Un homme atteint d’amnésie transitoire après un rapport sexuel avec sa femme

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C’est l’histoire d’un Américain de 53 ans, accompagné de sa femme, qui se présente à trois heures du matin aux urgences d’un hôpital pour une perte de mémoire et une confusion mentale. Elle est rapportée dans un article publié en ligne le 21 octobre 2022 dans la revue Cureus par des médecins de l’hôpital Long Island Jewish Forest Hills (Queens, New York).

Tout a commencé deux heures plus tôt alors qu’il s’apprêtait à aller au lit. La veille, il a roulé de l’État de Caroline du Nord à New York, mais ne se souvient plus d’une partie de son voyage en voiture. La dernière chose dont il se souvienne est d’avoir été dans un petit magasin de Baltimore et de s’être retrouvé à son domicile de New York.  

Sa femme indique à l’équipe soignante que son mari a ressenti un mal de tête après qu’ils aient eu un rapport sexuel à 12h15. Elle a alors remarqué qu’il était confus. Son mari n’a à aucun moment perdu connaissance. Il n’a pas été victime de traumatisme crânien, ne présente pas de faiblesse musculaire, de troubles de la vision, de douleurs dans la poitrine, de gêne respiratoire, n’a pas vomi. Ce patient n’a pas d’antécédents neurologiques (AVC, démence, épilepsie) et n’a jamais présenté ce genre de trouble auparavant. Il ne prend aucun médicament, ni drogue. Il ne fume pas et ne boit pas d’alcool.  

Cet homme est incapable de dire la date du jour, de nommer l’actuel président des États-Unis  ou indiquer quelle est son adresse. Il est parfaitement conscient, cohérent et alerte. L’examen neurologique ne montre par ailleurs rien d’anormal : il n’existe pas de troubles moteurs ou sensitifs, d’atteinte des nerfs crâniens, ni de signe neurologique focal. Il n’y a pas non plus de trouble de la vigilance ou de perte de l’identité personnelle. 

Le patient est gardé en observation à l’hôpital. Le bilan biologique sanguin ne montre rien de particulier. Un examen par résonance magnétique (IRM en séquence diffusion) du cerveau est réalisé 13 heures après la perte de mémoire. Il montre la présence d’un hypersignal punctiforme au sein du lobe temporal interne droit, dans la région de l’hippocampe.

IRM cérébrale, coupe axiale en séquence de diffusion, réalisée 13h après le début d’un ictus amnésique, montrant un hypersignal punctiforme dans la partie latérale de l’hippocampe droit. Askar E, et al. Cureus. 2022 Oct 21.

Un électroencéphalogramme, effectué 15 heures après l’incident, ne montre pas d’activité épileptique, ni aucune autre anomalie.

Le patient sort de l’hôpital, 48 heures après l’incident. Il ne présente aucune séquelle neurologique. Il a alors retrouvé la notion du temps et de l’espace, mais ne garde cependant aucun souvenir de la période correspondant à l’épisode amnésique. Le patient a été revu trois, quatre et neuf mois plus tard. À chaque consultation, ses fonctions cognitives et son état neurologique étaient normaux.

Réalisée huit mois après son admission aux urgences, une IRM cérébrale a montré la disparition de l’hypersignal dans le lobe temporal interne droit. Aucune autre anomalie n’est présente sur les clichés IRM. Ces résultats indiquent que le patient n’a pas été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC), mais d’un ictus amnésique comme le l’appellent les neurologues.

Ictus amnésique

L’ictus amnésique représente la cause la plus fréquente des amnésies transitoires. Pendant cet épisode, on observe une amnésie dite antérograde : l’individu n’est pas capable de se souvenir des circonstances qui suivent le début de l’ictus. La présence de l’amnésie antérograde est authentifiée par un témoin (la femme du patient dans le cas décrit plus haut). La présence d’un témoin en début d’épisode amnésique permet d’éliminer une amnésie post-traumatique.

La personne n’enregistre plus de nouveaux souvenirs. L’oubli des événements est total. Cette amnésie antérograde s’accompagne fréquemment d’une amnésie dite rétrograde (faits anciens), la perte de mémoire pouvant s’étendre aux heures ou aux jours qui précèdent. L’amnésie antérograde est massive, alors que l’amnésie rétrograde est présente dans une moindre mesure. Il arrive parfois que l’amnésie rétrograde couvre une durée plus longue, de plusieurs années.

Atteinte subite de la mémoire

La survenue de l’ictus amnésique suit un parcours stéréotypé. En l’absence de tout symptôme annonciateur, le patient se trouve tout à coup dans un état de désorientation temporelle. Il ne sait plus quelle heure il est, ni la date du jour. Il ignore également ce qu’il fait là, de même que ce qu’il a fait dans les heures ou les jours précédents. Le patient interroge les personnes de son entourage immédiat et pose inlassablement les mêmes questions (« quelle heure est-il ? que faisons-nous là ? ») car il oublie aussitôt les réponses. Ce questionnement itératif est très caractéristique de l’ictus amnésique.

Durant l’ictus amnésique, lorsqu’on l’interroge, le patient se montre incapable de se souvenir de ce qu’il voit ou entend au-delà d’une à deux minutes. L’amnésie touche exclusivement la mémoire épisodique, c’est-à-dire la mémoire des événements. En plus de cette amnésie antérograde (ou « oubli à mesure »), on observe un état d’anxiété en phase aiguë.

Après quelques heures, on observe une disparition progressive de l’amnésie rétrograde et l’amnésie antérograde se dissipe. La personne retrouve alors la notion du déroulement du temps. Elle ne garde cependant aucun souvenir de ce qui s’est passé durant l’épisode amnésique. En d’autres termes, la personne victime d’un ictus amnésique ne garde aucune séquelle neurologique si ce n’est l’amnésie lacunaire correspondant à l’incident. Cette lacune amnésique est parfois source d’une vive source d’inquiétude, la personne se demandant ce qu’elle a bien pu faire pendant cette période.

Un syndrome connu depuis 1956, des critères cliniques validés en 1990

L’ictus amnésique fut identifié, nommé et décrit comme un syndrome neurologique à part entière en 1956, par deux auteurs lyonnais, Jean Guyotat et Jean Courjon. Ceux-ci parlaient alors d’« amnésie brutale surtout de fixation », « survenant vers la soixantaine », « durée d’environ 4 heures », « le malade ne se souvient pas de ce qui s’est passé », « doit être distingué des formes psychiques de l’épilepsie », « semble de pronostic favorable ».  

En 1958, les neurologues américains C. Miller Fisher et Raymond D. Adams créent l’appellation anglo-saxonne de transient global amnesia (TGA) pour désigner ce phénomène. En 1985, des critères cliniques de diagnostic sont proposés. Ils sont validés en 1990 et sont toujours d’actualité.

Régression sans séquelles en moins de 24 heures

On estime que l’incidence de l’ictus amnésique est entre 3 et 8 cas pour 100 000 avec, selon les publications, autant d’hommes que de femmes (sex-ratio égal à 1) ou une prédominance féminine. Le pic d’incidence se situe entre 60 et 65 ans, avec des extrêmes de 25 et 85 ans. L’incidence est plus élevée en période de froid.

La durée moyenne de l’épisode amnésique est de quatre à six heures. Dans 80 % des cas, l’amnésie dure entre une et dix heures. Ce syndrome ne récidive que dans un petit pourcentage de cas. Une étude portant sur 1 000 cas a trouvé un taux de récidive de 13,7 % et a indiqué que ces personnes étaient plus jeunes et plus souvent migraineuses que les autres. Les récidives se font alors sur le même mode que l’épisode initial.

Fréquent déclenchement par un stress physique ou psychologique

La cause de l’ictus amnésique demeure inconnue. On note cependant que l’incidence de ce syndrome est plus élevée chez les migraineux.

Dans au moins la moitié des cas, un facteur déclenchant est identifié : émotion intense (notamment après l’annonce d’une mauvaise nouvelle), effort physique inhabituel, bain froid, douleur aiguë, relation sexuelle. Un mal de tête (céphalée) accompagne souvent l’ictus amnésique.

Hypersignal punctiforme dans la partie latérale de l’hippocampe

Un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) est systématiquement recommandé. En effet, l’ictus amnésique a souvent une signature à l’IRM de diffusion, examen d’imagerie permettant de détecter une zone de souffrance cérébrale.

Dans 80 % des cas, on observe, dans un intervalle de 12 à 14 heures après le début de l’ictus amnésique, un signal punctiforme de forte intensité (hypersignal) en IRM de diffusion dans le lobe temporal interne (de façon uni- ou bilatérale). Cet hypersignal siège dans la partie latérale de l’hippocampe.

L’IRM peut ne détecter aucune anomalie lorsqu’elle est réalisée peu de temps après l’incident, alors que cet examen d’imagerie peut montrer le lendemain un hypersignal punctiforme. Ces hypersignaux, qui peuvent être visibles jusqu’à une semaine après l’incident, disparaissent ensuite totalement.

Pour conclure ce billet de blog consacré à l’ictus amnésique, je ne voudrais pas oublier de vous parler d’autres cas cliniques.

En mai 2022, des neurologues irlandais de l’hôpital universitaire de Limerick ont rapporté dans l’Irish Medical Journal un cas d’ictus amnésique chez un homme de 66 ans. Ce patient a présenté une amnésie antérograde et rétrograde. Il avait été victime d’un épisode amnésique similaire sept ans plus tôt, survenu dans les mêmes circonstances (début de l’ictus après un rapport sexuel). Chez ce patient, la perte de mémoire est survenue dans les dix minutes après un rapport sexuel avec sa femme. Après avoir vu la date du jour sur son téléphone, il se montre affligé d’avoir oublié de fêter son anniversaire de mariage et ce, alors même qu’il l’avait célébré la veille en famille. Il ne conserve aucun souvenir de ce matin-là et du jour d’avant. Il n’arrête pas de questionner sa femme et sa fille sur les événements survenus durant cet intervalle de temps. L’IRM de diffusion, réalisée 24 heures après le début de l’ictus, a mis en évidence un hypersignal punctiforme dans le lobe temporal interne gauche.

En 2011, des médecins urgentistes américains ont décrit dans le Journal of Emergency Medicine le cas d’une femme de 54 ans qui a présenté un ictus amnésique après un rapport sexuel avec son mari. Après un orgasme, elle n’était plus capable de se souvenir des événements des dernières 24 heures. L’amnésie avait duré environ 20 minutes et avait régressé progressivement en 40 minutes.

En 2005, des médecins irlandais ont rapporté chez une femme de 58 ans un cas d’ictus amnésique, survenu immédiatement après un rapport sexuel, aux dires de son mari. La patiente présentait une amnésie antérograde massive ainsi qu’une amnésie rétrograde. Elle était incapable de savoir où elle se trouvait, ni la date du jour, ni celle de son anniversaire de mariage. La patiente a retrouvé la mémoire après une durée de 14 heures. Le lendemain, elle se plaignait d’une céphalée frontale. On sait que les heures qui suivent un ictus amnésique s’accompagnent parfois d’une céphalée.

En 1998, des médecins américains ont rapporté dans The Lancet deux cas d’ictus amnésique. La première observation clinique concerne un homme de 72 ans victime d’un ictus amnésique dans les 30 minutes suivant un rapport sexuel avec sa femme. Il avait déjà présenté une perte de mémoire deux ans auparavant. Le second cas est celui d’un médecin retraité qui a présenté une atteinte subite de la mémoire dans les 30 minutes suivant une relation sexuelle avec sa femme. Il a retrouvé la notion du déroulement du temps après un délai de 15 heures, mais n’a gardé aucun souvenir des six heures ayant suivi le rapport sexuel.

Le fait que l’ictus amnésique peut avoir le sexe comme facteur déclenchant a été décrit dès les premières études consacrées à cet intrigant syndrome.

En 1982, dans une étude conduite par le Dr C. Miller Fisher, des facteurs déclenchants avaient été identifiés dans 26 cas sur les 85 étudiés. Parmi ces 26, 7 étaient associés à un rapport sexuel. Enfin, en 1964, Fisher et Adams avaient décrit chez deux patients un ictus amnésique survenu au moment de l’orgasme lors d’un rapport sexuel. Ces personnes n’arrêtaient pas de demander : « Où suis-je ? Qu’est-il arrivé ? ».

Maintenant que vous savez l’essentiel sur l’épidémiologie, le profil clinique et l’imagerie de l’ictus amnésique, je vous souhaite d’oublier l’existence de ce syndrome la prochaine fois que vous batifolerez sous les draps.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon, et sur mon autre blog ‘Le diabète dans tous ses états’, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà trente billets). 

* Les hypersignaux en IRM de diffusion avec restriction d’ADC sont strictement localisés au champ CA1 (corne d’Ammon) de l’hippocampe. Ces signes à l’imagerie cérébrale traduisent un œdème cytotoxique. Le mécanisme de l’amnésie pourrait être en rapport avec le fait que les neurones du champ CA1 présentent une vulnérabilité sélective à un stress métabolique (glutamatergique), ce stress conduisant à un œdème cellulaire. On ignore cependant la cascade des anomalies métaboliques qui induiraient un dysfonctionnement temporaire de l’hippocampe, à l’origine de l’amnésie transitoire. La chronologie et la nature punctiforme des anomalies observées incitent à exclure une cause ischémique.

LIRE aussi : Ce que vous risquez sur le plan neurologique en faisant l’amour

Quand un neurologue subit un épisode amnésique transitoire

Pour en savoir plus :

Askar E, Gill H, Singh N. A Case of Transient Global Amnesia Triggered by Sexual Intercourse. Cureus. 2022 Oct 21;14(10):e30564. doi: 10.7759/cureus.30564

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Sparaco M, Pascarella R, Muccio CF, Zedde M. Forgetting the Unforgettable: Transient Global Amnesia Part I: Pathophysiology and Etiology. J Clin Med. 2022 Jun 12;11(12):3373. doi: 10.3390/jcm11123373

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