils n’arrivaient plus à obtenir de main-d’œuvre pour les travaux forcés car, avec le son du tambour, les jeunes hommes étaient alertés et se cachaient, développe Bénédicte Savoy, historienne de l’art et corédactrice avec l’universitaire et écrivain Felwine Sarr d’un rapport sur la restitution du patrimoine africain remis en novembre 2018 à Emmanuel Macron.

Un retour espéré en 2023

Ce vol a d’abord profondément révolté cette communauté ivoirienne qui « s’est mise à boycotter tout ce que l’administration coloniale française entreprenait : les écoles, les structures de santé, énumère Guy Djagoua. Nos aïeux ne participaient à rien, au point que le gouverneur était obligé d’utiliser la force ».

La disparition du tambour a ensuite déstabilisé l’organisation sociale et traditionnelle de la communauté, qui fut plongée dans un grand désarroi. A tel point que les villages ne se réunissaient plus. Le potentiel retour du tambour en terre d’Eburnie est donc vécu par les chefs Bidjan comme un « nouveau commencement ». Car « désormais, sous l’impulsion du ministère de la culture, des réunions entre villages sont organisées chaque semaine, ce qui ne se faisait plus depuis 106 ans », souligne Guy Djagoua.

Avant d’être transporté en France en 1930, le djidji ayôkwé a été déposé dans le jardin du gouverneur où il a été abîmé par les intempéries. Le bois de la zone inférieure de l’œuvre, également mangée par les insectes xylophages, est la partie la plus importante à restaurer. Les chefs Bidjan ont insisté pour qu’aucune modification picturale ne soit introduite.

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Mais avant le retour espéré de l’œuvre en 2023, un projet de loi doit être élaboré puis soumis au vote du Parlement français, comme ce fut le cas pour le sabre sénégalais et les objets béninois. « Il ne devrait pas y avoir de débat, assure Françoise Remarck. La loi pour le retour des 26 objets au Bénin est passée à l’unanimité. Nous espérons que le même traitement sera réservé par les parlementaires français au tambour. »

Dans l’enceinte du Musée du quai Branly, la ministre ivoirienne de la culture a plaidé pour « qu’une loi-cadre soit votée. Au-delà de ce bien, beaucoup de pays africains sont concernés par ces dossiers et nous pensons qu’une telle loi permettrait d’accélérer le mouvement ». En Côte d’Ivoire, un comité national de restitution doit aussi voir le jour afin de donner un cadre juridique, scientifique mais aussi pédagogique à ce retour. Un partenariat entre le musée des civilisations et celui du quai Branly a déjà été établi pour permettre une continuité dans la conservation du bien.

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