L’incroyable histoire de Jona Ostiglio, artiste juif oublié de la Florence du XVIIe siècle

L’incroyable histoire de Jona Ostiglio, artiste juif oublié de la Florence du XVIIe siècle
Jona Ostiglio, Paysage avec personnages, Palazzo Pitti ©Galerie des Offices

Le 16 novembre, la Galerie des Offices à Florence a présenté le résultat de surprenantes recherches sur Jona Ostiglio, un peintre juif ayant travaillé illégalement pour la cour des Médicis au XVIIe siècle. Ses œuvres sont conservées au musée florentin mais aussi à Rome.

Un artiste juif à la cour des Médicis ? Mercredi, la Galerie des Offices a présenté au public l’incroyable découverte faite par Piergabriele Mancuso, directeur du programme sur les études juives du Medici Archive Project, et Maria Sframeli, conservatrice du musée florentin. Les deux spécialistes ont enquêté pendant plus d’un an sur Jona Ostiglio, un peintre juif ayant travaillé à Florence pour les grands-ducs de Toscane au XVIIe siècle et inconnu jusqu’alors. Les deux spécialistes ont réussi à écrire sa biographie et retrouver certaines de ses œuvres dans les collections italiennes. Une découverte majeure pour l’histoire juive en Italie mais aussi pour l’histoire de l’art.

Qui êtes-vous Jona Ostiglio ?

« Nous ne connaissions pratiquement rien sur cet artiste », explique Eike Schmidt, directeur de la Galerie des Offices. En préparant une exposition sur le ghetto juif à Florence, qui se tiendra au musée à la fin de l’année prochaine, Piergabriele Mancuso a croisé pour la première fois le nom de Jona Ostiglio. Après avoir constaté des références à quatre natures mortes de « Jona – Juif » dans un inventaire d’œuvres d’art de 1860 conservé dans une villa des Médicis, et une brève référence à l’artiste dans un article de 1907 du rabbin et érudit Umberto Cassuto, le docteur en études juives s’est lancé dans ses recherches, avec l’aide de Maria Sframeli qui avait déjà repéré un nombre de tableaux et de documents qui attestaient de l’activité au XVIIe siècle d’un peintre juif du nom de Jona Ostiglio.

Signature de l'artiste. ©Galerie des Offices

Signature de l’artiste Jona Ostiglio. ©Galerie des Offices

Qui était donc cette énigmatique personnalité que l’histoire a injustement oubliée ? « Toute trace avait apparemment disparu, décrit Piergabriele Mancuso. Nous avons commencé à chercher plus de documents ensemble, pour réunir les preuves de sa vie et apprendre davantage sur son rôle majeur à Florence à cette époque. » Né entre 1620 et 1630, Jona Ostiglio a vraisemblablement été actif entre 1660 et 1690, sous le grand-duché de Ferdinand II et Côme III de Médicis. Mort après 1695, il est un artiste autodidacte qui a commencé assez tard sa carrière (vers ses 30 ans) après avoir copié nombre de grands maîtres et particulièrement le peintre et graveur baroque Salvator Rosa.

Salvator Rosa, Paysage le soir, entre 1640 et 1643, huile sur toile, collection privée. ©Wikimedia Commons

Salvator Rosa, Paysage le soir, entre 1640 et 1643, huile sur toile, collection privée. ©Wikimedia Commons

Le statut des Juifs dans la Florence du XVIIe siècle

Appartenant aux Béné Roma, communauté de Juifs résidant en Italie depuis plus de 2000 ans, Jona Ostiglio n’a pas pu se former officiellement dans une institution, faire partie d’une corporation ni appartenir à un atelier d’artiste en raison de sa religion. En effet, dans la Florence du XVIIe siècle, les Juifs étaient parqués dans un ghetto au centre-ville qui abritait près de 200 familles. Ils ne pouvaient pratiquer que certaines professions et les échanges avec les chrétiens étaient très régulés. Lorsqu’un juif souhaitait se lancer dans une carrière artistique, il était relégué à des taches plus artisanales et non considéré comme un artiste professionnel. Il existe des cas de juifs qui travaillaient le bois et le marbre, mais ceux-ci étaient considérés comme des artisans et non comme des sculpteurs et ne signaient pas leurs œuvres.

Jona Ostiglio, Paysage, Farnesina ©Galerie des Offices

Jona Ostiglio, Paysage, Farnesina ©Galerie des Offices

Toutefois, malgré tous ces obstacles, le mystérieux peintre a réussi à travailler pour les plus nobles de son temps. Grâce à ses excellentes relations professionnelles et personnelles, Jona Ostiglio a été capable d’établir des liens en dehors du ghetto avec les plus importantes figures du monde artistiques de l’époque. Ainsi, il a pu obtenir des commandes des Médicis et de puissantes familles, comme les Mannelli, et a collaboré avec l’atelier du peintre florentin Onorio Marinari (1627-1715). Il a notamment réalisé l’énorme arbre généalogique des Mannelli, accroché dans la salle de lecture des archives publiques de Florence, ce qui montre bien que son travail était apprécié, selon Piergabriele Mancuso.

Autre preuve qu’il était tenu en haute estime : en 1680, il est nommé membre de la prestigieuse Accademia delle Arti e del Disegno, fondée par Giorgio Vasari et financée par les Médicis. Jusqu’à présent, il n’est nulle part mentionné le nom d’autre membre juif de la prestigieuse académie avant le XXe siècle. « Malgré les challenges imposés par l’Eglise catholique et l’Inquisition, les grands-ducs Médicis sont parvenus à sauver la vie de Galilée et protégé ses recherches au XVIIe siècle à Florence. Aujourd’hui, nous apprenons qu’un artiste juif a été autorisé à peindre, se réjouit Eike Schimdt. (…) C’est certainement un résultat historique très important qui témoigne de l’ouverture d’esprit des Médicis, qui rappelle aussi qu’Artemisia Gentileschi, qui se remettait d’un procès pour viol, a trouvé refuge et du travail auprès d’eux, et de la société florentine de l’époque : une ville-état qui récompensait l’art avant tout, qu’importe le genre, la richesse, et la croyance religieuse ».

Jona Ostiglio, Nature morte aux poissons et crabes, Église de San Michele in San Salvi ©Galerie des Offices

Jona Ostiglio, Nature morte aux poissons et crabes, Église de San Michele in San Salvi ©Galerie des Offices

Une exception à la règle ?

Ses travaux les plus aboutis sont conservés à la Galerie des Offices, à la villa médicéenne de Poggio a Caiano, à l’église florentine de San Michele in San Salvi et au ministère des Affaires étrangères à la villa Farnesina (Rome). Ses panneaux et toiles sont imprégnés d’une atmosphère semblable à celle des œuvres du Caravage. Les spécialistes ont pu identifier quelques-unes de ses natures mortes et de ses paysages représentant la campagne toscane. La variété des genres qu’il a peint atteste de ses qualités de peintre et de sa polyvalence. « Nous faisons face à une découverte exceptionnelle qui, malgré sa rareté, documente comment la culture juive a contribué à travers les siècles à modeler les histoires qui ont construit notre nation, même dans ces moments, comme celui illustré par l’histoire de Jona Ostiglio, qui étaient encore très éloignés des concepts d’intégration et de dialogue. », décrit Ruth Dureghello, présidente de la communauté juive de Rome.

Jona Ostiglio, Paysage avec personnages, Palazzo Pitti ©Galerie des Offices

Jona Ostiglio, Paysage avec personnages, Palazzo Pitti ©Galerie des Offices

Jona Ostiglio était-il le seul juif à avoir eu l’opportunité d’exercer comme artiste à Florence ? « Était-il une exception à la règle ou était-ce plus courant à l’époque que ce que nous pensons ? Cette question reste ouverte », conclut Piergabriele Mancuso. Quoiqu’il en soit, les cartels des œuvres d’art attribuées pendant des années à un « Anonyme du XVIIe siècle » ont été aujourd’hui changés pour faire réapparaître le nom de Jona Ostiglio.

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