Prix Goncourt des détenus : "Les rendre actifs et acteurs d'une sélection"

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Prix Goncourt des détenus : "Les rendre actifs et acteurs d'une sélection"

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La création du Prix Goncourt des détenus contribue à l’engagement du Centre national du livre à “favoriser la lecture comme vecteur d’inclusion sociale”.
La création du Prix Goncourt des détenus contribue à l’engagement du Centre national du livre à “favoriser la lecture comme vecteur d’inclusion sociale”.
© Getty - erhui1979

Co-créateur du Goncourt des détenus, le Centre national du livre est un partenaire historique de l'Administration pénitentiaire. Pour Édith Girard, responsable du "Pôle bibliothèques et action territoriale", la promotion du développement de la lecture dans les prisons est un chantier prioritaire.

Le premier Goncourt des détenus, prix associé à la plus prestigieuse des récompenses littéraires françaises, sera décerné le 15 décembre, après le sacre le mois dernier au restaurant Drouant de Brigitte Giraud pour Vivre vite et la proclamation ce jeudi 24 novembre du 35e Goncourt des lycéens.

Quelque 500 détenus, dans 31 établissements pénitentiaires, se sont portés volontaires pour devenir “jurés”, en participant à des ateliers et à des rencontres exceptionnelles, en prison, avec des autrices et auteurs en lice.

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Une rencontre entre des “jurés” du Goncourt des détenus et l’écrivaine Muriel Barbery, dans une bibliothèque de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le 9 novembre 2022. Reportage de Benoît Grossin.

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Ce sont les mêmes romans, les quinze romans de la première sélection de l’Académie, qui vont être départagés.

Le Goncourt des détenus, construit sur le modèle du Goncourt des lycéens, est une initiative conjointe du ministère de la Justice et du ministère de la Culture, alors que la lecture a été déclarée "grande cause nationale 2021-2022" par le chef de l’État, Emmanuel Macron.

Son premier lauréat sera annoncé à l’issue de délibérations nationales au CNL, Centre national du livre, créateur et organisateur du nouveau prix littéraire avec les services pénitentiaires.

Le Goncourt des détenus est le point d’orgue d’une politique au long cours de cet établissement public sous la tutelle du ministère de la Culture, en contribuant à son engagement : "favoriser la lecture comme vecteur d’inclusion sociale".

Entretien avec la responsable du "Pôle bibliothèque et action territoriale" du CNL, Édith Girard, chargée notamment du développement de la lecture en prison.

Au CNL, Edith Girard, chargée du développement de la lecture en prison, compte beaucoup sur l’engagement d'associations dans les établissements pénitentiaires.
Au CNL, Edith Girard, chargée du développement de la lecture en prison, compte beaucoup sur l’engagement d'associations dans les établissements pénitentiaires.
© Radio France - Benoît Grossin

Pourquoi et comment avez-vous élaboré cette première édition du Goncourt des détenus ?

Le Goncourt des détenus s'est construit après une annonce faite en 2021 par le président de la République. Emmanuel Macron a en effet déclaré la lecture "grande cause nationale". Il était important pour le CNL de mettre en place des projets à destination de tous les publics dont les détenus, les personnes placées sous main de justice, dans une idée de favoriser le développement de la lecture à tous les endroits, dans tous les interstices de la vie et chez toutes les personnes du territoire. Il était important que le CNL puisse s'engager aussi en étant porteur directement d'une action, en étant opérateur. Cela venait vraiment compléter une intervention d'ensemble. Le Goncourt des détenus s'inscrit dans un cadre plus large d'accompagnement du développement de la lecture du CNL pour les personnes placées sous main de justice.

Nous nous sommes inspirés très fortement du Goncourt des lycéens qui est en place depuis longtemps, une trentaine d'années maintenant. En partenariat avec l'Académie Goncourt, nous avons donc souhaité développer un projet spécifique pour les détenus avec le système de lecture, de mise en place de comités de lecture dans les établissements. Les détenus ont eu à disposition les livres, les quinze ouvrages de la première sélection de l’Académie Goncourt. Ils ont pu bénéficier de temps de médiation portés par les opérateurs des établissements pénitentiaires et d’échanges avec des autrices et auteurs, organisés par le Centre national du livre. Il y a donc plusieurs étapes pour le CNL : la livraison des livres dans les établissements pénitentiaires, la mise en place des ateliers, l'organisation des rencontres, les délibérations régionales du 21 novembre au 1ᵉʳ décembre et enfin les délibérations nationales le 15 décembre au Centre national du livre.

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Nous nous plaçons juste après le Goncourt des lycéens qui sera décerné le 24 novembre, avec cette idée de remontée petit à petit des sélections, pour une sélection finale. L'idée, c'est vraiment de rendre les détenus actifs et acteurs de cette sélection, puisqu'ils ont déjà le choix du livre ou des livres pour la lecture. Quinze romans à lire pour chaque détenu, ce n’est pas une mince affaire. Chaque détenu dans les 31 établissements pénitenciers décide de choisir un ou plusieurs livres et en débat avec les quatorze autres participants de son établissement, pour parvenir à une sélection de trois livres. Aux délibérations régionales, les détenus délégués de chaque établissement se mettent d'accord sur une nouvelle sélection de trois livres et enfin aux délibérations nationales, des détenus des dix régions pénitentiaires représentées débattront des livres qui resteront en lice : entre trois et donc potentiellement quinze romans toujours en lice, dans ce dernier rendez-vous au CNL, le 15 décembre.

Qu’est-ce que cela signifie pour les quelque 500 détenus membres du jury ?

C'est l'occasion par la lecture, de pouvoir refaire lien avec la société et ce qui se passe à l'extérieur. En les remettant dans une actualité, l’actualité littéraire, cela favorise l'inclusion sociale et la réinsertion de ces personnes placées sous main de justice. Il s’agit de faciliter l'accès à la lecture, mais aussi l'accès au débat, de faire ressortir leur avis, leur pensée sur un ouvrage à travers un prix qui est reconnu et qui permet de valoriser ce que chacun peut tirer d'une lecture. Le fait d'être associé à l'Académie Goncourt et de porter ce nom de Goncourt, c'est un signe fort de reconnaissance de leur esprit critique et de leur capacité de lecture, de sensibilité et de pouvoir aussi l'exprimer. C’est donc un signe fort de reconnaissance et de valorisation, alors qu'on connaît les difficultés rencontrées pour de nombreuses personnes détenues, les difficultés d'apprentissage de la langue française ou de lecture. Il y a 79 000 détenus aujourd'hui en France et on sait que leur niveau d'étude est assez bas. Ceux qui participent à des projets de développement de la lecture et à ce Goncourt des détenus en particulier, sont souvent également dans un processus de reprise d’étude. Certains que j’ai pu rencontrer sur le terrain cherchent à obtenir le diplôme universitaire, équivalent du baccalauréat, voire une licence de lettres modernes.

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Ce Goncourt des détenus participe vraiment pleinement à la réinsertion sociale et donc à la prévention de la récidive. C'est un apprentissage de la lecture, un renforcement de l'apprentissage de la langue française et de l'art du débat. Cela permet d'en faire des citoyens plus armés à l'extérieur, à l'actualité extérieure, en intégrant aussi le consensus, la recherche de consensus. Parce que l'idée, c'est aussi pour les détenus d'aller chercher à se mettre d'accord sur ce Prix Goncourt qu'ils vont décerner ensemble, collectivement. Cela met fin aux propensions à l'esprit de compétition inhérent et assez fort quand ces personnes arrivent en prison, comme nous le dit l'Administration pénitentiaire. Quand ces gens vont sortir un jour, ils seront amenés à débattre et à prendre leur place aussi dans l'actualité, qu'elle soit littéraire, sociale, culturelle, sans que cela passe par la violence.

Le ministère de la Justice et le ministère de la Culture qui œuvrent ensemble dans les prisons, ce n'est pas inédit ?

Ce n'est pas inédit en effet. Cet engagement du développement pour le développement de la lecture est porté conjointement par le ministère de la Justice et le ministère de la Culture depuis les années 1980, à travers différentes conventions ou protocoles d'accord. Le dernier renouvelé en 2022 réaffirme justement la lecture et le développement culturel au sens large comme composantes essentielles de la réinsertion sociale. Il n'existe pas de prison sans bibliothèque. Le coup d’envoi date de 1985, sous Robert Badinter et Jack Lang qui ont inscrit cette obligation de créer des bibliothèques dans les prisons. Et dans les établissements pénitentiaires, 188 aujourd’hui, leur nombre n’a cessé d’augmenter, jusqu’à dix bibliothèques par exemple à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.

“C’est un élément fondamental pour faire le lien du dedans vers le dehors, c’est prévenir la récidive” : Franck Linarès, directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.

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La romancière Muriel Barbery, lors d’une rencontre avec une dizaine de détenus dans une bibliothèque de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le 9 novembre 2022.
La romancière Muriel Barbery, lors d’une rencontre avec une dizaine de détenus dans une bibliothèque de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le 9 novembre 2022.
© Radio France - Benoît Grossin

Il y a la lecture, mais également les autres disciplines artistiques et culturelles, comme le spectacle vivant et le cinéma. Les conventions visent à rendre les personnes placées sous main de justice actrices de leur vie culturelle. Elles stipulent que tout projet immobilier, de construction ou de rénovation d'établissements pénitenciers doit comprendre des espaces d'intervention, des espaces pour la lecture et des espaces pour pouvoir organiser des activités culturelles et artistiques.

La lecture reste une priorité. Le protocole d'accord de 2022 insiste aussi sur le besoin de formation des acteurs impliqués sur le terrain et notamment des auxi-bibliothécaires qui sont des agents essentiels pour faire vivre les bibliothèques dans les prisons. Les auxi-bibliothécaires, ce sont les personnes placées sous main de justice qui s'engagent au sein des bibliothèques des prisons. Accompagnés de professionnels, ils s'occupent de l'acquisition de collections. Ils sont au cœur d'animations culturelles, que ce soit des lectures à voix haute ou des ateliers qui peuvent être des ateliers d'écriture et ils ont également un rôle de conseil auprès des autres détenus. C'est l'apprentissage d'un métier et donc un tremplin parce qu'ils pourront à terme prendre des postes de bibliothécaires à l'extérieur.

Comment le Goncourt des détenus peut-il être mis en œuvre ? Avec le soutien de partenaires, d’associations ?

Il y a l'organisation au niveau national, tout ce que met à disposition le CNL, des livres aux rencontres avec les autrices et auteurs. Mais c'est surtout l'animation au sein des centres qui est importante. Cette animation est portée par les coordinateurs culturels à l'intérieur des établissements pénitenciers, en lien avec des associations qui agissent depuis longtemps sur le territoire ou qui sont en partenariat avec ces établissements depuis un certain nombre d'années. C'est le cas notamment pour Fleury-Mérogis, avec “ Lire C'est Vivre”.

“Le cœur de notre activité, c’est d’animer ces bibliothèques. Nous sommes là pour que les personnes détenues puissent se reconstruire” : Bernadette Coupechoux, présidente de "Lire C'est Vivre"

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Depuis 1987, cette association mène des actions de développement de la lecture, met en place des actions de médiation et toute une politique d'acquisition de fonds. Dans le cadre du Goncourt des détenus, ses bénévoles ont pu mettre en œuvre toute la politique d'animation, de débats, de constitution des groupes au sein de l'établissement. Nous comptons beaucoup sur ces associations qui travaillent avec les coordinateurs culturels : “Lire C’est Vivre”, mais aussi “ La ligue de l’enseignement” à Nanterre ou encore “Dédale” à Nancy.

C'est une aide précieuse parce qu'elles assurent au quotidien le lien avec les détenus. Elles connaissent les détenus, leurs sensibilités et elles peuvent donc les accompagner dans les choix de lecture puis dans la construction d'un argumentaire pour défendre un ouvrage.

Quand il n'y a pas d'association, il y a tout le travail assuré par les bibliothèques territoriales. C’est le cas notamment en Normandie. Les bibliothécaires territoriaux apportent leur aide aux coordinateurs culturels des établissements pénitentiaires, pour la constitution de fonds ou le renouvellement des collections. Et ils agissent aussi avec les auxi-bibliothécaires sur place pour faire vivre la bibliothèque, accompagner les détenus dans la lecture et dans les conseils de lecture.

C’est au 53 rue de Verneuil à Paris, dans le salon d’honneur du CNL, que sera proclamé le premier Prix Goncourt des détenus, le 15 décembre 2022.
C’est au 53 rue de Verneuil à Paris, dans le salon d’honneur du CNL, que sera proclamé le premier Prix Goncourt des détenus, le 15 décembre 2022.
© Radio France - Benoît Grossin

Le livre dans les prisons, c'est une politique au long cours pour le CNL ?

Le Centre national du livre soutient depuis la fin des années 1990 l'acquisition de collections pour les bibliothèques installées dans les établissements pénitentiaires, en validant une vingtaine de projets par an. Ces projets portés par des associations ou des bibliothèques territoriales sont aussi des projets de médiation : programmation d'ateliers culturels, venues de compagnies, de conteurs... en lien avec la politique d’acquisition.

Il est important de renouveler les fonds des bibliothèques des établissements pénitentiaires. Si un fonds vieillit, il devient inintéressant voire contreproductif. Pour attirer les détenus à la lecture, pour susciter le désir de lire, il y a donc un projet éditorial. Les associations présentent toujours des demandes d'acquisition thématiques, des demandes d'acquisition notamment en fonds bilingues pour l'apprentissage de la langue française, des bandes dessinées, mangas en particulier, et des ouvrages sur la jeunesse, puisque les détenus s'intéressent à ce que peuvent lire leurs enfants, à l'extérieur. Des publications liées au sport très fort en prison, un “endroit d’évasion” pour les détenus, en passant par des livres sur le développement personnel... il y a énormément de demandes sur le rapport entre le corps et l'esprit : “Entre la tête et les jambes”, pour reprendre le projet porté par "Lire C'est vivre", à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.

Nous laissons vraiment les associations libres de décider avec les personnes placées sous main de justice et notamment avec les auxi-bibliothécaires des choix et des besoins. Le Goncourt des détenus permet donc aussi de nourrir, de renouveler les fonds, avec clairement de la nouveauté et de l'actualité littéraire. Ce qui est important, c'est qu'il y ait des livres qui parlent aux détenus. Cette politique donne des résultats puisque nous avons en moyenne 30% d'inscrits dans les bibliothèques des établissements pénitentiaires, contre 15 à 20% dans les bibliothèques en général.

Le Centre national du livre mobilise d'importants financements, de 180 000 à 250 000 euros par an, pour cette politique d'acquisition et de médiation. Cela représente environ 40 % des budgets du CNL pour le développement de la lecture auprès des publics spécifiques, empêchés de lire ou présentant des difficultés dans la pratique, du fait d'un handicap ou encore d'une hospitalisation.

La promotion du développement de la lecture dans les prisons est notre chantier prioritaire, car nous croyons fermement au pouvoir du plaisir et du goût de la lecture comme vecteur d'inclusion sociale.