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Nadia Geerts : "En tant que mammifères, nous sommes mâles ou femelles – et pas mâles, femelles ou intersexes"
Manifestation annuelle pour les droits des personnes transgenre et intersexes, à Paris, en 2014.
Hans Lucas via AFP

Nadia Geerts : "En tant que mammifères, nous sommes mâles ou femelles – et pas mâles, femelles ou intersexes"

L'œil de Marianneke

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En Belgique, un nouveau guide d'éducation sexuelle à destination des enseignants a suscité quelques critiques. Si ce document est indispensable dans les écoles, juge notre chroniqueuse bruxelloise Nadia Geerts, certaines parties semblent, sous prétexte d’inclusivité, témoigner d’un renoncement préoccupant à la transmission d’une quelconque norme.

Certains esprits grincheux ont trouvé à redire au nouveau guide Evras (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) qui vient de paraître à destination des professionnels de l’enseignement en Belgique. Un cadre de référence ayant pour objectif « d’homogénéiser et professionnaliser la pratique afin de garantir une même qualité d’informations véhiculées auprès des jeunes ». Il faut pourtant lui reconnaître une vertu : j’ai appris un nouveau mot ! « Acephobie ». Selon la note de bas de page du guide, ce terme désigne la discrimination envers les personnes asexuées. Et c’est là que les choses se brouillent (déjà) un peu. Car mon dictionnaire m’apprend qu’être asexué, c’est être « sans sexe (déterminé) ou caractérisé par un appareil génital rudimentaire ». Mais le même dictionnaire m’indique que le terme « acephobie » désignerait en réalité le rejet des personnes « asexuelles ». Or, être asexuel est très différent d’être asexué, même si j’imagine que certains cumulent : un « asexuel » est en effet un être humain qui n’éprouve aucun désir sexuel. Et lutter contre l’acephobie, ce serait donc plutôt sensibiliser les élèves au fait qu’on a parfaitement le droit de n’éprouver aucune libido.

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Tout cela est fort bien. Sauf que cet objectif louable figure dans la partie du guide destinée à la tranche des 9-11 ans. Les 9-11 ans, un public pour lequel le guide se révèle particulièrement ambitieux, puisqu’il prévoit aussi d’aborder les connaissances/savoirs relatifs à « l’expression de genre. Les différentes identités de genre : cisgenre, transgenre, agenre, genre fluide, genre non binaire, etc. », et à « l’importance de l’autodétermination », mais aussi de « reconnaître que le partage de sextos et/ou de nudes peut être excitant et source de plaisir, dans un cadre de confiance et de consentement avec l’autre » et de développer les savoirs permettant de limiter les risques lorsqu’on recourt à des sextos et/ou des nudes.

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Le guide précise bien que « l’idée n’est pas de les dissuader d’en faire, mais de leur donner les éléments pour éviter que ces pratiques ne leur attirent des ennuis, ou qu’il.elles.iels en fassent un mauvais usage ». Visiblement, la fameuse période dite « de latence » qui, selon Freud, se situe entre le déclin du complexe d’Œdipe et le début de la puberté, et au cours de laquelle l’intérêt des enfants pour les choses du sexe s’amenuise, c’est fini : désormais, les enfants de 9-11 ans ne sont plus « asexuels », comme le croyait benoîtement Freud. Au contraire, ils peuvent consentir valablement à s’échanger des photos d’eux nus, le rôle des adultes éducateurs se bornant à ce qu’ils le fassent dans le respect de certaines règles de prudence et à ce qu’ils ne soient pas acephobes envers ceux que ça n’intéresse pas du tout.

Apprendre à se construire

On apprend également, au passage d’une fiche destinée à la tranche 5-8 ans, que « dès 7 ans, (…) les enfants commencent à exprimer leur transidentité plus facilement ». On ne s’étonnera donc pas que le guide préconise que l’Evras permette aux jeunes de 12-14 ans de «  prendre conscience des possibilités de transition pour une personne transgenre en vue d’atteindre son point de confort ». La pédopsychiatre Sophie Dechêne, qui est également la codirectrice de la branche belge de l'Observatoire de la Petite Sirène [qui critique les transitions de genre chez les mineurs], s’est émue dans la presse de certaines parties de ce guide, qu’elle considère comme dangereuses pour la santé mentale, voire la vie sexuelle adulte des enfants, avec « un risque d’intrusion psychique chez l’enfant qui est potentiellement traumatique ». Et en effet… L’Evras est indispensable dans les écoles, où il importe d’aborder sans tabou toutes les questions que se posent les enfants, et auxquelles les adultes du milieu familial ne sont pas toujours à même de répondre. Il n’est dès lors pas acceptable de refuser d’en aborder certaines, sous prétexte que ce serait prématuré. Un enfant qui formule une question est toujours capable d’entendre la réponse, pour peu qu’elle soit formulée dans un langage adapté à son niveau de développement.

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Pour autant, certaines parties de ce guide semblent, sous prétexte d’inclusivité, témoigner d’un renoncement préoccupant à la transmission d’une quelconque norme. En tant que mammifères, nous sommes mâles ou femelles– et pas mâles, femelles ou intersexes. Cela détermine certes notre anatomie, mais ne doit dicter ni notre orientation sexuelle, ni de quelconques comportements « genré ». C’est cela qu’il faudrait dire à nos jeunes élèves. Pour qu’ils apprennent à se construire, dans le corps qui est le leur, qui se transforme et qui, nécessairement, les questionne. Car comme l’écrivent Caroline Eliacheff et Céline Masson, « l’adolescent (…) est par excellence une figure trans naviguant entre plusieurs identités avant de trouver un peu plus de stabilité une fois passé le cap des métamorphoses en tous…genre ». Tout en défendant le guide, qui a tout de même été avalisé par 145 acteurs de terrain et 50 experts en pédagogie et santé, la ministre de l’Éducation, Caroline Désir, reconnaît que « les formulations liées à trois points précis du guide (sur 350 pages) peuvent interroger », et que celles-ci devront donc être retravaillées.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne