Au Québec, la biodiversité de la forêt boréale menacée

Dans la forêt boréale au nord-ouest du Québec, en Abitibi-Témiscamingue. ©Radio France - Justine Leblond
Dans la forêt boréale au nord-ouest du Québec, en Abitibi-Témiscamingue. ©Radio France - Justine Leblond
Dans la forêt boréale au nord-ouest du Québec, en Abitibi-Témiscamingue. ©Radio France - Justine Leblond
Publicité

C’est l’un des poumons du monde en matière de puits à carbone. La forêt boréale, qui couvre tout le cercle polaire, est menacée. Réchauffement climatique, industrie forestière… Sa biodiversité est en déclin, alors que sa préservation est vitale pour la planète.

La forêt boréale, pourtant moins sous les projecteurs que l’Amazonie, est, elle aussi, menacée. Elle couvre tout le cercle polaire, passe par la Russie, la Scandinavie, l’Alaska, le Canada. Sa préservation est vitale : elle contient des terres humides qui filtrent des millions de litres d’eau par jour. En Amérique du Nord, à certains moments de l’année, la forêt boréale est utilisée par presque la moitié des oiseaux de la région. À l’heure où la COP15 biodiversité s’ouvre à Montréal, au Québec, reportage en Abitibi-Témiscamingue, une région du nord-ouest québécois.

Il n’y a plus d’arbres pour se cacher

"C’est simple, c’est chez nous. Si on n’a pas de forêt, nous autres, on perd la langue, la culture… tout ce qui est en lien avec ça." Derrière ses lunettes, Ronald Brazeau a le regard dur. Il fait partie de la communauté des  Anishnabe. Comme 70 % des peuples autochtones au Canada, sa nation vit dans une région forestière. Ici, nous sommes au nord-ouest du Québec, dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue. Ronald Brazeau remarque le déclin de la forêt boréale tous les jours : “On parle de stocking de carbone, mais il n'y a plus de carbone dedans. T’sais, il y a tellement de piétinement. C’était vierge il y a à peu près vingt ans. On était considéré comme un peuple invisible. Là, aujourd’hui, on nous voit, on essaye de nous connaître et tout ça."

Publicité

60% des animaux sauvages ont disparu en quarante ans

Henri Jacob milite depuis cinquante ans à la tête de l’association " ACTION BORÉALE" pour la préservation de la forêt. Ici principalement composée de feuillus et de conifères comme l’épinède noire. Le militant à la barbe blanche et à la veste rouge vit au minimum un mois et demi en forêt chaque année. Il n’est pas étonné que l’ONG WWF estime que 60 % des animaux sauvages ont disparu en quarante ans. “On le note sur le terrain. On ne voit plus certaines fauvettes ; comme les grives, depuis 3-4 années. Un des insectes que j’ai remarqués moi c’est surtout les guêpes, car on a beaucoup de nids de guêpes. Mais encore une fois, ça fait deux ans que je ne me fais pas piquer. Pour moi, c’est quelque chose d’inhabituel. Cela ne veut pas dire qu’ils ont disparu, mais ça veut dire qu’ils sont sûrement en diminution… Si ça c’est pas préoccupant, je me demande quand est-ce que ça sera préoccupant.”

Le militant Henri Jacob, à la tête d'Action Boréale.
Le militant Henri Jacob, à la tête d'Action Boréale.
© Radio France - Justine Leblond

Au Québec, plus de 90 % de la forêt boréale est sous la gestion publique. Selon les chiffres du gouvernement, moins d’1 % de la forêt est coupée chaque année. Mais elle est de plus en plus traversée par ce que l’on appelle ici des "chemins". En réalité, des routes d’une dizaine de mètres de large. Ce qui modifie totalement le paysage et l’écosystème de la forêt, explique Clémentine Cornille, directrice du conseil régional de l’environnement. "On a plus de 62 000 km de chemins dans la région, qui ont été mis en place par l’industrie forestière. Il y a aussi des chemins au niveau minier. Et puis ça devient au final des chemins multi-usages utilisés par exemple par les chasseurs, les pêcheurs, les trappeurs, ceux qui vont faire du quatre roues, de la motoneige l’hiver. Le portrait de la forêt s'est donc totalement modifié.” Et ces chemins vont se multiplier. Il y a deux ans, le gouvernement du Québec a annoncé sa nouvelle Stratégie nationale de production de bois : presque doubler la récolte annuelle d’ici 2080, pour atteindre 53 millions de mètres cubes de bois coupés chaque année.

La forêt boréale, traversée par des "chemins" pour l'exploitation forestière.
La forêt boréale, traversée par des "chemins" pour l'exploitation forestière.
© Radio France - Justine Leblond

La défense de l'industrie forestière

Pour l’industrie forestière, cet objectif ne va pas à l’encontre de la protection de la biodiversité car aujourd’hui quasiment toutes les compagnies sont certifiées. Comme le groupe “Green First” dont Marie-Eve Sigouin est la directrice foresterie. “Nous sommes tenus de tenir compte des parties prenantes dans toutes nos décisions d’aménagement donc s’il y a des demandes, des plaintes, des commentaires, il faut les adresser et améliorer nos pratiques. Nos entrepreneurs sont formés pour identifier par exemple certaines espèces sur le terrain ou certains sites. T’sais, c’est sûr que quand on regarde une coupe, on dit “Oh mon dieu, la coupe est laide”, on ne voit pas tout ce qu’il y a derrière pour dire bon ben on est arrivé là et on a protégé tel secteur. Ce que les gens voient c’est juste l’impact.”

Moins de 9 % d’espaces protégés en Abitibi-Témiscamingue

Difficile néanmoins de jauger l’ampleur de cet impact : on ne connaît même pas toutes les espèces que compte la forêt boréale. À l’institut de recherche sur les forêts de l’université du Québec, la professeure Nicole Fenton, entourée de différentes mousses végétales, raconte que cela se compte en milliers. "La forêt boréale, à première vue, a l’air plutôt pauvre. Il y a une dizaine d’espèces d’arbres, une cinquantaine d’espèces de plantes vasculaires. Mais la grande majorité de la biodiversité est cachée au sein des groupes comme les bryophytes, souvent juste vus comme une mousse verte sur laquelle on marche, mais si on regarde une souche ou un morceau de bois mort, on peut voir qu’il y a des cinquantaines d’espèces qui sont hébergées là.”

Dans le laboratoire biodiversité de Nicole Fenton, à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Dans le laboratoire biodiversité de Nicole Fenton, à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
© Radio France - Justine Leblond

Sur son site internet, le gouvernement québécois écrit que “l’exploitation forestière ne cause pas le déboisement (puisque) les zones récoltées se régénèrent”. Sauf que cette régénération est longue. En Abitibi-Témiscamingue, la quasi-totalité des forêts de plus de 100 ans ont disparu. “Si nous avons juste des vieilles forêts ou des jeunes forêts, on est perdants. Alors ça nous prend des paysages où l'on peut garder cette dynamique naturelle, ces processus, puis laisser les choses évoluer naturellement”. L’un des objectifs qui doit être signé lors de la COP15 Biodiversité à Montréal est d’avoir 30 % d’aires protégées d’ici 2030. Depuis deux ans, le Québec protège 17 % de son territoire, surtout dans l’extrême nord. Ici, en Abitibi-Témiscamingue, on compte moins de 9 % d’espaces protégés.

L'équipe