Activisme environnemental : la pression des autorités s'accentue

Les Faucheurs volontaires, le 10 novembre 2021. - © Grégoire Souchay/Reporterre
Les Faucheurs volontaires, le 10 novembre 2021. - © Grégoire Souchay/Reporterre
Les Faucheurs volontaires, le 10 novembre 2021. - © Grégoire Souchay/Reporterre
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Face à l'urgence climatique, les actions de désobéissance civile sont de plus en plus nombreuses, et les arrestations de militants, et poursuites judiciaires, aussi. Désormais, certains journalistes couvrant ces actions sont poursuivis eux aussi, ce qui pose question.

Une question épineuse aujourd’hui : celle de la pression ou répression contre les militants climat et biodiversité, et contre les journalistes qui couvrent les actions de désobéissance civile. On ne compte plus les arrestations, heures de garde à vue, procès, condamnations d’activistes, et s’ajoute désormais des journalistes dans le tas, comme Grégoire Souchay, poursuivi par le procureur de la république de Rodez pour avoir commis des vols et dégradations en réunion, pour avoir suivi une action des faucheurs volontaires le 10 novembre 2021 en tant que journaliste.

Grégoire Souchay est pigiste, basé en Aveyron, a couvert l’an dernier pour le journal Reporterre une action des faucheurs volontaires à Calmont, chez un gros semencier. Article publié le 12 novembre 2021. Après avoir été convoqué par la gendarmerie, il a reçu un courrier en juin dernier : il est poursuivi en correctionnelle avec les mêmes chefs d’accusation que les 28 faucheurs volontaires, à savoir, avoir « frauduleusement soustrait des sacs contenant des semences de colza » et les avoir « volontairement dégradés ou détériorés ». Le journaliste conteste formellement : “ Je n'ai rien fait. Ça se passait dans les entrepôts de l'entreprise RAGT. Je suis rentré sur le site comme d’autres collègues journalistes. J’ai pris des photos, j’ai pris des notes, j’ai fait des enregistrements sonores. La seule chose que j’ai faite, comme contact, c’est de prendre une étiquette pour la rapprocher, la prendre en photo et bien vérifier que c’étaient des semences présumées OGM selon les faucheurs. Je l’ai reposée immédiatement. Mais sinon, j’ai fait comme mes collègues de Mediapart, de l’AFP, les photographes locaux...

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Cinq journalistes au total, mais il est le seul poursuivi. Le procès devait avoir lieu mercredi mais est renvoyé au printemps, en sachant qu’il demande l’abandon des poursuites. Procès qu’il n’est pas question de faire en avance dans cette chronique, mais cette situation illustre une tendance, à savoir la criminalisation de l’activisme environnemental, et de certains qui le couvrent. Le mot apparaît dans un édito du Monde ce week-end, et Benoît Collombat, journaliste à la cellule investigation de France Inter, n’hésite pas à l’utiliser lui aussi : “ De nombreuses voix s'élèvent pour dire que les sujets environnementaux sont absolument décisifs. Au même moment, on voit qu’un travail journalistique sur ces questions est criminalisé… Le mot de criminalité est fort mais il correspond à une réalité.

Et il existe d’autres exemples, comme des journalistes d’un site internet et d’une radio locale poursuivis à Annecy en 2020, d’autres de Ouest France, du Maine Libre, et d’une télé locale convoqués par la gendarmerie après avoir couvert des actions des décrocheurs de portraits présidentiels (dont s’occupe le bureau de lutte anti-terroriste). Benoît Collombat explique : “ On voit bien ce climat général, avec un risque de ce glissement d’une criminalisation de tous ces sujets-là. On a vu le mot d’écoterrorisme dans la bouche de Darmanin. Quelle est la prochaine étape ? Le fait de qualifier des journalistes d’activistes ? Est ce que cela veut dire que demain on ne pourra plus couvrir une intervention d’une association lors d’une assemblée générale de Total, ou une action autour d'un jet de Pinault, Bolloré ou Arnaud ? Jusqu'où ça va aller ?

Le sujet n’est pas de se défendre entre collègues, mais de poser la question de l’intérêt général, via la liberté de la presse. Maître Alexandre Faro, l’avocat du journal Reporterre, est spécialiste en droit de l’environnement et droits de l’homme. Pour lui, il devient de plus en plus difficile pour un journaliste de faire correctement son métier : “ On le voit par exemple dans les manifestations gilets jaunes à Paris, ça a toujours été compliqué pour un journaliste. Il y a des endroits où il valait mieux ne pas se trouver. Et c’est contraire à la liberté d’informer. Un journaliste doit avoir la possibilité d’aller n’importe où et de suivre l’information où elle est. Il n’y a pas de mirador pour percher les journalistes et leur montrer ce qu’on a envie de leur monter.

D’autant, rappelle Grégoire Souchay, que le travail journalistique peut aussi servir à la justice et lui permettre de faire la part des choses entre ce que disent les militants et ce que dit une entreprise.

Benoît Collombat insiste : “ Si on ne peut plus parler correctement et couvrir journalistiquement des actions de désobéissance civile sur des sujets qui concernent la crise climatique et la situation que tout le monde connaît aujourd’hui, on va au devant d’une grande catastrophe.

Face à tout ça, l’Etat reste plutôt inerte, silencieux, complice diront certains. Effectivement, certains journalistes mettent la lumière sur des sujets qu’on laisserait bien parfois sous le tapis comme le dit Maître Alexandre Faro : “ Ça peut être aussi une gène. C’est à dire relayer une information sur des mouvements sociaux qui dérangent…"

Alors, poursuivre les activistes ou journalistes (de petits médias, pas les gros, ça pose une autre question au passage) n’aide pas à rendre les choses plus discrètes, loin de là. Mais vient entraver et freiner le travail, alors que tout le monde le dit : il y a urgence en matière de climat et de biodiversité.

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