Couvrir, raser, exhiber : la chevelure féminine en bataille politique

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Couvrir, raser, exhiber : la chevelure féminine en bataille politique

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Eli, une réfugiée iranienne vivant en Grèce, se coupe les cheveux lors d'une manifestation à Athènes, après la mort de  Mahsa Amini.
Eli, une réfugiée iranienne vivant en Grèce, se coupe les cheveux lors d'une manifestation à Athènes, après la mort de Mahsa Amini.
© AFP - LOUISA GOULIAMAKI

Érotisée et convoitée, la chevelure féminine a aussi été scrutée et contrôlée, au point de devenir un objet de luttes. Retour sur une histoire tourmentée du cheveu féminin.

Comme de petits fils noirs, ils fragmentent les images qui nous parviennent des manifestations menées par les Iraniennes depuis plusieurs semaines ; on imagine ces cheveux, lâchés devant leurs yeux, teinter leur propre vue. Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini est morte, trois jours après son arrestation par la police de "la conduite locale". La jeune femme kurde de 22 ans avait été interpellée à cause des quelques mèches qui dépassaient de son voile, une infraction au code vestimentaire de la République islamique. Du Kurdistan à Téhéran, le drame a provoqué une vague de manifestations violemment réprimées. On y a vu des femmes se dévoiler dans la rue en scandant "Femmes, vie, liberté", jeter au sol ce voile imposé depuis la révolution de 1979, et même le jeter aux flammes en dansant. D'autres encore, couper ces cheveux interdits au-dessus des cercueils des victimes du soulèvement.

C'est sur ce même terrain de la chevelure que, dans le monde, d'autres femmes ont répondu pour exprimer leur solidarité avec le peuple iranien. Regard fixé sur la caméra, des artistes ont saisi leur paire de ciseaux pour se couper quelques mèches, répétant le geste de contestation des Iraniennes. Ces coiffures mutilées "seraient alors l’expression d’un deuil collectif", commente la sociologue iranienne Chahla Chafiq dans Le Monde. Elles deviennent le symbole d'une colère plus grande contre la négation des libertés fondamentales par le régime des mollahs.

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Comme d'autres objets, ces cheveux contrôlés acquièrent une valeur emblématique lors de ces manifestations, et contribuent à donner une couleur et une visibilité particulières à cette révolte. Plus largement, ce combat fait écho à une histoire de la chevelure féminine comme objet de lutte. Convoitée, contrôlée ou instrumentalisée, cette partie du corps des femmes a été le nœud de conflits. Chevelures cachées, rasées ou exhibées : que revêtent ces gestes d'humilité, d'humiliation ou de défi qui se jouent au sommet des têtes des femmes ? Petite histoire tourmentée du cheveu féminin.

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Couvrez cette chevelure que je ne saurais voir

"Aristophane dépeint une jeune mariée, dont la belle chevelure, couverte de parfums, flotte en boucles soyeuses sur ses épaules, peut-on lire dans la vieille Histoire de la coiffure, de la barbe et des cheveux postiches de Paul Lacroix (1851). Lucien, voulant faire le portrait ridicule d’une femme laide, se garde bien d’oublier ses cheveux courts, plats et collés sur le front". Depuis l'Antiquité, les cheveux des femmes ont été loués par les poètes pour leur pouvoir érotique, c'est là que se noue la beauté. Lorsque le berger Pâris désigne Aphrodite comme la plus belle des femmes en lui tendant une pomme d'or, c'est qu'elle a su le séduire par une magnifique parure : son unique chevelure. Porter les cheveux longs est alors non seulement vu comme un attribut de la beauté, mais comme un symbole de la féminité, intériorisé même dans sa subversion. Par métonymie : avoir les cheveux longs, c'est faire fille.

Chanté et mythifié, ce cheveu féminin suscite aussi des craintes. On connaît la chanson : la séduction est toujours dangereuse. Il faut maîtriser ces poils ostensibles qui ruissellent de façon impudique autour du visage, ils risqueraient de détourner le croyant de sa foi. Tissée de façon fantasmatique dans des poèmes religieux, captée par un regard masculin, la chevelure féminine charme et déroute. "Les cheveux de ta tête sont comme la pourpre ; Un roi est enchaîné par des boucles !", peut-on lire ainsi dans le Cantique des cantiques, chant dans lequel le bien-aimé compare aussi la chevelure de l'aimée à un "troupeau de chèvres". Le poète persan du XIVe siècle Hâfez confie quant à lui : "Le parfum de ta chevelure a fait de moi l’égaré du monde".

Si la chevelure incarne la beauté féminine, celle-ci doit donc aussi pouvoir être jalousement tenue à l'abri des regards, se laisser couvrir pour épargner les égarés… Signe de modestie dont la texture légère compense le poids symbolique, le voile couvre depuis des millénaires les cheveux des femmes pour des raisons religieuses ou culturelles. Ce sont les foulards pudiques des vestales antiques, ces prêtresses chastes qui entretiennent le temple de la déesse du foyer, comme les voiles de deuil des épouses de guerre. Ce sont aussi les voiles qui couvrent la tête des sœurs catholiques, les hijabs des femmes musulmanes, les sheitels qui dissimulent en les imitant les cheveux des mariées dans le judaïsme orthodoxe.

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Honteuse rasée, déshonorée dévoilée

Ces voiles religieux expriment pour les croyantes une forme de sujétion que la femme doit porter sur sa tête. C'est aussi "une question de pouvoir, commente Bertrand Lançon dans Poil et pouvoir, d'Auguste à Charlemagne (Arkhê, 2019). Celui de Dieu sur l’homme et celui de l’homme sur la femme". On retrouve dans les lettres de Saint Paul (L'Épître aux Corinthiens) l'ambivalence recouvre l'injonction à couvrir la chevelure féminine : "Toute femme qui prie ou qui prophétise la tête non voilée, déshonore sa tête : elle est comme celle qui est rasée. Si une femme ne se voile pas la tête, qu’elle se coupe aussi les cheveux. Or, s’il est honteux à une femme d’avoir les cheveux coupés ou la tête rasée, qu’elle se voile. (...) Toute femme qui prie ou prophétise la tête nue déshonore sa propre tête".

Mais, ailleurs, Paul dit aussi que la chevelure féminine peut elle-même faire office de voile naturel… et qu'il est honteux pour un homme de les porter longs : "La nature elle-même ne nous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter les cheveux longs ; tandis que c’est une gloire pour la femme de les porter ainsi ? Car la chevelure lui a été donnée en guise de voile". Rasée, la tête est honteuse, dévoilée, elle déshonore la femme. Dans le Coran (sourate 33, verset 59), le voile protège les femmes de l'injure : "Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs mantes : elles en seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées".

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Déjà 1 000 ans avant Jésus-Christ, on trouvait en Mésopotamie la mention des têtes des femmes voilées sur des tablettes de lois attribuées au roi assyrien Téglath-Phalasar 1er, sans que cela se fonde nécessairement sur un caractère religieux. "La tablette A40 dit que toute femme pubère, à partir d’à peu près 13 ans, doit porter le voile", explique l'historien Odon Vallet, interrogé sur France Culture. Le voile peut aussi marquer la différence de statut social : celle qui couvre ses cheveux est généralement une femme mariée et non une jeune fille, et ce n'est n'est ni une prostituée ni une esclave, ces dernières ayant interdiction de le porter. Dans les premiers siècles du christianisme, le voile de prière distinguera aussi les chrétiennes des païennes. "Quand les missionnaires sont arrivés en Afrique, on a souvent appelé la religion chrétienne 'Ebassi', c’est-à-dire la religion du fichu, parce que les missionnaires demandaient aux femmes de se couvrir la tête quand elles entraient dans une église", précise l'auteur des Religions dans le monde (Flammarion, 2016).

