Reportage

«Si on arrête de parler de l’Iran, ce sera un bain de sang» : à Paris, des activistes exposent crûment les exactions du régime

Au cri de «Femme, vie, liberté», slogan de la révolution iranienne, et à 200 mètres de l’Assemblée nationale, une trentaine de militants ont orchestré une «mise en scène macabre» de la répression, qui a déjà fait plus de 320 morts, tout en dénonçant l’inaction des Occidentaux.
par Léna Coulon
publié le 15 novembre 2022 à 21h55

Partout, du rouge, peinture rouge sang étalée sur la paume des mains, projetée en éclaboussures sur les tee-shirts barrés du nom des disparus et des détenus, tracée en lettres capitales sur des pancartes brandies à bout de bras : «viols, tortures, peine de mort, tirs à balles réelles contre des manifestants, arrestations arbitraires, absence de justice : réagissez». Le long de l’esplanade des Invalides, ce mardi à Paris, une trentaine d’activistes – dont une majorité de femmes – ont mis en scène les exactions imputées au régime iranien depuis l’éclosion de la révolte dans le pays, après la mort, entre les mains de la police des mœurs, de la jeune Mahsa Amini, le 16 septembre.

«Chaque personne représente un crime de la République islamique d’Iran», expose Mona Jafarian, cofondatrice du collectif Femme Azadi («liberté», en persan), à l’origine du rassemblement. Elle pointe une jeune femme drapée de noir et le visage bleui au fard, portant, autour du cou, une corde liée à une potence. Le symbole de la peine de mort que le régime est accusé de vouloir appliquer aux protestataires. Sous la pluie fine, un homme pose ses genoux à terre, les deux poings liés par une large chaîne. «Sa tunique, c’est une tenue traditionnelle de la minorité opprimée des Baloutches», explique Mona Jafarian, en référence à ce peuple sunnite du sud-est du pays, qui compterait 123 morts parmi les 326 recensés par l’ONG Iran Human Rights. Alors que résonne le slogan phare de la contestation – «Femme, vie, liberté» –, une femme s’allonge sur le sol, dans une incarnation des manifestants tués en pleine rue, «avec des armes de guerre», insiste Mona Jafarian.

«Si on arrête de parler de l’Iran, ce sera un bain de sang», poursuit celle qui, depuis que la contestation a éclaté dans son pays d’origine, a troqué son activité d’«influenceuse lifestyle» pour celle de meneuse d’«actions coup de poing». Avec un message : exiger des «décisions fermes» de la part des Nations Unies, de l’Europe, de la France. Les nouvelles sanctions voulues par Emmanuel Macron, à l’encontre de «personnalités du régime qui ont une responsabilité dans la répression» ? «Insuffisantes», tranche-t-elle, en égrainant les revendications de son collectif : rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, fermeture de l’«ambassade des mollahs en France» et rappel de son homologue français installé à Téhéran.

«L’inaction des Occidentaux est aussi un crime», abonde Tan, étudiante en philosophie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, qui a requis de n’être désignée que par son prénom. Si la jeune femme, tout juste majeure, lâche dans un sourire «ne pas avoir suivi le dress code du jour», en référence aux tee-shirts revendicatifs qui l’entourent, son regard d’un vert profond reprend vite un air résolu. «C’est bien beau de dire qu’on soutient les femmes en Iran, mais dans le même temps on continue de négocier et de serrer la main d’un facho de dictateur», s’indigne-t-elle, en référence à la rencontre entre le chef de l’Etat français et le président iranien, l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, en marge d’un rassemblement des Nations unies à New York, en septembre. De la real politik qui passe mal parmi ces militants.

«On est devenus activistes en voyant les crimes du régime»

Entre le Chant des partisans et Bella Ciao, les hymnes révolutionnaires iraniens réveillent ce coin bourgeois de Paris, à 200 mètres de l’Assemblée nationale. Lorsque les baffles font résonner la voix du rappeur Toomaj Salehi, arrêté fin septembre et menacé de la peine de mort, selon le Guardian, les larmes affluent et les poings se lèvent. Sur son tambour perse, Naghib Shanbehzadeh accompagne le beat du rappeur contestataire. Dans l’Hexagone depuis son enfance, le musicien franco-iranien de 29 ans veut «soutenir [son] pays, un pays de culture, de musique, de poésie, bien loin de la corruption, du fanatisme et de l’hypocrisie des mollahs». Comme beaucoup, il a rejoint le collectif par le bouche-à-oreille. «Je ne suis pas un politicien, glisse-t-il. Je suis un artiste qui se bat pour la liberté de son peuple.»

Autour, les passants pressent le pas, peu s’arrêtent. Une dame engoncée dans sa doudoune se faufile entre les portraits des victimes de la répression, esquisse un sourire et applaudit doucement le rassemblement. En guise de conclusion, une Marseillaise est lancée. En jetant un regard sur les manifestants remballant banderoles et affiches, Tina Molaie confie elle aussi «avoir toujours détesté la politique». La comédienne de théâtre trentenaire raconte les heures passées à s’échanger et s’indigner des vidéos de la répression en Iran, les inquiétudes «pour ses proches, ses amis, sa famille en danger». Elle l’assure : «On est tous devenus activistes en voyant les crimes du régime.»

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