Les Violons de l'espoir, des concerts pour que vive la mémoire des victimes de l'Holocauste

À Paris, plusieurs concerts sont organisés cette semaine, pour et avec les violons dits « de l'espoir ». Ces instruments ont été abîmés, dégradés, heurtés par la Seconde guerre mondiale et ils ont appartenu à des victimes de l'Holocauste. La famille Weinstein s'est fait une mission de les restaurer et faire entendre leur son dans les plus prestigieuses salles de concert, aux quatre coins du monde. 
Les Violons de l'espoir prsentation à Paris le 15 novembre.
Les Violons de l'espoir, présentation à Paris le 15 novembre. Moland Fengkov

« Si cela arrive ici, j'aurais voulu sauver mon violon », écrivait le 27 octobre 1943 la jeune Hélène Berr, 22 ans, dans son journal intime. Elle posait ces mots sur le papier quelques mois seulement avant d'être arrêtée et déportée avec ses parents. Passionnée de musique, joueuse de violon, elle fait partie des victimes de l'Holocauste auxquelles les Violons de l'espoir rendent hommage à chaque concert. À Paris, jeudi 17 et samedi 19 novembre, la Seine Musicale et la Salle Gaveau vibreront au son de ces violons chargés d'histoire.

Le projet des Violons de l'espoir est porté par Amnon Weinstein depuis les années 70. Nous l'avons rencontré à Paris, quelques jours avant le premier concert. Inlassablement, il remonte le fil de ses souvenirs et très vite, nous parle de son père, Moshé Weinstein, fondateur de la lutherie familiale à Tel-Aviv. Né en 1939, Amnon a vu son père collectionner ce qu'il appelle aujourd'hui « les violons de l'Holocauste » : certains musiciens juifs sont arrivés en Israël en 1936 quand l'Orchestre philharmonique national a été créé, d'autres, quand ils ont été privés de jouer dans les orchestres allemands. D'autres encore sont revenus après la guerre, en 1945. « Seulement, en 45, tout ce qui venait d'Allemagne était boycotté en Israël, souligne Amnon Weinstein. Certains instruments arrivaient brûlés, cassés, détruits, tagués par les nazis. Personne ne voulait toucher ou même poser les yeux sur les violons qui revenaient de là-bas. Sauf mon père. » 

Par devoir, par mémoire, Moshé Weinstein se lance alors dans la quête d'une vie : il rachète tous ces violons dont personne ne veut, monte une collection, et les répare, un à un, soigneusement. Alors que les violons prennent la poussière dans son armoire, il entend bien transmettre sa flamme à son fils qui, lui aussi, rechignait à approcher ces violons pendant plusieurs années. Poussé par son père, Amnon Weinstein a rendu publique l'existence de cette collection et lancé un appel à la radio israélienne : que toutes les personnes possédant des violons abîmés par la guerre les lui apportent pour restauration. « L'effet boule de neige a fonctionné », sourit-il aujourd'hui. 

Derrière chaque violon, un drame intime et l'Histoire en toile de fond

À cette époque, il oscille entre l'Italie et Paris, où il se forme au métier de luthier. Son maître parisien, Etienne Vatelot, est le premier professionnel à qui il a demandé conseil quand l'initiative des Violons de l'espoir a commencé à prendre forme dans son esprit. Le moment décisif est survenu en Italie. Comme d'autres, un homme lui a, un jour, apporté un violon. Celui-ci était intimement lié à Amnon Weinstein : il avait appartenu à son grand-père, assassiné à Auschwitz. Le violon avait été retrouvé près d'un four crématoire. « Les gens qui ont joué de ces instruments ne sont plus là mais leur âme perdure grâce au son du violon. Reste un lien de culture, d'humanité, de paix. » Pour garder ce lien intact, Amnon Weinstein s'est lancé le défi de faire jouer ces violons dégradés par la guerre dans des salles prestigieuses, une fois restaurés. « Jamais moins de 2000 personnes dans le public, autant que faire se peut ! »

Le luthier tient à conserver l'histoire, singulière, de chacun des 110 violons qu'il compte aujourd'hui dans sa collection. De nombreux musiciens ont été contraints de jouer dans les camps. Parfois, les cadavres des travailleurs et des détenus exécutés et torturés étaient déposés là, face à l'orchestre. « Le traumatisme est tel que moins de 5% des musiciens juifs qui viennent vers moi ont continué à jouer de leur instrument après la guerre », soupire Amnon Weinstein. 