Couper, raser, punir

"La tête de Méduse", par Pierre Paul Rubens, vers 1617. Musée d'histoire de l'art de Vienne (Autriche).
"La tête de Méduse", par Pierre Paul Rubens, vers 1617. Musée d'histoire de l'art de Vienne (Autriche).
© Getty - PHAS/Universal Images Group

Voilé notamment pour être respecté, le cheveu féminin a aussi été coupé ou rasé par punition. Revenons à la mythologie grecque, laquelle nous abreuve d'histoire de toisons. Méduse était une jeune fille si ravissante ("parmi tous ses attraits, ce qui charmait surtout les regards, c’était sa chevelure", insiste Ovide), qu'elle a osé défier Athéna. Pour la punir de cet orgueil, la déesse changea ses cheveux en reptiles. Lorsque quelqu'un avait le malheur de croiser son regard, les serpents dressés sur la tête de la Gorgone sifflaient leur venin, et elle le pétrifiait sur-le-champ. Pour attaquer la beauté de la femme, la rabrouer, c'est à ses cheveux qu'il fallait s'en prendre, trancher la bête. Encore de nos jours, l'image de la méduse est employée pour caricaturer des femmes politiques.

Car ce n'est pas seulement la beauté qui est visée quand l'est la chevelure, c'est aussi le pouvoir. Les femmes accusées de sorcellerie au Moyen Âge "étaient ratiboisées, puis brûlées vives", racontent Louise Vercors et Pierre d’Onneau dans Ça décoiffe ! L’histoire des hommes par les cheveux (La Martinière, 2019). On disait que se nichaient dans leurs cheveux des amulettes capable de les aider à supporter la torture ou, pire, jeter de mauvais sorts... Brefs, ils étaient considérés comme maléfiques et devaient être vaincus par le ciseau.

L'époque contemporaine offrira d'autres exemples de châtiments capillaires. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les déportés des camps de concentration sont tondus. Par mesure d'hygiène, disent les geôliers. Armand Giraud, résistant déporté à Buchenwald en 1943, témoignait de cet acte déshumanisant : "On nous fait déshabiller complètement. […] On nous fait monter sur des escabeaux. Ce sont des tondeuses. Et on va nous raser, nous tondre, nous mettre à nu, de la tête aux pieds, les cheveux, la barbe, les moustaches, tout le corps, même les parties les plus intimes seront passées à la tondeuse. Ces tondeuses qui en ont déjà dépouillé des milliers et des milliers. Et alors, nous ne reconnaissons même plus le camarade qui était devant nous. Nous ne reconnaissons même plus l’ami avec lequel nous avions souffert et avec qui nous avions juré de ne plus nous séparer. Nous ne nous reconnaissons plus". Dans un ultime geste d'étouffement et de réification, "des centaines de tonnes de cheveux sont récupérés par les nazis et transformés industriellement en feutrine, une matière isolante", écrivent Louise Vercors et Pierre d’Onneau.

20 000 femmes tondues à la Libération

En France, au lendemain de la Libération, plus de 20 000 femmes sont soupçonnées d'avoir entretenu des relations avec l'occupant allemand. Elles seront tondues sur la place publique. Dans un geste vengeur, les coiffeurs coupent ras les cheveux de ces "coupables", ne laissant dépasser qu'une seule mèche sur le devant du crâne. "La coupe des cheveux n’est pas le châtiment d’une collaboration sexuelle, mais le châtiment sexué de la collaboration", décrit l'historien Fabrice Virgili revenant en détail sur ces événements dans La France "virile". Des femmes tondues à la Libération (Payot, 2000). Des évènements qui, contrairement à ce que l'on a pu laisser penser, se sont déroulés sur une longue période, de juin 1943 à mars 1946.

Bien sûr, les cheveux peuvent repousser et c'est pourquoi cette mutilation capillaire est peut-être d'abord l'expression d'une violence psychologique que l'on veut alors faire subir aux femmes. Elles sont attaquées sur les attributs conventionnels de leur féminité, à savoir leurs cheveux, mais aussi leurs bustes dénudés, parfois peinturlurées de croix gammées, et exposés aux crachats d'une foule inquisitrice. "Le châtiment est symbolique, mais les femmes, privées de leur chevelure, sont mises littéralement à nu. L’homme les rase pour les purifier et pour effacer l’arme du crime, leur séduction. En perdant leur dignité humaine, elles expient pour tout le monde", commentera  Jean-Paul Sartre dans Combat, en 1944.

