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Expulsion d’un Kurde en Turquie : comment la Suède se couche devant Erdogan pour intégrer l’OTAN
Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le Premier ministre suédois Ulf Kristersson à Ankara le 8 novembre 2022.
Adem ALTAN / AFP

Expulsion d’un Kurde en Turquie : comment la Suède se couche devant Erdogan pour intégrer l’OTAN

Jeu d’influence

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Ce vendredi 2 décembre, les autorités suédoises ont renvoyé en Turquie un militant du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Depuis quelques mois, Tayyip Erdoğan menace de bloquer l’adhésion de la Suède et la Finlande à l’OTAN en raison de la présence de membres du PKK – jugé terroriste – sur leur sol. Stockholm a décidé de faire du zèle.

Recep Tayyip Erdogan a-t-il remporté la partie ? Un membre présumé du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – organisation considérée comme terroriste par Ankara et l'Union européenne (UE) – vient d’être renvoyé par la Suède en Turquie, ce vendredi 2 décembre. Aussitôt arrêté, celui-ci a ensuite été présenté à un tribunal de police turc. Selon l’agence de presse locale Anadolu, il avait été condamné en Turquie à six ans et dix mois de prison pour avoir entretenu des liens avec le PKK, liens qu’il a toujours niés. Arrivé en Suède en 2015, Mahmut Tat, s’est vu refuser sa demande d’asile par la police suédoise. Comme d’autres déboutés, ce Kurde de Turquie est donc resté en Suède, où il travaillait. Mais le 22 novembre, il est arrêté pour défaut de papiers à l’issue d’un contrôle routier.

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Le sort de certains ressortissants kurdes de Turquie exilés ou réfugiés en Suède et, dans une moindre mesure, en Finlande, est au cœur des discussions avec Ankara pour l'entrée des deux pays nordiques dans l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan). Depuis le 18 mai dernier – date à laquelle les candidatures de la Suède et de la Finlande à l'Otan ont été officialisées – la Turquie oppose son véto. Pour celle-ci, les deux pays seraient des refuges pour les « terroristes » du PKK, mouvement indépendantiste kurde d'obédience marxiste combattu par la Turquie. Mais le 28 juin, le président turc signe un mémorandum avec la Suède et la Finlande en amont du sommet de l'Otan à Madrid. En validant ce texte, les deux pays scandinaves s’engagent sur certaines demandes du président Erdogan, qui exige notamment l'extradition des militants kurdes protégés par Stockholm et Helsinki.

Indifférence occidentale

Depuis les années quatre-vingt-dix, le PKK lutte en effet contre le gouvernement d'Ankara pour la reconnaissance de son territoire, ce qui lui vaut d'être qualifié de groupe « terroriste » par les dirigeants turcs. Pourtant en Syrie, les Kurdes ont longtemps été érigées en héros par la communauté internationale pour avoir été à l'avant-garde de la lutte contre l'État islamique sur le terrain militaire. La coalition internationale, s'est appuyée sur les connaissances des combattants locaux pour les attaques au sol. En 2014-2015, les peshmergas d’Irak et les combattants du YPG/J dans le Rojava syrien (nord de la Syrie) ont courageusement repoussé les assauts de Daech lors de la bataille de Kobané au nord de la Syrie. Aujourd’hui, c’est sous les balles et les bombes de Recep Tayyip Erdogan qu’ils résistent dans la quasi-indifférence d’un monde occidental enferré dans ses contradictions

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Depuis avril, Ankara mène, de son côté, une opération militaire dans le nord de l'Irak contre le PKK. Le 26 mai dernier, Recep Tayyip Erdogan a annoncé des « opérations hors frontières », contre les groupes « terroristes », visant la région du Rojava où se trouvent aussi les forces du YPG/J, alliées des Occidentaux. L’attentat d’Istanbul du 3 novembre (6 morts et 81 blessés) – pourtant non revendiqué par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – aurait dû alerter. Erdogan a aussitôt prévenu que le PKK et ses affiliés du YPG/J en Syrie allaient payer l'addition. Une semaine plus tard, l’armée turque attaquait le Kurdistan turc et irakien et la région… de Kobané. Mais les Occidentaux ont alors choisi de privilégier l’accord sur les céréales en mer Noire, dont la Turquie se prévaut.

Médiateur turc

Un succès diplomatique dont le pouvoir turc s’est aussitôt félicité. « Dans cette histoire, les Turcs ont forcément joué sur le velours car ils savaient que tout le monde avait intérêt à ce que cet accord entre en vigueur » déclarait à Marianne l’ex-ambassadeur de France en Russie, Jean de Gliniasty, mi-novembre. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Erdogan tente de s’imposer en tant que médiateur entre l’Ukraine et la Russie. Ses intérêts sont nombreux tant sur le plan national – les prochaines élections présidentielles ont lieu en juin prochain – que sur la scène internationale car cela lui permet de confirmer sa place de « seul pays en mesure de parler avec Poutine (…) et d'obtenir des résultats ».

Sur le plan de l'Otan, là aussi la pression turque donne des résultats. « Le renvoi d'un terroriste appartenant au PKK est un début montrant leur sincérité, a d’ailleurs déclaré le ministre turc de la Justice Bekir Bozdag lors d'un entretien télévisé ce lundi. Nous espérons que d'autres suivront ». La semaine dernière, le ministre suédois des Affaires étrangères a affirmé qu’il y avait des « progrès » dans ses négociations avec la Turquie. De son côté, la diplomatie turque a salué la « bonne volonté » du gouvernement suédois, en précisant toutefois attendre davantage de « mesures concrètes ». Fin juin, la Turquie a publié une liste de 45 personnes dont elle souhaite l’extradition depuis la Finlande et la Suède.

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L’adhésion des deux pays scandinaves à l’Otan semble donc plus qu’être une question de temps. Pour les experts, la Turquie a intérêt à lever son veto. Sur le plan militaire, le spécialiste de la Suède, Aron Lund, interrogé par France 24, estime qu’en « allongeant considérablement la frontière terrestre entre la Russie et l'Otan », l’entrée d’Helsinki et Stockholm dans l’Otan « déplacerait le point focal de cette frontière, et les tensions Otan-Russie qui en découlent, beaucoup plus au nord, loin de la Turquie. » Reste à savoir quel sera le sort des quelque 116 000 Kurdes vivants en Suède et en Finlande…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne