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Définition, soutien controversé, demande... Qu'est-ce que la « nullification » génitale, qui transforme en eunuque ?
Certaines cliniques américaines proposent une émasculation totale de l'appareil génital.
Science Photo Library via AFP

Définition, soutien controversé, demande... Qu'est-ce que la « nullification » génitale, qui transforme en eunuque ?

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On connaît la chirurgie de réassignation sexuelle, en vue de changer de sexe, possible aussi bien en France qu’aux États-Unis. Un peu moins l’opération de « nullification » proposée par certaines cliniques américaines qui consiste en une émasculation totale de l’appareil génital.

Vous êtes un homme et vous souhaitez devenir une femme en vous faisant opérer ? C’est possible, grâce à la vaginoplastie. Vous êtes une femme et vous souhaitez devenir un homme ? C’est possible aussi, avec la phalloplastie. Mais certaines cliniques américaines vont plus loin : elles proposent de procéder à une « nullification », pour les personnes se considérant comme non-binaires, comme le relève un article de la Tribune de Genève du 10 décembre.

Qu’est-ce que la nullification ?

La nullification est une procédure d’annulation génitale consistant en une émasculation totale. Sont juste conservés deux orifices pour les besoins. Pour les hommes, plus de pénis, plus de testicules et un urètre raccourci. Pour les femmes, « une hystérectomie est nécessaire avant toute procédure d'annulation génitale », précise le Crane Center, une clinique présente au Texas et en Californie, où les médecins procèdent à diverses opérations de réassignation sexuelle. D’ailleurs, la clinique préfère évoquer « des patients nés avec un utérus »...

L’opération vise à créer une « zone lisse et continue de l’abdomen à l’aine », peut-on lire sur le site du docteur américain Dean Davis, un chirurgien plastique qui propose cette intervention et l’un des rares praticiens, comme il l’affirme lui-même, « nord-américains à effectuer des chirurgies de confirmation du sexe depuis plus de 20 ans ». Et d'après le Post Street Surgery Center de San Francisco, la nullification permettrait « aux personnes de genre non conforme d’extérioriser leur ressenti intérieur ».

Une association controversée en soutien

Le jargon pourrait prêter à sourire si les cliniques ne recevaient pas le soutien de l'Association professionnelle mondiale pour la santé transgenre (WPATH), un regroupement de mondial de professionnels qui oeuvrent auprès des personnes trans. Cette structure, qui s'appelait auparavant l'Association internationale Harry Benjamin sur la dysphorie de genre, fait généralement figure de référence sur le sujet. Dans la huitième (la première ayant été publiée en 1979) version de ses Standards de soins, l'association consacre pourtant cette année un chapitre entier aux eunuques et sur la nécessité pour les professionnels de se former à cette problématique de la nullification.

Sur son site Web, la WPATH pose quelques conditions. Les patients doivent avoir « plus de dix-huit ans », avoir en leur possession « deux lettres de prestataires de santé mentale, indiquant qu'ils sont prêts à subir une intervention chirurgicale ». Enfin, ils doivent « déjà prendre des hormones et être non-fumeurs ». Des précautions bien insuffisantes pour certains médecins qui jugent ces récentes positions de la WPATH dangereuses. Dans une pétition signée par plus de 1 800 personnes, des praticiens dénoncent notamment le fait que le mot « ''eunuque'' a été inclus comme une nouvelle identité de genre (pas nécessairement une condition physique) sans preuve convaincante de son existence ». Plus largement, la WPATHaurait tendance à invalider« l'expérience traumatique de nombreuses personnes qui se sentent lésées par des interventions médicales liées au genre », et qui ont décidé de détransitionner, estiment encore ces professionnels.

Une vraie demande ? Prudence

Au-delà de l'aspect extrême de la pratique, et de son soutien par la controversée WHATPH, existe-t-il une vraie demande de la part de personnes qui se considèrent comme non-binaires ? Interrogé par la Tribune de Genève, l’anthropologue Philippe Liotard se montre prudent. Selon lui, il s’agit « d’une pratique marginale qui trouve une forme de normalisation sociale ». Et c’est cette normalisation, mise en avant par des chirurgiens américains qui ont trouvé « le bon filon », qui risque « d’engendrer une augmentation de la demande ». D’ailleurs, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de Lausane, en Suisse, a déjà reçu une demande de nullification. Mais l’opération n’entre pas dans les attributions du chirurgien principal. De plus, la demande de nullification semble « très différente de celle des personnes transgenre », précise encore Friedrich Stiefel, le chef du Service psychiatrie à la TDG. D’où l’intérêt de bien cerner en amont les motivations d’un patient, qui peuvent aussi être dictées par des idées masochistes ou des troubles mentaux.

Cette unique demande de nullification qui a eu lieu en Suisse romane place également la communauté trans dans l'embarras. Ainsi, Lynn Bertholet, enseignante, cadre bancaire et figure du mouvement, craint « que ces nouveaux développements ne viennent brouiller le message » de la réelle souffrance liée à la transidentité.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne