New York, correspondant
Bien sûr, il y a cette critique au vitriol du Wall Street Journal, parue lundi 21 avril, qui renvoie Thomas Piketty à la relecture de La Ferme des animaux de George Orwell (1945) et du Zéro et l'Infini d'Arthur Koestler (1940), tant le livre de l'économiste français, Le Capital au XXIe siècle, représente une menace pour la démocratie telle que la bible des marchés financiers la voit. Bien sûr, il y a aussi la National Review qui parle à son égard de « nouveau marxisme ». Mais à part ces quelques notes dissonantes, ce pavé de 900 pages de l'économiste français sur la montée des inégalités paru il y a un mois aux Etats-Unis chez Harvard University Press fait l'objet d'un concert de louanges.
Paul Krugman, Prix Nobel 2008 d'économie, avait ouvert le bal des compliments il y a quelques jours : « Piketty a transformé notre discours économique. Nous ne parlerons plus jamais de richesse et d'inégalité de la même manière », affirme-t-il, parlant du livre du Français comme « le plus important de l'année – et peut-être de la décennie ». Reçu à la Maison Blanche, puis au Fonds monétaire international (FMI), M. Piketty a enchaîné ces derniers jours les conférences.
Son succès dépasse largement le cénacle des experts. Mardi 22 avril, le livre était en tête des ventes d'Amazon après avoir intégré la liste des best-sellers du New York Times. M. Piketty se dit lui-même un peu surpris par cet engouement : « C'est vrai qu'on est en train d'atteindre la borne supérieure à laquelle je pouvais m'attendre. »
« TRADITION ÉGALITAIRE TRÈS FORTE »
L'intérêt dont font preuve les Américains pour la question de la montée des inégalités n'est pas si illogique, même dans l'un des berceaux du capitalisme. « Celles-ci ont beaucoup plus augmenté aux Etats-Unis qu'en Europe au cours des trente ou quarante dernières années. Mais surtout, les Etats-Unis ont toujours une relation beaucoup plus compliquée avec cette question que ce que l'on imagine parfois en Europe », explique au Monde M. Piketty.
« Le pays a une tradition égalitaire très forte, il s'est construit autour de cette question en opposition à une Europe elle-même confrontée à des inégalités de classe ou patrimoniales. Ensuite, il ne faut pas oublier que ce sont les Etats-Unis qui, il y a un siècle, ont inventé un système de fiscalité progressive sur les revenus justement parce qu'ils avaient peur de devenir aussi inégalitaires que l'Europe », confie-t-il.
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