Il y a ce violon, joué par un policier qui essayait d'apaiser l'esprit des survivants qu'il cachait chez lui avec quelques notes. Cet autre, joué par un réfugié juif dans un ghetto ukrainien. Cet autre encore, qui a survécu à la destruction d'une lutherie chez un éminent musicien juif. « J'avais peur de mourir et que le violon se retrouve sur l'étale d'un brocanteur », lui confie un jour une femme, venue lui apporter l'instrument d'un de ses parents, mort en déportation. La quête du luthier s'est avérée bien plus simple que prévu : les violons viennent à lui. Les descendants des disparus lui apportent les instruments et partagent avec lui leurs histoires, souvent déchirantes. 

Devoir de mémoire, devoir de famille

Un jour, on a remis à maître Weinstein un violon sur lequel était inscrit « Heil Hitler, 1936 », accompagné d'une croix gammée. La trace d'un luthier nazi qui avait gravé son idéologie sur l'instrument d'un musicien juif ou amateur, probablement. « Celui-là, je l'ai gardé, explique Amnon Weinstein. Mais il ne sera jamais, jamais réparé. Son histoire doit rester dans cet état-là. Pourtant, rien ne me touche plus que d'entendre le son d'un violon qui m'est arrivé en piteux état. Mais celui-là, je n'y toucherai pas. » 

Amnon Weinstein à Paris pour présenter les concerts des Violons de l'espoir, le mardi 15 novembre.

Moland Fengkov

Dès que possible, Amnon Weinstein mêle l'histoire des violons à leur réparation. Sous la table ou le chevalet, il intègre les étoiles de David qui y avaient été gravées, conserve les fleurs séchées qui se trouvaient dans l'étui… Il a même glissé une dédicace dans l'un deux, adressée aux partisans Bielski, ces résistants juifs qui ont sauvé des membres de leur communauté en Biélorussie, entre 1941 et 1944. Assaela Weinstein, l'épouse d'Amon, est la fille d'Asael, l'un des quatre frères fondateurs de ce mouvement de résistance dont l'histoire a été racontée dans le film Les Insurgés, réalisé par Edward Zwick. « Leur histoire est à Hollywood et dans les livres mais, elle vit aussi dans ce violon », s'émeut-elle. Son mari a glissé cette dédicace près de la petite certification que possèdent tous les violons, interne, cachée des regards. 

Journaliste de profession, elle s'est impliquée dans son projet en conservant une trace écrite de toutes les histoires qui viennent à eux. Elle prépare les livrets des concerts, les programmes des événements, écrit les témoignages de ceux qui lui confient des violons… « J'essaie de rester en contact avec ceux qui touchent mon coeur, explique-t-elle. Par exemple, je connais trois filles italiennes dont le père avait emporté son violon dans les camps, quand il y a été envoyé. Elles sont venues à l'un des concerts des Violons de l'espoir à Rome, nous ont rencontrés et sont venues nous voir à Tel-Aviv quelques mois plus tard pour nous apporter le violon de leur père. Nous avons appris qu'il avait travaillé comme ingénieur sur des bateaux et qu'il avait aidé des gens à fuir vers la Palestine. Elles étaient si fières de lui. »

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Leur fils Avshalom prend le relais et mène le projet des Violons de l'espoir comme une véritable mission : il monte un programme scolaire dans les écoles américaines, restaure des violons, organise les concerts aux quatre coins de la planète… Assaela Weinstein se souvient particulièrement de deux concerts : à la Philharmonie de Berlin, quand la demande des spectateurs était telle qu'il avait été impossible de pourvoir les 13 000 billets espérés et à Jérusalem, quand 2 300 Français avaient fait le déplacement. 

Aujourd'hui, leur mission porte toujours ses fruits : jeudi, Amnon Weinstein a ajouté deux nouveaux violons à sa collection. « Un homme qui habite à Versailles nous a appelés il y a peu, en pleurs. Son père, juif, polonais, est mort en déportation. Lui et sa mère se sont échappés en emportant les deux violons de son père. Celui dont il jouait quand il était adulte, et celui de ses débuts d'enfant, dont il jouait à l'âge de 6 ans. Il ne possède qu'une photo et ces deux violons en souvenir de lui, et veut me remettre les violons. » Quatre-vingts ans après la Rafle du Vélodrome d'Hiver, la mémoire des victimes de la guerre résonnera à Paris ces prochains jours, par la force des cordes de leurs violons. 

  • Les Violons de l'espoir, le 17 novembre à la Seine Musicale et le 19 novembre à la Salle Gaveau, par l'Orchestre Le Palais Royal.