Le nombre des adolescents atteints de troubles mentaux ou qui se suicident explose <!-- --> | Atlantico.fr
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Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les chiffres du suicide chez les jeunes augmentent.
Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les chiffres du suicide chez les jeunes augmentent.
©Freepik / DR

Tendances suicidaires

25% des 17 -19 ans seraient concernés en Angleterre, selon le NHS. Une hausse de près de 10 points en 10 ans.

Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico : En Angleterre, 25% des 17-19 ans seraient atteints de troubles mentaux, selon le NHS. Une hausse de près de 10 points en 10 ans. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les chiffres du suicide chez les jeunes augmentent. Assistons-nous au même phénomène en France ?

Xavier Briffault : Effectivement, il y a le même type d’évolution en France. Dans les trois dernières années, on remarque une importante augmentation des troubles dépressifs et des conduites suicidaires (pensées, tentatives et décès). Cela de façon assez massive et surtout depuis le second confinement. Cette évolution n’a jamais été vue dans l’histoire de l’épidémiologie psychiatrique. On parle d’une multiplication par deux de la prévalence de certains troubles, ce qui est gigantesque. Il doit y avoir un équivalent avec la chute de l’URSS mais dans un pays d’Europe de l’Ouest, je pense que ce n’est jamais arrivé. En France, pendant et après le premier confinement, on a constaté une diminution des troubles anxieux. Celui-ci avait joué un rôle protecteur, il y avait moins de stress durant cette période (travail, école, transport). Les gens se sentaient protégés du virus et pensaient que cela durerait seulement deux mois. En revanche, après le second confinement, nous avons constaté une réelle augmentation de ces troubles et particulièrement chez les jeunes, adolescents plus que les moins de 10 ans.

 Comment expliquer l’explosion de ces deux phénomènes ?

Encore une fois, sur les trois dernières années, la crise sanitaire est sur déterminante. Ce sont des augmentations que nous n’avons jamais vu dans l’histoire. L’argent des parents, y compris pendant la pandémie, est un classique des problématiques de santé de façon générale. Il y a un gradient social dans les troubles de santé qui est très important. En France, le gradient géographique est présent aussi, entre le nord-est et le sud-ouest avec une prévalence plus forte dans le premier. Cela s’explique par des facteurs sociaux industriels, l’abandon de sites économiques, les crises financières qui en découlent, l’accumulation des stresseurs. Ce sont des facteurs problématiques de santé dont la santé mentale. Moins les personnes sont riches, plus ils rencontrent des difficultés. Ils vont vivre dans des conditions défavorables, leur logement est petit et entassé. Dans les situations de confinement que nous avons vécu, se retrouver assis dans un deux pièces sans pouvoir sortir n’est pas pareil que dans une villa avec piscine. Tout ceci a donc largement contribué. On peut aussi parler de la capacité à fournir aux enfants et adolescents des loisirs et en particulier des moyens électroniques. Les ordinateurs sont nécessaires pour ces jeunes car ils permettent de suivre les cours à distance, se distraire, communiquer avec leurs camarades ou même la famille. Dans cette situation, les problématiques socio-économiques vont jouer un rôle défavorable. Celui-ci n’est pas nouveau, mais dans le cadre de la crise sanitaire, il est mis en œuvre de façon beaucoup plus massive.

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Pour ce qui concerne les réseaux sociaux, ils sont souvent accusés d’être responsables des problématiques de santé mentale des jeunes. Pourtant, pour les trois dernières années, on peut considérer que ces réseaux sociaux ont joué un rôle plutôt protecteur. Sans eux et les possibilités de communiquer à distance, le niveau de stress et d’isolement aurait été beaucoup plus conséquent. La possibilité d’accéder aux loisirs et à l’école ou de télétravailler aurait été minorée avec un risque de problèmes plus importants pour la santé. Les réseaux sociaux ont donc été favorables. Ce que l’on peut constater de problématique sur ces plateformes, c’est qu’ils ont tendance à augmenter les problèmes chez les personnes qui en ont déjà. Quelqu’un qui présente des troubles dépressifs ou d’isolement, risque de les aggraver à travers les réseaux sociaux. Même si on constate des effets positifs comme avec les jeux vidéo. Ils peuvent améliorer la concentration et la coordination. De même pour ceux qui se jouent en groupe, cela peut être positif au niveau du social. Globalement, l’idée que les réseaux sociaux sont responsables des malheurs des jeunes est erronée.

Quelles peuvent être les conséquences pour ces jeunes si leur santé mentale n’est pas soignée correctement ?

Les gens ont tendance à considérer que les problèmes de santé mentale c'est pour les faibles ou alors que les symptômes d’anxiété ou autres sont faux. Il faut savoir que les troubles mentaux sont les premiers coûts pour l’assurance maladie en France. Ce sont les principaux contributeurs des 9.000 à 10.000 morts par suicide chaque année et 200.000 tentatives. Les décès ne concernent pas tellement les jeunes, en revanche les tentatives oui et particulièrement chez les jeunes filles. Donc, la dépression à elle toute seule est la principale charge de morbidité dans le monde. Cela impacte même la mortalité, soit par suicide, soit par une dégradation de l’hygiène qui fait que les personnes perdent en espérance de vie. Mais surtout, cela impacte la qualité de vie ainsi que le fonctionnement. Il y aura des pertes de niveau de formation. Certaines personnes vont abandonner leurs études et donc n’auront pas le parcours qu'elles souhaitaient. Elles seront donc socialement déclassées et financièrement défavorisées. Cette situation est défavorable pour la santé. Les stresseurs augmentent la mortalité toutes causes. Les personnes qui ont des états de stress post-traumatique ou des troubles de l’adaptation, vont voir leur mortalité être multipliée par deux ou par trois. Cela est expliqué par des problématiques cardiovasculaires (sur le long terme), par de l’hypertension, par du diabète, des cancers et tout un ensemble de mécanismes. Ces personnes seront amenées à plus fumer ou boire, moins faire de sport, avec une hygiène de vie défavorable, leur alimentation va se dégrader. Leur système relationnel, protecteur pour leur santé mentale, va lui aussi être impacté. Dans une vie de couple, cela peut entraîner une séparation. Le phénomène de l’augmentation des troubles de santé mentale chez les jeunes que l’on constate est catastrophique. Déjà chez l’adulte, c’est grave. Mais pour les adolescents, il y aura un impact sur toute leur trajectoire de vie. Tout ceci aura des effets très délétères. Si on détruit les études, le fonctionnement relationnel, l’apprentissage amoureux, la capacité à créer du lien ou à se gérer, et cela dès 15 ans, c’est toute la vie derrière qui est touchée et gravement impactée. Ce qu’il se passe aujourd’hui est grave maintenant mais en plus il le restera puisque toute la génération concernée va le traîner toute sa vie. Pour ceux qui deviendront parents, il y aura une transmission auprès des enfants. On connaît parfaitement l’effet très délétère de la parentalité dysfonctionnelle sur la santé mentale des enfants. Ils vont créer des mauvaises conditions, en plus de les exposer à des conditions socioprofessionnelles défavorables.

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Quelles solutions les Etats peuvent-ils mettre en place pour aider les jeunes qui subissent cette situation ?

Le meilleur moyen de résoudre un problème est de ne pas le créer. Une bonne partie des troubles de santé mentale que l’on rencontre chez les jeunes, a été provoquée par les politiques de santé publique qui ont été mises en œuvre pour lutter contre le Covid. Durant cette période, cette génération a été outrageusement chargée. Tout ceci a eu un impact considérable chez les jeunes. D’autant plus qu’ils n’étaient pas très concernés par le Covid. Ils n’avaient pas de réels risques d’en mourir ou d’en faire des formes graves. Toutes les stigmatisations dont ils ont été victimes, en les accusant de transmettre le virus ou de tuer leurs grands-parents, ont été vraiment délétères. On les a privés d’école, d’amis, d’université. Il n’aurait pas fallu faire ceci mais investir sur la protection des groupes à risque et laisser les autres vivre. Cependant, maintenant il faut assumer, ce qui est compliqué. Les troubles de santé mentale, une fois installés, se chronicisent très bien et se soignent très mal. Donc l’efficacité des traitements dont on dispose est faible. Le fait de savoir ce qu’il faut faire face à cela est compliqué car le système psychiatrique en France est entièrement saturé. Les temps d’attente sont lunaires, les gens doivent attendre 3, 6 ou 12 mois pour avoir un rendez-vous dans le public. Une fois chronicisé, il devient très difficile de soigner. La campagne de Santé publique France « en parler c’est déjà aller mieux » n’a aucun effet. Le fait de rembourser quelques séances est bien mais le problème ne se règle pas en 2 ou 3 séances. Les politiques doivent reconnaître publiquement et socialement, par des figures d’autorité, que les jeunes ont été très gravement impactés dans leur vie par les mesures prises lors de la crise sanitaire. C’est très important. D’une certaine manière, c’est le statut de victime qui est reconnu et la légitimité d’aller mal à la suite de cela. Il est donc nécessaire d’avoir un contre discours sur ce point. Dire aux jeunes qu’ils ont été touchés de manière importante pendant la pandémie, qu’ils vont mal et que c’est légitime, c’est compréhensible et leur expliquer. Il y a plusieurs choses qui peuvent être faites pour qu’un jeune aille mieux mais sincèrement, ce n’est pas tellement dans le soin. Il faut investir dans les systèmes qui leur permettent de progresser dans la vie. Et principalement des systèmes de soutien financier et surtout en ce moment. 

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