Une femme accusée de collaboration avec l'occupant allemand est forcée de parader dans les rues de Paris, le 20 août 1944, pieds nus, rasée et avec une swastika
Une femme accusée de collaboration avec l'occupant allemand est forcée de parader dans les rues de Paris, le 20 août 1944, pieds nus, rasée et avec une swastika
© AFP

Selon Fabrice Virgili, ces semblants de procès publics et leur "posture guerrière et phallocratique" ont joué un rôle expiatoire, notamment pour des hommes collaborateurs qui encouraient la peine de mort. Poussant plus loin l'interprétation de cet acte violent, couper les cheveux des femmes, c'était comme raviver une virilité nationale défaite par la guerre. Ce "dérivatif à la surexcitation née du désir d’exécution" fut évoqué par le poète  Paul Éluard dans Comprenne qui voudra (1944) : "En ces temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait les filles. On alla même jusqu’à les tondre".

Dans un geste que d'aucuns pourraient lire comme une stratégie de subversion des stéréotypes de genre, ou de retournement du stigmate, certaines femmes choisissent à présent de se raser elles-mêmes la tête. Si ce n'est aujourd'hui qu'une coiffure parmi d'autres, l'acte s'accompagne parfois d'une surinterprétation : le geste serait "libérateur", marquant une distance avec l'expression de la féminité et de ses attitudes stéréotypées (se remettre les cheveux derrière les oreilles, etc.), ou "fou" (une démarche performative, un coup de tête qui pousse à empoigner le rasoir devant le miroir pour changer de visage).

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Exhiber, colorer, revendiquer

"Remy de Gourmont [un essayiste du XIXe siècle] souhaite que la femme porte ses cheveux flottants, libres comme les ruisseaux et les herbes des prairies : mais c’est sur la chevelure d’une Veronica Lake qu’on peut caresser les ondulations de l’eau et des épis, non sur une tignasse hirsute vraiment abandonnée à la nature, écrit Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949). Plus une femme est jeune et saine, plus son corps neuf et lustré semble voué à une fraîcheur éternelle, moins l’artifice lui est utile ; mais il faut toujours dissimuler à l’homme la faiblesse charnelle de cette proie qu’il étreint et la dégradation qui la menace." Il fallait bien se délester de quelques mèches, détourner les formes éternelles du casque fleuri et se défaire du regard insidieux, fétichiste ou censeur, qui pèse sur la chevelure féminine. De la coupe à la garçonne des années 1920 initialement appelée coupe "à la Jeanne d'Arc", aux innombrables couleurs chimiques, en passant par la libération du cheveu crépu, la chevelure féminine s'est aussi rebellée en s'exhibant hors des cadres.

S'il faut chercher des icônes, avec toutes les précautions qu'imposent l'usage ce mot, Jeanne d'Arc a pu incarner une forme de liberté en termes de conventions capillaires. Celle qui leva une armée contre l'ennemi anglais avait choisi de porter ses cheveux courts, comme un homme. Avec cette coupe en "écuelle" ou "sébile", cheveux taillés en bol au-dessus des oreilles, la nuque et les tempes rasées, la jeune fille ressemblait à un chevalier et pouvait plus aisément porter le casque. Exposant son visage frondeur, elle se rendait surtout pleinement libre de ses mouvements. Cette coiffure lui est reprochée lors de son procès comme une atteinte à "l’honnêteté du sexe féminin, interdit par la loi divine, abominable à Dieu et aux hommes". Avant son supplice enflammé, l'hérétique est rasée.

