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Prix de l'électricité : les boulangers en danger malgré les aides d'État
Partout en France, des boulangers menacent de mettre la clé sous la porte ou sont déjà en cours de liquidation judiciaire.
AFP

Prix de l'électricité : les boulangers en danger malgré les aides d'État

Fournil en péril

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Avec la flambée des cours de l'électricité, de nombreuses boulangeries non éligibles au tarif réglementé de l'électricité sont menacées de mettre la clé sous la porte. Les aides d'État effectives dès le 1er janvier pourraient être insuffisantes.

Julien Pedussel est désespéré. Ce boulanger installé à Rieux dans l'Oise, manifeste pour la première fois de sa vie ce lundi, où il passe la journée sur le rond-point de la ville voisine, pour attirer l'attention sur les difficultés des artisans non-éligibles aux tarifs réglementés de l'électricité qui font face à la flambée des coûts de l'énergie.

Le boulanger isarien, qui fait partie de cette catégorie, a reçu la facture d'électricité de son fournisseur Total jeudi soir. Elle s'élève à 12 882 euros en décembre, soit une hausse de 50 % par rapport au mois de novembre. Il y a deux ans, à la même époque, quand il a démarré son activité, elle était de 1 800 euros en moyenne. Avec un petit chiffre d'affaires de 28 000 euros par mois, deux CDI à temps complet à rémunérer, Julien Pedussel, qui ne se verse pas de salaire, pourrait bien se retrouver en cessation de paiements.

La facture de trop

Comme lui, partout en France, des boulangers menacent de mettre la clé sous la porte ou sont déjà en cours de liquidation judiciaire. Et les aides d'État mises en œuvre par le gouvernement dès le 1er janvier ne semblent pas suffisantes pour porter à bout de bras ces commerces de proximité, derniers bastions contre la désertification économique des villages. Rien que pour la région Centre-Val de Loire, quatre boulangeries ont déjà fermé dans le Loiret, et trois dans le Loir-et-Cher, selon la chambre patronale de la boulangerie du Loiret. À Greneville-en-Beauce, commune de 700 habitants près de Pithiviers, le couple Robion a été déclaré en cessation de paiements fin octobre. « Avec les hausses des matières premières, c’était compliqué. La hausse du prix de l’énergie nous a achevés » expliquaient les artisans à la République du Centre.

Selon le président de la chambre patronale de la boulangerie du Loiret, Thierry Villard, il faut y voir l'effet conjoint de l'augmentation du prix des matières premières, de la hausse des salaires et des charges sociales conséquentes à l'inflation, et dernièrement de l'électricité.

Depuis un an, les prix des matières premières ont augmenté en moyenne de 40 %. Le beurre se vend désormais 9 euros le kilo, contre 5,60 euros le kilo en 2021. « Le pire, c'est la farine, qui représente normalement 25 % du prix de la baguette, avec 70 % d'augmentation. » Quant à l'électricité, elle pesait 3 % du chiffre d'affaires en 2021. Aujourd'hui, cette part monte à 4 ou 5 %.

En effet, la plupart des boulangers ne sont pas éligibles au tarif réglementé. Selon la loi entrée en vigueur le 1er janvier 2021, ces tarifs ne sont plus accessibles aux consommateurs non domestiques qui emploient moins de 10 personnes, dont le chiffre d’affaires n’excède pas 2 millions d’euros, et dont la consommation d'électricité dépasse ou est égale à 36 kVA (ou 33 kW). Or, la grande majorité des boulangeries, même les plus petites n'employant qu'une ou deux personnes, excèdent cette consommation, la mise en œuvre des fours et des chambres froides étant très énergivore.

Amortisseur pas si amortissant

Au gouvernement, on estime avoir sorti l'artillerie lourde pour aider ces boulangers. Soit « 12 milliards d'euros », se targue sur les plateaux de télévision Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme. Ils prendront la forme de deux dispositifs différents et cumulables. Le plus important : l'amortisseur d'énergie qui doit « cibler les aides sur ceux qui en ont le plus besoin » avec une prise en charge de 10 à 15 % de la facture d'électricité dès le mois de janvier, pour les TPE et PME de moins de 250 salariés dont le chiffre d'affaires n'excède pas les 50 millions d'euros.

L'État prendra en charge 50 % du montant de la facture d'électricité, au-delà de 180 euros/MWh/, avec un plafond toutefois limité à 500 euros/MWh. Par exemple, si une entreprise s'acquitte d'une facture de 200 euros/MWh, le dispositif prendre en charge la moitié de la différence entre 200 et 180 euros, soit 10 euros.

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Une aide complémentaire pour ceux dont la facture énergétique est supérieure à 3 % du chiffre d'affaires consistera en un guichet unique sous forme de portail en ligne qui devrait compléter la prise en charge jusqu'à atteindre 25 % de la facture de l'électricité, soit une prise en charge de 40 % de la hausse du prix de l'électricité selon le Ministère.

Mais « le reste à payer sera tout de même conséquent » selon Philippe Gueguen, boulanger à Quimper qui a vu son contrat annuel d'électricité passé de 25 000 euros à 60 000 euros par an. Avec une électricité payée entre 180 et 500 euros le mégawattheure, le boulanger quimpérois estiment que les aides qui lui seront allouées seront comprises entre 5 000 à 10 000 euros. Soit un reste à charge 50 000 euros, au mieux.

Même constat pour Julien Pedussel accablé par sa facture de décembre : « Même si j'avais eu le droit à l'amortisseur, cela aurait été tout aussi insuffisant. Avec 28 000 de chiffre d'affaires par mois, j'aurais dû m'acquitter de 9 000 euros de reste à charge après les aides. Ce serait insupportable pour mon entreprise » déplore-t-il. Dernière déception : comme le confirme le ministère, ces aides ne seront pas rétroactives.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne