En Iran, l’angoisse des soignants au secours des manifestants

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En Iran, l’angoisse des soignants au secours des manifestants

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Omniprésentes, les forces spéciales du régime iranien s'attaquent autant aux manifestants qu'aux médecins qui viennent à leur secours.
Omniprésentes, les forces spéciales du régime iranien s'attaquent autant aux manifestants qu'aux médecins qui viennent à leur secours.
© AFP - Morteza Nikoubazl/NurPhoto

Depuis septembre, la rue iranienne reste mobilisée pour mettre un terme au fondamentalisme religieux dans l’encadrement de la vie quotidienne. Des médecins se mobilisent, pour relever les victimes de la brutalité policière. Au péril de leur vie. Leurs collègues franco-iraniens témoignent.

En Iran, le bilan de la répression du mouvement de contestation qui a commencé le 16 septembre 2022, après la mort de Mahsa Amini, est désormais d'au moins 400 morts, selon les observateurs, et de plus de 18.000 arrestations. Les médecins iraniens ne sont pas à l'abri, bien au contraire. Pour dénoncer la répression dont ils sont aussi victimes, une centaine de soignants franco-iraniens s'est regroupée dans un collectif. Ils demandent que leurs collègues puissent exercer leur métier sans être sous la menace directe des autorités iraniennes. Ils réclament aussi un libre accès aux soins pour tous les blessés.

Des blessés qui ne se rendent plus à l'hôpital

Comme dans tout conflit, les médecins sont les premiers à vouloir porter assistance aux blessés. En Iran, ils se comptent par milliers, victimes des balles tirées par les forces de l’ordre iraniennes et de leur brutalité. Or, la prise en charge des blessés dans les hôpitaux iraniens a été rapidement entravée. Tabassome Simon est d’origine iranienne : cette professeure de médecine à la Sorbonne Université à Paris et cheffe du service de pharmacologie à l'hôpital Saint-Antoine en explique les raisons : "Des gens du régime sont venus chercher des blessés dans les hôpitaux pour les emmener dans les prisons et ceci a engendré évidemment deux choses. Premièrement, une peur justifiée de la part des blessés de venir dans les hôpitaux pour se faire soigner et donc une prise en charge qui est tardive pour un certain nombre d’entre eux."

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Elle poursuit : "La deuxième chose, c'est que cela oblige du coup le personnel médical et paramédical à se déplacer au domicile des blessés pour essayer de les prendre en charge. Ce qui est à la fois très risqué pour eux et très compliqué parce qu'ils n'ont pas le matériel nécessaire."

Assassinats et mutilations

La professeure cite  le cas d’une jeune médecin de 36 ans qui a payé de sa vie sa détermination à vouloir porter secours aux blessés à leur domicile : "C'était le docteur Aida Rostami. Elle a disparu pendant 48 heures et sa famille a été appelée. Au départ, on leur a dit que c'était un accident de voiture. Mais visiblement, ça n'en était pas un. Elle a été tuée et en plus, on lui a enlevé un œil... Il y a aussi trois autres personnes, dont un psychiatre, qui sont parties au Kurdistan. Les trois ont disparu. On ne sait pas ce qu'ils sont devenus. Là encore, ce sont des gens qui se sont déplacés pour essayer de soigner sur place, de voir ce qu'ils pouvaient faire pour aider. Il y a vraiment des médecins qui risquent leur peau en voulant rester fidèles à leurs engagements et à leur serment d'Hippocrate."

La tension, qui a explosé le 16 septembre 2022 en Iran, après la mort de Mahsa Amini, ne faiblit pas.
La tension, qui a explosé le 16 septembre 2022 en Iran, après la mort de Mahsa Amini, ne faiblit pas.
© AFP

Le régime iranien n’hésite pas à menacer les médecins de la peine capitale pour intimider ceux qui seraient tentés de secourir leurs concitoyens. "Récemment, le docteur Hamid Ghare Hassanlou, médecin radiologue, et son épouse, technicienne de laboratoire, ont été arrêtés parce qu'ils étaient présents à une manifestation au cours de laquelle un Bassidji est mort. On l'a attrapé, en lui disant que c'était de sa faute, alors qu'en réalité, il n'y a strictement aucune preuve. Toutes les informations disent qu'il s'agit d'un médecin extrêmement doux dans son activité, qui a beaucoup travaillé bénévolement pour des ONG locales, au-delà même de son activité médicale. Il a été condamné à mort sans preuve encore une fois. Tout le monde sait qu'il n'a strictement rien à voir avec ces violences. Il y a eu un tel tollé à la fois en Iran et à l'extérieur que sa condamnation à mort a été levée pour l’instant. Au-delà de son cas, il y a un nombre important de médecins et de personnels travaillant à l'hôpital qui sont actuellement susceptibles d'être condamnés à mort. Nous les avons listés dans notre tribune."

Le zoom de la rédaction
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La terreur exercée par le régime passe également par l’obligation pour les médecins d’établir de faux certificats pour camoufler l’origine des blessures ou des décès. Totalement insupportable pour le professeur Reza Kianmanesh, chef de service de chirurgie générale digestive endocrinienne au CHU Robert-Debré à Reims.

"Liberté totale pour les soignants"

"Quand il y a des décès ou des tortures, les médecins, surtout les légistes, sont obligés de délivrer de faux certificats de décès pour, entre guillemets, rassurer un peu tout le monde et surtout pour que ces informations ne puissent pas parvenir au peuple. Ils sont obligés de dire : voilà cette personne qui, par exemple, a plusieurs fractures, est tombée du cinquième étage et les blessures sont en règle. Et ça, c'est quelque chose d'inacceptable de mentir sur les raisons de la mort. On a eu récemment des informations selon lesquelles dans une ville de l'Azerbaïdjan d'Iran, il y avait au moins une quarantaine de corps qui étaient en train d'être enterré sans que les familles soient là et sans nom. Ça fait partie des atrocités qu'on n'aimerait voir dans aucun pays." Franco-iranien, le professeur Reza Kianmanesh ne se résout pas à assister impuissant à ce qui se passe dans son pays.

"Des médecins ou des cadres de santé ont été tués, d'autres sont condamnés à mort, d'autres sont emprisonnés. On ne sait même pas où ils se trouvent. D’autres ont été tabassés dans leur cabinet. À travers ce collectif, nous essayons de répertorier les noms pour mettre un peu la pression avec d'autres organisations humanitaires pour qu'ils soient libérés. Nous demandons qu'il y ait une liberté totale pour les soignants dans l'exercice de leurs fonctions."

À l’instar de son collègue, le professeur Tabassome Simon espère que cette mobilisation des soignants franco-iraniens arrivera jusqu’à leurs collègues restés en Iran, pour qu’ils se sentent moins seuls : "Notre sujet n'est pas d'être politique, même si, évidemment, tout acte est politique. Nous voulons juste alerter l'opinion publique sur la sanctuarisation nécessaire des lieux de soins et des soignants en Iran."

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