Le ministère de la Sécurité publique (MSP) ne comptabilise pas les plaintes de violence sexuelle des détenus du Québec, a appris La Presse. Il n’a jamais étudié le sujet non plus, malgré des appels à le faire au fédéral.

Dans une réponse à une demande d’accès aux documents des organismes publics concernant les violences sexuelles en milieu carcéral des 10 dernières années, le MSP n’a inclus que 22 plaintes ou signalements, venant uniquement de travailleurs.

Le Ministère a effectué des recherches exhaustives en ce sens avant de transmettre sa réponse, près de trois mois après l’expiration du délai légal de 30 jours, indique-t-on. Mais les plaintes de détenus ne sont « pas compilées » et demeurent « très rares », selon Nadine Léveillée, responsable de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels au MSP.

Il est pourtant « tout à fait nécessaire » que ces évènements soient mieux colligés, selon Chloé Leclerc, professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Il faut « que nos institutions qui détiennent cet immense pouvoir contre des gens très vulnérables fassent preuve d’une très grande transparence », ajoute-t-elle.

Les données obtenues montrent que la majorité des 22 plaintes colligées proviennent, pour la plupart, de femmes, des agentes des services correctionnels, accusant de harcèlement sexuel des collègues masculins, des chefs d’unité ou d’autres agents correctionnels.

Certaines concernent également des ouvriers, des gestionnaires, des employés externes et des situations de violence conjugale.

Aucune plainte n’a été recensée en 2012, 2013, 2014, 2016 et 2017. Sept plaintes ont été déposées en 2022 jusqu’à présent, soit le plus haut total de la décennie. Au total, 3652 personnes, dont 55 % d’hommes, travaillent dans les établissements de détention du Québec.

Les interventions et dénouements des plaintes ont été caviardés du tableau transmis à La Presse. Les établissements d’où elles émanent ont également été retenus.

Pas de politique interne

« Il n’existe pas de politique interne portant spécifiquement sur le signalement ou le traitement des plaintes de nature sexuelle par les personnes incarcérées », explique Louise Quintin, porte-parole du MSP. Ces dernières peuvent porter plainte contre un membre du personnel ou un codétenu pour des infractions de nature sexuelle, mais « il n’existe pas de catégorie portant spécifiquement sur la violence sexuelle dans les bases de données » du Ministère.

Pourtant, en 2020, le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) a publié un rapport faisant état d’un manque flagrant de connaissances au sujet des violences sexuelles touchant les détenus dans les établissements fédéraux. Il recommande, entre autres, l’élaboration d’une directive et la réalisation d’études à ce sujet.

Consultez le Rapport annuel 2019-2020 du Bureau de l’enquêteur correctionnel

Le rapport souligne que « la violence sexuelle en milieu carcéral est encore moins comprise et encore plus susceptible de ne pas être signalée » qu’à l’extérieur des murs, où les dénonciations sont déjà rares. Un rapport publié en 2015 estime que l’année précédente, seulement 5 % des agressions sexuelles commises au Canada ont été signalées à la police.

Consultez le rapport La victimisation criminelle au Canada, 2014

« Les personnes incarcérées font face à de multiples facteurs de dissuasion en ce qui a trait au signalement des incidents de violence sexuelle », écrit l’enquêteur correctionnel Ivan Zinger dans le rapport de 2020.

De nombreuses victimes ont peur de signaler le crime, car elles craignent les représailles, les châtiments ou la revictimisation de la part des auteurs, que ce soit d’autres détenus ou des membres du personnel.

L’enquêteur correctionnel Ivan Zinger, dans son Rapport annuel 2019-2020

Au Québec, 18 établissements assurent la garde des contrevenants condamnés à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, les autres purgeant leur peine dans des pénitenciers fédéraux. Il y avait 4231 hommes et 230 femmes incarcérés dans ces établissements en date de jeudi matin, indique le MSP.

Parmi les détenus provinciaux, 25 % des hommes et 50 % des femmes disent avoir été victimes d’abus sexuels, selon un document d’information du MSP publié en 2014. Il s’agit de l’un des facteurs de risque pour des agressions sexuelles en établissement identifiés par l’enquêteur correctionnel fédéral dans son rapport de 2020.

Consultez Les services correctionnels du Québec : Document d’information

Interrogé pour savoir si le MSP a pris note des recommandations du rapport du BEC, on assure que « le MSP cherche toujours à s’inspirer des bonnes pratiques mises en place par les autres administrations correctionnelles canadiennes ». Mme Quintin ne donne cependant aucun exemple des pratiques adaptées à la suite de la publication du rapport.

La porte-parole dit que « des mesures rapides sont mises en place pour assurer la sécurité de la personne incarcérée qui indique craindre d’être victime de violence sexuelle ou qui affirme en être victime et lui offrir du soutien ». Ces mesures incluent la possibilité « de changer de secteur d’hébergement, de rencontrer un professionnel pour discuter de la situation, d’être évaluée par le service des soins de santé et d’être accompagnée pour porter plainte à la police ».