La “Maja nue”, le tableau de tous les scandales

La "Maja nue" de Goya, peinte aussi en version censurée, a alimenté des fantasmes pendant deux siècles.
La "Maja nue" de Goya, peinte aussi en version censurée, a alimenté des fantasmes pendant deux siècles.
La "Maja nue", tableau de tous les scandales
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La “Maja nue”, le tableau de tous les scandales

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Elle a failli envoyer son auteur, Francisco de Goya, au bûcher, et a fait polémique jusque dans les universités américaines contemporaines. Derrière la “Maja nue”, une histoire sulfureuse d’influence, de censure, de tabou.

C'est l'un des premiers nus de la peinture, qui a failli envoyer son auteur, Francisco de Goya, au bûcher. Peinte en version censurée et “pour adultes”, la Maja nue a été imprimée sur des timbres en 1930. Choqués, certains destinataires des lettres les renvoyaient à leur expéditeur.

Créée entre 1790 et 1800, la Maja desnuda est seulement le deuxième nu peint en Espagne, 70 ans avant L’Origine du monde de Gustave Courbet. Même si l’oeuvre reste confidentielle dans un premier temps, la rumeur de son existence fait scandale, rappelle la commissaire de l’exposition “Expérience Goya” au Palais des Beaux-Arts de Lille, Donatienne Dujardin : “Ce sujet était proscrit, jugé obscène par l'Église et souvent mis en cause par le tribunal de l’Inquisition”, un organe autoritaire chargé de sanctionner l’hérésie, en vigueur en Espagne entre 1478 et 1834.

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Ouh là l'Art !
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Le tableau est révolutionnaire : on y voit la nudité entière d’une personne réelle et non mythologique, dans une posture érotique, poils pubiens apparents… Le tout en grandeur nature puisque le tableau mesure 1,90m.

À la commande de cette oeuvre : Manuel Godoy, le chef du gouvernement espagnol, nommé par le roi Charles IV.

Qui se cache derrière la Maja ?

Mais qui est cette Maja ? Les spécialistes ont longtemps penché pour la treizième duchesse d’Albe, la maîtresse de Goya. Mais on sait aujourd’hui qu’elle représente plutôt l’actrice Pepita Tudó, maîtresse puis épouse de Godoy. “À moins qu'il ne s'agisse d'une femme idéalisée, reprenant différentes beautés de l'époque”, évoque Donatienne Dujardin.

Pour cacher l’objet du scandale, Manuel Godoy va commander la même peinture... version habillée. La “Maja vestida” est disposée dans un cabinet secret, devant sa réplique nue, grâce à un mécanisme coulissant.

La "Maja vestida", réplique de la version nue, fut disposée devant la première pour la masquer.
La "Maja vestida", réplique de la version nue, fut disposée devant la première pour la masquer.
- Francisco de Goya

Le cours de l’histoire va révéler au grand jour l’existence du tableau. En 1808, le peuple madrilène se soulève. Le roi Charles IV abdique, remplacé par son fils Ferdinand VII, qui découvre la “Maja desnuda” et la confisque. Mais l’Inquisition n’a pas le temps de sanctionner Goya puisque Napoléon envahit l’Espagne dans la foulée et abolit ce tribunal.

C’est le début de la guerre d’indépendance : une période marquante pour Goya puisqu’elle lui permet de s'inscrire comme un maître de la peinture historique, avec ses Dos et Tres de Mayo.

Goya proche du bûcher

Une fois Napoléon parti d’Espagne, en 1814, Ferdinand VII revient au pouvoir. Il rétablit l’Inquisition et veut faire un exemple avec ce tableau. On intente un procès à Goya pour obscénité. En théorie, le peintre risque le bûcher. Il est finalement acquitté grâce à l’intervention du cardinal Louis Marie de Bourbon... qui n’est autre que le beau-frère de Godoy, le commanditaire du tableau. L’histoire de la Maja desnuda est avant tout une histoire d’influences entre puissants.

Deux siècles après, encore une polémique

Le tableau restera caché à l’Académie royale de San Fernando bien après la mort de Goya, en 1828, et la fin de l’Inquisition, en 1834. Il entre enfin en 1901 au musée du Prado, à Madrid.

Sa postérité est bien vivante puisqu’il inspire le cinéma, avec Goya à Bordeaux de Carlos Saura, Goya, l’hérétique de Konrad Wolf et La Maja nue d’Henry Koster. Son contenu, lui, continuera de faire polémique. En 1991, une professeure d’anglais de l’université de Penn State, aux États-Unis, a fait retirer une réplique de l’œuvre affichée dans une salle de classe, faisant valoir qu’elle rendait certaines femmes mal à l’aise. L’époque change, la nudité questionne toujours.