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Il y a un siècle, comme une déclinaison de la couronne de Jeanne d'Arc, on arbore la coupe à la garçonne par anticonformisme. Dans La Garçonne de Victor Margueritte, roman publié en 1922, l’héroïne rompt avec son fiancé et sa famille, ouvre un magasin d'art, conduit sa propre voiture, vit sans entrave sa sexualité avec des hommes comme des femmes et… se coupe les cheveux. Toute sa subversion comme contenue dans cette scène des mèches qui tombent au sol. Une image d'émancipation, qui ne fait pas oublier aujourd'hui que la coupe courte qu'arborent les femmes n'est pas forcément synonyme d'une libération des injonctions capillaires.

Viendront les zazous, avec leurs grosses tresses sur le front, pourchassées par les fascistes armés de tondeuses aux cris de "Scalpez les zazous !", les hippies à la chevelure végétale effrayé par le ciseau, ou encore les birds, ces skingirls aux crânes rasés et franges fluos... Bref, des modes où les cheveux féminins s'affranchissent des diktats. La couleur "non naturelle" du cheveu, celle que l'on n'applique pas dans le seul but de cacher honteusement un fil blanc de vieillesse, devient aussi un signe de ralliement à un groupe social. Elle signe une artificialisation du corps qui permet de se le réapproprier.

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Des cheveux "sauvages", "récalcitrants"

Retrouver l'apparence naturelle du cheveux, l'assumer quand elle a été brimée, peut s'avérer un symbole tout autant si ce n'est plus fort encore. On le voit avec la persistance d'une stigmatisation raciste des cheveux crépus des Afro-descendants. En particulier des femmes noires et métisses dont les cheveux défrisés peuvent être pointés du doigt, jugés pas "assez formels" comme ce fut le cas en 2019 à propos  Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement.

"En Afrique, en Europe et aux Amériques, le passé colonial explique que la norme européenne du cheveu lisse se soit imposée comme critère de beauté", écrit l'anthropologue Ary Gordien dans un article de La Vie des idées. En 1842, le député Victor Schœlcher, connu pour avoir agi en faveur de l'abolition définitive de l'esclavage en France, dit des populations noires et métisses libres des colonies que quiconque "a les cheveux laineux, signe essentiel de la prédominance noire dans le sang, ne saurait aspirer à une alliance avec des cheveux plats" et que "les femmes de couleur, qui ont la chevelure crépue, s’imposent des tortures horribles en se coiffant pour la tirer de façon à laisser croire qu’elle est soyeuse". Il y aurait des cheveux "sauvages", récalcitrants... Dans la majorité des langues parlées dans les anciennes colonies esclavagistes de la Caraïbe et des Amériques, le vocabulaire transmis révèle la survivance de ces représentations, note Ary Gordien : "'good/tall hair versus bad hair' en anglais, 'bel chivé versus ti chivé' / chivé red' en créole, 'pelo bueno versus pelo malo' en espagnol".

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© Getty - Bettmann Archive
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Dès les années 1960 et 1970, des militantes anticolonialistes afro-américaines ont contribué à populariser le "natural hair" en portant la coupe afro. Les adeptes du rastafarisme s'approprient quant à eux une coiffure noire en portant des locks et en en faisant un marqueur identitaire, imités plus tard par la jeunesse britannique d'origine caribéenne, notamment. "Il existe dans ces manipulations des cheveux une dimension anticoloniale et antiraciste de retournement du stigmate : dire 'black is beautiful' implique la revalorisation non seulement d’une couleur de peau, mais de toutes les caractéristiques physiques censées caractériser le Noir, dont les cheveux", commente l'anthropologue.

Du fait de cette histoire, rester ulotriche se transforme en position politique. Mais le "nappy"(contraction de "natural" et "happy"), ce mouvement, né dans les années 2000, de femmes noires souhaitant conserver leurs cheveux crépus, n'est pas forcément une revendication, comme le rappelle la journaliste Rokhaya Diallo dans son livre Afro ! (Les Arènes, 2015) : "Le nappy est davantage un mouvement social au même titre que le bio. Ça ne veut pas dire que toutes les filles qui portent les cheveux courts crépus ou en afro revendiquent quelque chose."

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