L’État vient d'annoncer 1 milliard d’euros sur six ans pour favoriser le réemploi et la réparation de vêtements, ainsi que la relocalisation de leur fabrication. Un moyen de verdir une industrie qui produit en masse. L'objectif est ainsi d'atteindre "50 % de vêtements recyclés ou réutilisés en 2027, contre moins d’un sur dix aujourd’hui". Louana Lamer, responsable de mission textile chez Emmaüs, retrace pour Novethic le chemin effectué par les dons et explique la responsabilité portée par les opérateurs de tri.

Comment les dons ont évolué ces dernières années ?


Le nombre d’habits collectés a plus que doublé entre 2007 et 2018. Au total, les dons de textiles gérés par Emmaüs et Le Relais, qui fait partie du Mouvement Emmaüs, s’élèvent à plus de 170 000 tonnes annuelles (soit l’équivalent de quatre porte-avions Charles-de-Gaulle, ndr). Cependant, nous observons une baisse continue de la qualité des habits, en parallèle du développement des marques de fast-fashion. Cela joue sur notre capacité à les valoriser car les produits durent moins dans le temps. Nos chances de pouvoir les réemployer en les revendant dans nos boutiques sont donc réduites. 
À l’avenir, nous prévoyons que les dons vont continuer à croître, d’autant plus que le gouvernement affiche un objectif clair d’augmenter les collectes, car il y a encore beaucoup de textiles, linges et chaussures (TLC) qui partent à la poubelle.

Que deviennent les vêtements donnés à Emmaüs ?


Les associations Emmaüs effectuent un premier tri pour en extraire "la crème". Il s’agit de la partie la plus qualitative du gisement, qui va pouvoir être réemployée et revendue dans les boutiques Emmaüs. Le reste, l’"écrémé", est envoyé vers un centre de tri, notamment ceux du Relais, afin de valoriser au mieux le textile restant en réutilisation ou recyclage. 
En moyenne, 5% des textiles sont vendus en France, 50% sont réutilisés à l’export, 35% sont recyclés, et 10% deviennent des déchets dont la grande majorité sont valorisés énergétiquement en tant que combustibles solides.
Les exports à l’international sont à destination des centres Le Relais Afrique, à Madagascar, au Burkina Faso et au Sénégal, qui permettent de développer l’emploi et l’économie locale. Il s’agit uniquement de textiles qui pourront être réutilisés, et qui ont déjà connu une étape de tri en France. Ils arrivent sous forme de balles de 500 kg qui sont ensuite retriées sur place en plus petites balles pour être commercialisés localement sur plusieurs marchés.

Pourquoi ne gardons-nous pas plus d’habits en France ?


Emmaüs fait face à une quantité d’arrivage de plus en plus importante liée à la surproduction et à la surconsommation. Nous ne pouvons pas nous permettre de tout proposer. Il y a plusieurs problématiques : d’une part la baisse de qualité, d’autre part l’éducation à acheter de seconde main. L’attachement au vêtement et le soin apporté sont des habitudes qu’on a perdues.
En Afrique au contraire, la seconde main est la principale source d’habillement. Il y a peu de filières de production textile et les vêtements que nous fournissons sont en bon état répondant à un cahier des charges précis. Nous avons des clients revendeurs de longue date qui viennent se fournir auprès des Relais africains.

Le Mouvement Emmaüs a-t-il une responsabilité dans les montagnes de déchets textiles abandonnés, par exemple au Ghana ?


Dernièrement, des reportages ont été diffusé sur les conséquences dramatiques de l’afflux continu de textile de mauvaise qualité au Ghana. Ces habits, trop abîmés pour être revendus et portés, ne proviennent pas d’Emmaüs ou du Relais mais d’autres canaux. Emmaüs et Le Relais sont assimilés à ces pratiques car nous sommes les plus identifiés. Nous collectons 60% du gisement national.
Un travail conséquent est mené de notre côté pour s’assurer du devenir des vêtements sur place. Emmaüs est conventionné avec l’organisme Refashion qui impose d’assurer une traçabilité en échange d’un soutien financier. Mais beaucoup d’autres acteurs, en France ou dans le monde, ne sont pas conventionnés et n’ont pas d’exigence de traçabilité.
L’État prévoit de plus en plus d’audits pour contrôler la gestion des textiles usagés exportés. Mais est-ce que cela va vraiment limiter les pratiques illégales d’export de déchets si l’on a déjà du mal à identifier les acteurs responsables ? Cette filière est assez tentaculaire, avec de nombreux acteurs autour de la table.

Quelles sont les solutions pour réduire l’impact environnemental de la filière textile ?


Il faut réemployer plus et développer le recyclage, même si ce dernier est parfois vu comme une solution miracle alors qu’il a tout de même un coût environnemental important. Mais le principal levier reste le fait de produire moins et mieux. La meilleure solution, c’est clairement la réduction des mises sur le marché.
Il faut aussi produire des vêtements plus durables pour favoriser le réemploi. Les marques ont une importante marge de manœuvre du côté de l’éco-conception. Le nouveau cahier des charges de la filière REP est plus ambitieux sur le sujet.
De notre côté, nous avons un important effort à faire pour expliquer le projet social que Le Relais a voulu mener à l’international et dédiaboliser les bornes. Quand j’entends certaines personnes préférer jeter à la poubelle plutôt que de mettre en borne, c’est problématique. La seconde vie que nous donnons sera toujours plus intéressante que de jeter, conduisant à de l’incinération pure ou à de l’enfouissement.
Propos recueillis par Fanny Breuneval, @breuneval_fanny

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