Denis Mukwege, prix Nobel de la paix : «Les voitures vertes ont la couleur rouge du sang congolais !»

Le Congo s'enfonce dans une crise profonde. Des massacres sont à nouveau perpétrés mais n'émeuvent plus grand monde. Le docteur Mukwege alerte.

Denis Mukwege
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Depuis plus d'un an, de vifs affrontements émaillent l'extrême est du Congo. La semaine dernière encore, des membres du gouvernement congolais dressaient le bilan du massacre du 29 novembre perpétré dans le village de Kishishe dans le Nord-Kivu. 300 morts, dont 17 enfants. «Des enfants qui ont été tués, dans une église, dans un hôpital», relevait Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement.

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Le groupe rebelle du M23, accusé d'avoir commis ces exactions, nie toute implication. Le M23, résurgence d'une ancienne entité tutsi vaincue en 2013, est à nouveau active dans la région depuis près de 13 mois. Il a déjà conquis de larges territoires à proximité de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu. Le RDC et la communauté internationale pointe le Rwanda, l'accusant de soutenir le M23.

Le Congo, « une bijouterie sans porte ni fenêtres »

Interrogé par Le Monde sur les raisons de ces violences exacerbées, le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, explique : «Au Congo, l'impunité est la norme. Notre pays ressemble à une bijouterie sans porte ni fenêtres. Chacun peut piller nos richesses impunément, puis les vendre sur le marché international. Pendant ce temps, le monde entier ferme les yeux.»

De ce constat, il en tire un autre plus terrible encore : «Le Congo vit dans une situation de chaos organisé, sa population réduite dans une forme d'esclavage moderne, dans le but de piller ses terres rares et ses minerais stratégiques. Tout cela pour répondre aux besoins des nouvelles technologies et de la transition énergétique.»

Et lorsqu'il faut pointer des responsabilités, c'est vers la communauté internationale que se tourne le prix Nobel de la paix. Contrairement aux décisions prises à l'encontre de l'Etat russe, il regrette un immobilisme à l'encontre du Rwanda, «l'agresseur, c'est reconnu». «Nous demandons qu'il y ait une mobilisation internationale contre l'agression du Rwanda. Personne ne parle du Congo alors qu'il y a, tous les jours, au moins une réunion au niveau international sur l'Ukraine. Arrêtons cet humanisme à géométrie variable.»

Les mains tranchées, « aujourd'hui je me sens aussi mal »

Pour que la situation évolue, il faudrait selon lui un changement de paradigme. Il faudrait changer les lunettes avec lesquelles le monde occidental regarde le Congo. «Au temps des colons belges, on tranchait les mains de ceux qui ne fournissaient pas suffisamment de caoutchouc pour que les Européens disposent de pneus. Aujourd'hui, je me sens aussi mal lorsque je vois tout ce qui est fait sur le dos du Congo.»

Le sol congolais reste un point d'ancrage indispensable pour ses ressources en cobalt et lithium, nécessaires à l'ensemble des technologies produites à grande échelle pour assurer la révolution énergétique. «Mais pourquoi faut-il toujours tuer, violer, détruire une population pour assouvir aujourd'hui les besoins en cobalt ? Pourquoi ne peut-on imaginer, plutôt, un commerce transparent gagnant-gagnant où l'industrie se développe et paye les matières premières à leur juste prix ?»

Le docteur Denis Mukwege veut alerter : «Ce qui arrive n'est pas un problème congolais mais concerne tout le monde, notamment vous, Européens, qui consommez des produits utilisant des minerais extraits grâce aux guerres. On nous parle de "voiture verte", d'économie verte, de transition écologique. Mais au Congo, la couleur est rouge, le rouge du sang versé tous les jours.»

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