Publicité massive pour Neom, la ville futuriste du désert voulue par le souverain saoudien, qui va accueillir les Jeux d'hiver asiatiques en 2029. Achat de la star vieillissante du football Cristiano Ronaldo pour 200 millions de dollars. L’Arabie Saoudite investit tous azimuts dans les événements sportifs pour ne pas laisser le leadership du soft power au Qatar dans la région. Edelman, la firme de relations publiques, est l’artisan de cette stratégie qu’une enquête du Guardian met en cause. Les profits faramineux de Saudi Aramco donnent à l’Arabie saoudite le moyen de redorer son blason, terni par l’affaire Khashoggi.   

9,6 millions de dollars en quatre ans, c’est le budget minimum des campagnes de promotion de l’Arabie Saoudite qu’a reçue la firme de relations publiques Edelman, selon une enquête du Guardian publiée le 22 décembre. Elle met en cause le double discours de son dirigeant, Richard Edelman, qui dénonce d’une part  les dangers des autocraties sous la bannière du Forum de Davos, et de l’autre passe des contrats avec l’Arabie saoudite, "l’une des autocraties les plus riches du monde et l’une des pires nations pour le respect des droits humains et des libertés publiques."
Le journal rappelle le scandale planétaire de 2018 après l’assassinat de Jamal Khashoggi, opposant à l’émir saoudien Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, par démembrement. Il explique grâce à des documents confidentiels le contenu des missions confiées à Edelman pour restaurer l’image du royaume dont la fortune colossale vient de Saudi Aramco. Le plus grand producteur mondial de pétrole a doublé ses profits en 2022, comparativement à 2021, et largement dépassé les 130 milliards de dollars de profits avec une moyenne trimestrielle de plus de 40 milliards de dollars.

Le projet pharaonique Neom au centre de la politique de réhabilitation


De quoi financer les actions de communication décortiquées par le Guardian qui reposent sur les techniques de "semeurs de doute". Sur le droit des femmes par exemple, Edelman publie régulièrement des communiqués de presse pour décrire des actions de développement de la promotion des femmes à travers un évènement créé à Ryad, le Business 20 (B20). Dans le même temps le gouvernement continue à emprisonner pour des années les activistes féministes qui critiquent le gouvernement.
L’exemple le plus édifiant de cette politique de réhabilitation est le projet Neom, la ville futuriste à 500 milliards de dollars que l’émir saoudien veut construire sur le désert. Edelman a bâti une stratégie de promotion axée sur l’engagement auprès des parties prenantes et une communication type "metavers durable" qu’illustre la vidéo massivement diffusée sur les réseaux sociaux fin décembre.


Il est intéressant de constater que le slogan "Nous pouvons tout changer ici et maintenant pour un monde meilleur" ne semble pas convaincre. Les commentaires dénoncent surtout le projet pharaonique dont les impacts environnementaux paraissent bien trop négatifs. Sur le plan des violations des droits humains ce n’est pas mieux. L’Arabie saoudite condamne et exécute ceux qui s’opposent au projet, responsable de déplacements massifs de population. En octobre dernier, trois personnes qui refusaient de quitter leurs terres au bénéfice des Jeux Olympiques d’hiver qui doivent s’y dérouler en 2029, ont été condamnées à mort.

Associer le pays à des performances sportives


Si le Guardian a focalisé son enquête sur Edelman, ce n’est pas parce que c’est la seule firme américaine qui aide l’Arabie Saoudite mais plutôt parce qu’elle est un des plus puissants agents de la stratégie des semeurs de doute pour l’industrie pétrolière tout en publiant chaque année un baromètre mondial de la confiance dans les institutions (gouvernement, entreprises, media, ONG). Le double discours qui nourrit les doutes sur l’urgence climatique et la nécessité de sortir des énergies fossiles est l’un des freins les plus efficaces à la limitation des gaz à effet de serre.
Comme au Qatar, le soft power de l’Arabie Saoudite est utilisé pour associer le pays non pas à des controverses environnementales et sociales sur les droits humains mais à des performances sportives. Le pays a fait la Une de l’actualité ces derniers jours pour le rachat à 200 millions d’euros de la star portugaise du football Cristiano Ronaldo. Il va finir sa carrière au club Al Nasser où il sera entrainé par le Français Rudy Garcia. Cela permet à l’Arabie Saoudite de racheter l’un des plus beaux palmarès mondiaux. Les dunes du désert saoudien sont de leur côté mises en avant dans la 49ème édition du rallye Paris-Dakar qui se tient jusqu’au 15 janvier en Arabie saoudite, pour la quatrième année.
En 2020, Human Rights Watch avait lancé une campagne contre le pays pour dénoncer sa stratégie d’investissement dans les événements sportifs afin de masquer les controverses. Son slogan : "Dites au gouvernement saoudien que nous ne sommes pas dupes. Nous savons ce qui se passe derrière la belle façade." Deux ans plus tard, les besoins exponentiels de pétrole des démocraties occidentales ont conduit Joe Biden, le président américain, à se rendre à Ryad et à serrer la main de MBS, dont le sourire triomphant a fait le tour des télévisions du monde entier.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic

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