« Bonjour mes sœurs, vous avez fait ce que je vous ai demandé ? – Quoi donc, Madame Dati ? – Eh bien, prier pour nous, pauvres pécheurs ! » En ce début d'automne, alors que la guerre de succession a déjà commencé chez Les Républicains, la maire du 7e arrondissement de Paris vire-volte dans le couvent des Filles de la Charité, immense bâtisse adossée au Bon Marché. Un quarteron de religieuses à la retraite y attend l'heure du goûter. « Ah non, on chante d'abord ! » leur lance l'édile. Les sœurs : « Soyez en fête avec les anges du Seigneur… En fête avec Mme Dati. » L'élue LR : « Ah, quand on a un petit coup de mou, on prend toujours de la hauteur chez vous. » Et paf, la voilà qui invite une religieuse frôlant les 100 ans à danser un rock.   

Sur tous les fronts           

Sacrée Rachida Dati. Prête à tout pour monter plus haut ? Sauf qu'avec elle rien n'est simple. Il faut l'entendre raconter, au sortir de son goûter au couvent, comment elle, la fille des cités ouvrières de Chalon-sur-Saône, née d'un maçon marocain et d'une couturière algérienne, éduquée comme ses dix frères et sœurs dans un établissement catholique (« mes parents nous y avaient envoyés pour nous donner les meilleures chances de réussite »), séduit aussi bien « curés, bonnes sœurs » ou paroissiens de son très huppé arrondissement que « les habitants de Seine-Saint-Denis » qui l'appellent à l'aide « pour inscrire leurs enfants dans les écoles du 7e ». Il faut l'écouter narrer, sous les ors de son bureau, sa dernière campagne municipale : à la colline du crack « tous les mecs voulaient des selfies », au bois de Vincennes « y avait de la pute, du migrant, du toxico, on a fait salon dans des fauteuils crasseux », dans les salles de boxe du 18e ou les HLM du 20e « c'était du sans-papiers ou alors du salaf » [salafistes, ndlr]. Elle ? Même pas peur. Résultat : aux quatre coins de Paris, on l'appelle « Rachida ». Et en 2026, on va voir ce qu'on va voir. La tornade Dati ! En route pour de nouvelles aventures. Elle en a déjà connu tant. Première enfant d'immigrés nommée garde des Sceaux il y a quinze ans, « icône » admirée puis décriée, elle a chuté, en a bavé. Puis a ressuscité en principale opposante d'Anne Hidalgo. Aujourd'hui, les télés se l'arrachent. Jadis conspuée pour son goût du luxe, elle est même devenue tendance à gauche, invitée de l'été à l'université de La France insoumise, copinant avec Mélenchon. Ce qui ne l'empêche pas de rester une sorte de mascotte pour la droite, et la seule figure des Républicains à apparaître encore dans le top ten des baromètres de popularité, en compagnie de celui qui fut son mentor, Nicolas Sarkozy.              

« Elle est inoxydable », résume ce dernier dans les bureaux qu'il occupe rue de Miromesnil. L'ex-Président parle depuis le canapé crème face auquel il installe invariablement ses visiteurs après leur avoir offert un chocolat . Ce 9 novembre, il tient toutefois à préciser l'extraordinaire de la situation : « Jamais, je ne fais ça » (traduction : gloser sur ses amis ou adversaires sans réclamer le off). Si Nicolas Sarkozy déroge à la règle, c'est uniquement par « affection » pour « l'impétueuse » Dati, qu'il a nommée garde des Sceaux en 2007 afin d'envoyer « un message aux jeunes des quartiers ». Aujourd'hui, il constate que « malgré les honneurs elle a gardé intacte son énergie de gamine de banlieue » et aussi cette « authenticité » qu'il a toujours aimée chez elle. « Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu d'orages ni que je n'ai pas eu à affronter ses colères », poursuit le pygmalion retiré sur son Aventin, avant d'ajouter, toujours sans esquisser l'ombre d'un sourire et comme s'il s'exprimait en langage codé : « Cette écorchée vive peut passer de l'amour à la détestation avec une facilité déconcertante et, parfois, elle mord la ligne avec son tempérament de félin, mais dans la jungle cela vaut mieux que de se comporter comme un phacochère. » 

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La capitale pour bientôt ?                                                                      

Dati, comprend-on en filigrane, n'est pas près de se laisser abattre, même par ses protecteurs. « Instinct de survie exceptionnel », diagnostiquent ses conseillères Nelly Garnier et Emmanuelle Dauvergne, élues municipales dans la capitale. « Intuition surdéveloppée », renchérit la sénatrice de Paris Catherine Dumas. « Force de caractère hors du commun », complète l'aînée de la fratrie Dati, Malika, abasourdie par la phénoménale capacité de résistance de sa cadette : « Souvent je me suis dit, là, ce n'est pas possible, elle doit être en miettes. Mais non, elle se régénère. Chaque fois, elle repart à l'attaque. » Ne s'interdisant rien, osant tout. Postuler à la présidence de LR, par exemple, dont le premier tour a lieu ce 3 décembre. Rachida « la féline » avoue qu'elle y a songé. Éric Ciotti, l'un des très droitiers candidats en lice avec Aurélien Pradié et Bruno Retailleau, lui ayant « proposé de faire alliance », elle a aussitôt testé cette idée auprès de « quelques patrons » lors d'un dîner en ville : « Tu es dingue, se sont-ils écriés. Si tu t'allies avec ce facho, tu vas perdre Paris ! » Bien vu. Car, évidemment, ce n'est pas LR qu'elle désire plus que tout, mais la capitale. Tant pis si, pour gagner, elle devra encore y aller aux forceps. Lors des dernières municipales, pour s'imposer en tête de liste, il lui a fallu se battre contre les élus parisiens de son camp : « Même ma tête sur leurs affiches de campagne, ils ne la voulaient pas. » À l'arrivée, son score les a tous bluffés. Propreté, logement, sécurité, « elle bosse ses dossiers », concèdent même ceux qu'irrite « son show permanent ». Va-t-elle un jour se calmer ?

L'entourage d'Anne Hidalgo guette les suites de l'affaire Renault (Dati, soupçonnée d'avoir indûment perçu, en tant qu'avocate, 900 000 euros d'honoraires, y est mise en examen pour « corruption passive »). Lors du dernier Conseil de Paris, elle a même brandi un article de « Libération », évoquant le rôle supposé de sa rivale dans un embrouillamini avec le PSG et le Qatar. La veille, Dati avait fulminé contre le trou de 250 millions d'euros dans le budget de la ville et la hausse surprise de la taxe foncière (+ 50 %) : « Trahison, braquage des Parisiens… » Depuis des mois, elle défouraille à tout-va. « Sans jamais passer de deal avec nous, se plaint Emmanuel Grégoire, adjoint de la maire socialiste, c'est la première fois que cela nous arrive avec la droite. » Dati ne pouvait rêver d'un plus bel hommage : « Je leur fais peur. Dès que j'entre dans l'hémicycle, chez Hidalgo ils sont à cran. » Sur la maire de Paris, elle lâche : « Sa raclée à la présidentielle l'a rendue méchante. S'en prendre plein la gueule n'excuse pas tout. Dans les couloirs, je ne lui dis plus bonjour, je fais comme si elle n'était pas là. » Elle se grise, se voit déjà trôner à l'Hôtel de Ville, sûre de pouvoir ratisser un large électorat, des quartiers populaires (« dans les sondages, je suis haute auprès des gens qui triment ») au Marais (« chez les gays, je suis Dalida »), en passant bien sûr par son fief du 7e .

Une battante                                         

Nicolas Sarkozy, toujours depuis son canapé crème : « C'est moi qui, en 2008, l'ai envoyée dans cet arrondissement si conservateur. » Et « si plein d'églises », s'inquiétait alors le staff de l'ex-Président. Sa protégée y a été accueillie par quelques pincements de nez mais, aujourd'hui, elle est chez elle à Saint-Pierre-du-Gros-Caillou ou à Saint-François-Xavier : « J'y chante tous les dimanches, à la messe, comme quand j'étais petite, j'adore ça, je connais tous les cantiques. » Souvent, au moment de l'eucharistie, on la voit s'avancer vers l'autel pour recevoir la bénédiction destinée aux non-baptisés, manifestant ainsi, dit son ami Monseigneur Patrick Chauvet, ancien recteur de Notre-Dame, « une foi profonde sur laquelle elle appuie son action politique ». Quelle foi ? Vie privée, répond toujours Dati : « J'ai une relation très personnelle à la religion. Dans ma famille, on priait à la maison, pour la bonne raison qu'à l'époque il n'y en avait pas, de mosquées. » Ses parents ne sont plus là aujourd'hui, mais elle n'a « jamais renié » ses origines. Sa très nombreuse fratrie, ses 69 neveux et nièces, les oncles, les tantes, les pièces rapportées, qui demeurent dans les boucles WhatsApp « même après les divorces », constituent toujours son socle. « On avance en meute », résume-t-elle, avant de décrire avec force détails comment, en 2017, elle et ses sœurs se sont relayées « toutes les nuits pendant deux mois à l'hôpital » au chevet de leur père mourant, l'une apportant « le Butagaz et le couscous », l'autre, des matelas pour transformer la chambre « en salon marocain ». Rachida Dati est tout aussi prolixe sur sa mère « gaie comme un pinson malgré ses grossesses à répétition, dont la dernière à 47 ans, parce qu'un médecin lui avait dit qu'elle n'avait plus besoin de la pilule – que je lui donnais en cachette ». Elle n'élude pas non plus la toxicomanie et les peines de prison de l'un de ses frères – « certains ont voulu m'abattre avec ça » –, occasion d'aborder l'un de ses sujets favoris : la longue liste des attaques et des critiques qui ont plu sur elle, parce qu'elle n'appartient pas à « la caste des bien-nés ». Il est vrai qu'on lui a moins pardonné qu'à d'autres. Quel tollé quand, pour fêter sa nomination à la chancellerie, elle a posé en robe rose signée John Galliano à la une de « Paris Match » (il n'y avait pas pourtant de quoi fouetter tant de chats) ou lorsqu'elle a repris ses activités de ministre, en janvier 2009, sitôt après avoir accouché (même des féministes se sont indignées). Quelques mois auparavant, le Tout-Paris avait joué à « qui est le père de l'enfant ? » pariant tour à tour sur Nicolas Sarkozy, sur l'ancien Premier ministre espagnol José María Aznar, l'animateur télé Arthur, le PDG Henri Proglio, l'ex-rugbyman Bernard Laporte, etc. Ce feuilleton précipitera l'exfiltration de la mère célibataire vers le Parlement européen (« J'ai décidé qu'il était mieux pour elle de s'éloigner du milieu parisien et du système médiatique », revendique aujourd'hui Sarkozy). Quant au mystérieux géniteur, c'est Dati elle-même qui en a révélé le nom en 2012 : Dominique Desseigne, le patron des casinos et hôtels Barrière, reconnu par la justice, au terme d'une longue bataille devant les tribunaux, comme le père de la petite Zohra, qui, toute son enfance, a subi la traque des paparazzis. Sa mère s'en indigne régulièrement dans les talk-shows. En septembre dernier, elle l'a fait poser à ses côtés, visage flouté, pour alimenter son compte Instagram, avec une photo intitulée : « Zohra et moi vous souhaitons une belle rentrée. » Ainsi va Rachida Dati. Chatoyante, paradoxale, kaléidoscopique.