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Traumatisée par le souvenir cauchemardesque de l’édition 2020 des César – le sacre du "J’accuse", de Roman Polanski et les réactions outrées d’Adèle Haenel, Céline Sciamma et consorts – l’institution du cinéma français semble prête à tout, y compris, donc, à (pré) juger à la place des juges, pour ne pas voir resurgir des scandales qui ont nui par le passé à sa réputation.
Traumatisée par le souvenir cauchemardesque de l’édition 2020 des César – le sacre du "J’accuse", de Roman Polanski et les réactions outrées d’Adèle Haenel, Céline Sciamma et consorts – l’institution du cinéma français semble prête à tout, y compris, donc, à (pré) juger à la place des juges, pour ne pas voir resurgir des scandales qui ont nui par le passé à sa réputation.
AFP

Scandales sexuels dans le cinéma : quand l'Académie des César se plie à la présomption de culpabilité

Air du temps

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Après les polémiques des dernières années, l’Académie des César a annoncé de nouvelles mesures pour éloigner de sa « grand-messe » annuelle les cinéastes et acteurs suspects d'actes de violences. Ce nouvel épisode confirme s’il en était besoin que certaines institutions culturelles, en dépit de la présomption d’innocence, sont prêtes à tout pour échapper aux éventuels scandales et se conformer aux nouveaux standards de la correction.

C’est la question qui risque d’agiter les neurones du petit monde du cinéma dans les prochaines semaines : que se passera-t-il si, « par malheur », Gérard Depardieu figure dans la liste des nommés pour le César du meilleur acteur pour l’une de ses trois prestations notables de l’année 2022 : Maigret de Patrice Leconte , Les volets verts, de Jean Becker ou Robuste, de Constance Meyer ? En vue de la prochaine cérémonie prévue le 24 février à l’Olympia, l’académie des César a en effet fait savoir hier lundi, via un communiqué, qu’elle avait pris des mesures pour éloigner de sa piste aux étoiles toute personne suspecté d’avoir commis des actes déviants. « Par respect pour les victimes (même présumées en cas de mise en examen ou de condamnation non définitive), il a été décidé de ne pas mettre en lumière des personnes qui seraient mises en cause par la justice pour des faits de violence », peut-on y lire.

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« Ne pas mettre en lumière » : qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie concrètement que les votants – 4 705 parmi les « professionnels de la profession » – pourront continuer de voter pour qui ils veulent (ouf !), et donc, éventuellement pour un Gérard Depardieu accusé de violences sexuelles, ce qu’il nie farouchement, mais que ledit Depardieu, mis en examen, ne pourra pas, en cas de nomination ou de sacre, s’exprimer durant la soirée ou lors de tout autre événement associé aux César. Mieux (ou pire) : personne ne pourra le faire à sa place. « Cette mise en retrait ​​​​​exclura également toute prise de parole au nom de cette personne lors de ces mêmes événements – y compris si un César devait lui être attribué à l’issue du second tour de vote », insiste l’Académie des César.

Déprogrammé de fait

Cet énième épisode de la longue et agitée histoire des César intervient – ce n’est pas un hasard – quelques semaines après le « scandale » déclenché par la présence dans la liste des révélations de l’année du jeune acteur des Amandiers, de Valeria Bruni Tedeschi : Sofiane Bennacer. Ce dernier, mis en examen fin novembre pour viols et violences sur conjoint, des faits qu’il nie, a été exclu fissa de la liste suite à des polémiques qui prenaient des allures de tempêtes.

Traumatisée par le souvenir cauchemardesque de l’édition 2020 des César – le sacre du J’accuse, de Roman Polanski et les réactions outrées d’Adèle Haenel, Céline Sciamma et consorts – l’institution du cinéma français semble prête à tout, y compris, donc, à (pré) juger à la place des juges, pour ne pas voir resurgir des scandales qui ont nui par le passé à sa réputation. Néanmoins conscients que « quelque chose » cloche, les responsables des César, de toute évidence pas complètement satisfaits par leur décision bancale, ajoutent que des « travaux » de réflexion auront lieu durant le premier semestre 2023 « face à l'ampleur et la complexité de ces questions, d’un point de vue moral et juridique ». On ne saurait mieux dire.

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Les César, faut-il le rappeler, ne sont pas la seule institution culturelle à ne pas savoir comment se situer sur ces douloureux sujets et à miser, « faute de mieux » sur une sorte de censure. Au risque de l’amalgame, au nom de la défense évidemment nécessaire des victimes et de l’écoute non moins indispensables de celles (et ceux) qui prétendent l’être. Au risque également de donner des gages aux inquiétants supporters de la présomption de culpabilité. Il y a fort à parier, par exemple, que plus aucun grand Festival international de cinéma ne prendra le risque, dans l’avenir, de sélectionner un film de Polanski ou de Woody Allen (pourtant blanchi de toute accusation depuis des lustres). Des cinéastes qui, quoi qu’on en pense, ne sont pas des clones d’Harvey Weinstein et qui, pendant des décennies, ont fait les belles heures desdits festivals. À suivre, forcément…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne