Sarah El Haïry : « La laïcité n’est pas une contrainte mais une condition de la liberté »

La secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse, Sarah El Haïry, lors d'un échange avec des jeunes français et européens à Marseille, jeudi (24 novembre), lors de la cérémonie de clôture de l'Année européenne de la Jeunesse. [Philippe Devernay/MENJ]

Avant le Conseil Jeunesse de l’UE de lundi (28 novembre), et en marge de son déplacement à Marseille pour la clôture de l’Année européenne de la Jeunesse, la secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse Sarah El Haïry a accordé un entretien exclusif à EURACTIV France. Elle y évoque, entre autres sujets, la nécessité de réapprendre aux jeunes à aimer la laïcité, la mobilité européenne pour renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe des jeunes français, ou encore le paradoxe de la déconnexion entre une jeunesse engagée et la politique.

Sarah El Haïry est secrétaire d’État auprès du ministre des Armées et du ministre de l’Éducation nationale, chargée de la Jeunesse et du Service national universel depuis juillet 2022. Auparavant, elle était secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’engagement (2020-2022). Membre du parti centriste de François Bayrou, le MoDem, Sarah El Haïry a été élue députée de Loire Atlantique en 2017 et réélue en 2022.

EURACTIV France. Pourquoi est-il important de parler d’Europe aux jeunes, comme vous l’avez fait à Marseille jeudi ?

Sarah El Haïry. Nous voulons développer le sentiment d’appartenance à l’Europe chez les jeunes. Il est plus faible chez les jeunes Français que chez les jeunes Allemands par exemple. Nous devons donc le nourrir davantage.

Cela doit passer par un meilleur apprentissage et donc compréhension des institutions européennes. Nous devons également célébrer plus fortement encore les réussites de l’Union européenne : les projets qu’elle finance, les nouveaux droits qu’elle protège.

Mais les années de Covid-19 ont été un accélérateur du sentiment d’appartenance à une Europe humaniste et solidaire, qui touche nos vies et notre quotidien.

Ils vous ont notamment demandé à être davantage associés à la prise de décision. Que leur avez-vous répondu ?

Que je suis d’accord avec eux, les jeunes doivent être au cœur de la prise des décisions. Pendant la Présidence française de l’Union européenne [PFUE], le gouvernement français a choisi de pleinement associer les jeunes aux décisions. Notamment par la présence d’un « ambassadeur » de la jeunesse aux côtés du ministre de leur pays, pendant le Conseil des ministres de la Jeunesse.

Qu’avez-vous à proposer aux jeunes Français pour alimenter le sentiment d’appartenance à l’Europe ?

Les jeunesses européennes ont besoin de se voir et de se comprendre. Les dispositifs Erasmus+ et le Corps européen de solidarité peuvent créer ce sentiment européen ainsi que l’enseignement des langues européennes.

Et à tout âge ! Nous pouvons également imaginer des jumelages pour faire découvrir aux enfants les villes européennes, qu’ils aient un correspondant dans un autre pays.

Un autre levier est la force de l’engagement individuel et collectif des jeunes, que nous devons accompagner, dans une logique européenne.

Justement, dans votre dialogue avec eux, nous avons beaucoup entendu parler de climat, de droits des femmes, des LGBT, d’antiracisme. Comment l’Europe répond-elle à ces préoccupations ?

L’Europe est un accélérateur de solutions dans les grands défis qui sont devant nous.

Elle n’est pas qu’un guichet de droits, c’est d’abord un projet politique, qui va à la conquête de droits et porte un idéal, fondé sur un socle de valeurs.

Certains ne partagent pas la même vision, voyant l’Europe comme lointaine. Quel message leur adressez-vous ?

Nous avons des personnalités et des partis, d’extrême droite et d’extrême gauche, qui désignent l’Europe comme bouc émissaire de toutes nos difficultés.

Or nous avons besoin de l’Europe pour tous les grands défis de notre siècle.

L’Union européenne protège l’égalité des droits, que les jeunes demandent avec force, mais qui est en danger au sein même de l’Union.

Quels sont les droits en danger ?

L’accès à l’IVG [interruption volontaire de grossesse] ou les droits LGBT sont aujourd’hui remis en question en Pologne et en Hongrie. Alors que ce sont des composantes de la dignité humaine et non des acquis sociaux sur lesquels on pourrait revenir.

En Italie, nous assistons à l’arrivée d’un gouvernement qui est très loin de notre socle de valeurs. Cela crée des tensions, comme cela s’est matérialisé concernant l’accueil de l’Ocean Viking par exemple. C’est pour cela que, plus que jamais, il nous faut réaffirmer notre solidarité européenne et notre humanisme. L’Europe ne laisse pas des gens mourir en mer.

Vous parliez de l’engagement des jeunes. Ils sont engagés, certes, mais ils votent peu.

Oui, et je souhaite leur rappeler : quel que soit leur engagement, il n’est possible que parce que nous sommes en démocratie.

La démocratie est un muscle, et l’abstention une forme d’atrophie.

Cette abstention reflète-t-elle une déconnexion entre jeunes et politique ?

Il y a aujourd’hui un degré de défiance envers la politique qui est extrêmement fort.

C’est la conséquence de la montée des populismes, que nous devons combattre. Par l’éducation à la raison, à la science, en renforçant l’éducation civique à l’école.

Le vote pourrait aussi être modernisé, par le vote électronique par exemple. Mais, avant tout, je pense que cela passe par une meilleure compréhension des institutions et de leur utilité.

Les jeunes ne les comprennent pas ?

Si, mais nous devons sortir de ce paradoxe d’une jeunesse extrêmement engagée et politique, mais qui déserte les urnes.

L’engagement individuel, associatif, syndical ne se substitue pas, mais se conjugue avec l’expression démocratique.

En tout cas, lorsqu’ils votent, les jeunes semblent peu sensibles au projet du président de la République, qui, à l’élection présidentielle, est arrivé après Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon chez les 18-35 ans.

Quand nous travaillons pour la cohésion sociale, pour l’emploi, l’éducation, la transition écologique, nous le faisons pour les jeunes.

Certes, il est plus simple d’animer la haine et la colère, comme le font les mouvements populistes.

La jeunesse n’est pas unique, ce n’est pas une communauté électorale. Notre combat est de ne pas tomber dans la facilité et de promouvoir un discours de la raison, plus complexe, mais juste.

Quels discours vous alertent chez vos opposants ?

Ils viennent chercher des émotions, pas des solutions.

Prenez la laïcité : l’extrême gauche racialise le débat et promeut une vision indigéniste de la société, tandis que l’extrême droite la tord pour proférer des discours de haine. Cela crée une incompréhension générale, c’est dangereux.

Les jeunes ne sont plus sensibles à la laïcité ?

Nous avons longtemps considéré la laïcité comme un acquis de notre pays et nous avons cessé de l’enseigner. Elle est mal comprise, voire mal aimée, par une partie de notre jeunesse.

Certains voient la laïcité comme une contrainte, or elle est la condition nécessaire à l’égalité des droits et à la liberté.

Nous le voyons en Iran avec ces femmes qui se battent contre le voile, ou aux États-Unis avec les restrictions de l’accès à l’avortement qui se développent sous l’effet, notamment, d’un discours religieux conservateur.

Et en France, quels dangers court-on, d’après vous ?

Il y a une idéologie mortifère, l’Islam politique – qui n’est évidemment pas à confondre avec la religion musulmane – qui cherche à mettre à mal le modèle français d’émancipation.

Nous le constatons par exemple par l’apparition de défis sur TikTok, poussant les jeunes filles à se rendre en abaya à l’école.

Ce sont des provocations envers notre modèle de cohésion. L’école est un sanctuaire, laïc et neutre.

Cette conception française de la laïcité est-elle comprise dans le reste de l’UE ou dans ses institutions ?

Pas totalement. Souvenez-vous, j’étais montée au créneau quand le Conseil de l’Europe avait promu une campagne « La Liberté est dans le Hijab ». Pour nous, cela n’est pas audible.

Est-elle fragilisée, aujourd’hui, la laïcité ?

Elle est contestée notamment par l’importation d’un modèle anglo-saxon, de la cancel culture, alors que notre pays n’a jamais fait la différence entre les citoyens en fonction de leur couleur de peau.

La France est le fruit de la diversité de cultures et préfère regarder ce que nous avons en commun davantage que ce qui pourrait nous différencier.

Nous considérons qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les discriminations, qui doivent toutes recevoir la même fermeté dans la réponse.

Lundi (28 novembre) vous participerez au Conseil Jeunesse de l’UE. Quel sera votre message ?

Que l’Europe doit être à la hauteur des enjeux du moment, pour l’avenir de sa jeunesse. Que nous devons pérenniser et valoriser l’héritage de l’Année européenne de la jeunesse, et notamment donner des suites aux témoignages que nous ont fait parvenir les jeunes durant toute cette année, à travers les consultations qui ont été menées. L’enjeu est de faire le lien entre cette parole et la prise de décision institutionnelle.

Je veux une Europe qui appartienne aux jeunes. À eux de bâtir l’Europe qu’ils désirent. Pour cela, il faut voter, se présenter, et faire vivre sa citoyenneté européenne. Et sans jamais penser qu’être Français et être Européen seraient deux identités qui s’opposent.

[Propos recueillis par Davide Basso le 24 novembre 2022]

Inscrivez-vous à notre newsletter

S'inscrire