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Impact néfaste des lignes électriques sur les vaches : Enedis versera 140 000 euros à un éleveur
Fin 2021, l'agriculteur constate que la ligne moyenne tension provoque des comportements anormaux parmi ses vaches.
AFP

Impact néfaste des lignes électriques sur les vaches : Enedis versera 140 000 euros à un éleveur

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Alain Crouillebois, agriculteur dans l’Orne, a fait condamner Enedis, qui devra lui verser 140 000 euros. Une ligne moyenne tension souterraine était installée à proximité de son exploitation, provoquant des problèmes comportementaux chez ses vaches. En France, une centaine d’agriculteurs sont concernés par ce phénomène.

Une victoire, après dix ans de combat. Chargée de l'aménagement du réseau d'électricité, la société Enedis a été condamnée, le 8 novembre dernier, à verser 140 000 euros à un agriculteur de l’Orne. Ce dernier, Alain Crouillebois, éleveur de vaches laitières à Baroche-sur-Lucé depuis 1996, est à l’origine de la plainte pour l’impact néfaste d’une ligne électrique sur la santé de ses bêtes. Il est loin d’être un cas isolé puisqu’une centaine d’éleveurs sont concernés par ces nuisances en France.

C’est en novembre 2021 qu’il découvre qu’une ligne moyenne tension souterraine de 20 000 volts a été posée par Enedis et le Réseau de transport d’électricité (RTE) à une vingtaine de mètres de son exploitation, pour remplacer une ligne aérienne. Le mois d’après, l’agriculture constate des comportements anormaux parmi ses vaches : certaines refusent d’aller se faire traire au robot. « C’est comme si elles recevaient une charge de courant quand leur langue entrait en contact avec l’eau ! », note l’éleveur auprès de Marianne, en juin 2022.

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Conséquence : Alain Crouillebois est obligé d’euthanasier certaines de ses bêtes et estime sa perte financière, du fait de la baisse de production et donc de la commercialisation de son lait, à 50 000 euros par an… et ce, pendant sept ans. Période où rien n’a été fait par les autorités pour remédier au problème.

« Enedis tuait mes bêtes à petit feu »

Le Groupement permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE), une association qui rassemble professionnels de l’agriculture et industriels du secteur de l’électricité, et où siègent des représentants des ministères de l’Agriculture, de l’Environnement et de l’Énergie, intervient en 2017 et en 2018. Des aménagements sont préconisés sur son exploitation… mais rien pour Enedis. Même s’il suit ces recommandations, rien ne change pour l’éleveur. « À aucun moment le GPSE ne s’est intéressé à Enedis s’insurge-t-il. Le but du GPSE, c’est de se focaliser sur le travail de l’éleveur et de trouver une faille. Et pour cause ! C’est Enedis qui finance le fonctionnement du GPSE ! »

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Pas le choix, Alain Crouillebois décide de déplacer lui-même l’ouvrage électrique, afin de l’éloigner à 150 mètres de sa ferme. « On a fait ça de nuit, avec mon fils. Un travail illégal, mais légitime. C’était la seule façon de prouver que l’électricité fournie par Enedis tuait mes bêtes à petit feu. » Résultat : l’agriculteur débourse 63 000 euros pour cette opération. « Tout pour ma pomme ! », précise-t-il. Mais le jeu en valait la chandelle, puisque quelques semaines plus tard, les animaux vont à la traite et leurs analyses de sang sont excellentes.

Une centaine d'éleveurs concernés

« J’étais au fond du gouffre, mais j’ai gagné. J’ai encouragé tous les éleveurs qui sont dans mon cas à déposer plainte », indique celui qui avoue avoir été au bord du suicide. Car la condamnation d’Enedis est un bel espoir pour la centaine d’éleveurs concernés par ce phénomène. Depuis plus de trente ans, des agriculteurs estiment que des milliers de leurs bêtes seraient victimes des courants parasitaires causés par des lignes à haute tension, aériennes ou enterrées, des antennes-relais et des éoliennes. Le premier constat d'un tel problème date de 1993, à Saint-Laurent-de-Terregatte (Manche), où un éleveur voit ses bêtes, élevées à proximité de lignes à haute tension, mourir prématurément.

Cependant, les expertises scientifiques actuelles n’établissent aucun lien de cause à effet. À l’image de l’Anses, qui, en 2021, publie un rapport intitulé « Imputabilité à un champ d’éoliennes d’effets rapportés dans deux élevages bovins ». « La plupart des troubles (mammites – une infection de la glande mammaire des vaches – et qualité du lait, baisse de production de lait et troubles de reproduction dans les deux élevages, ainsi que la mortalité dans un élevage) ne manifestent pas d’apparition ou d’évolution significative qui puisse être associée à la période de mise en service des éoliennes », pouvait-on lire dans le texte.

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Pour autant, le combat des éleveurs de vaches ne s’est jamais arrêté. En juin dernier, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) a suspendu le fonctionnement d’une antenne à proximité d’une exploitation. Et à Coutances (Manche), RTE (Réseau de transport d'électricité) a été condamné à verser plus de 450 000 euros à des éleveurs laitiers. Du côté d’Enedis, la direction a d’ores et déjà annoncé faire appel du jugement, estimant que « l’existence de perturbations liées à l’ouvrage électrique n’est absolument pas prouvée ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne