Comment être heureux, avec le philosophe Vladimir Jankélévitch

Vladimir Jankélévitch, un matin de printemps
Vladimir Jankélévitch, un matin de printemps
Comment être heureux, avec Vladimir Jankélévitch
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Comment être heureux, avec le philosophe Vladimir Jankélévitch

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Comment être heureux ? Pour Vladimir Jankélévitch, l’audacieux philosophe du “Je-ne-sais-quoi” et du “Presque-rien”, la vie est une géniale improvisation, dans laquelle le bonheur existe, à quelques conditions contre-intuitives. Écoutez-le dans cette inspirante archive de 1979.

Ne manquez pas votre unique matinée de printemps”. C’est ce que le philosophe français Vladimir Jankélévitch (1903 - 1985) répétait à ses étudiants à la Sorbonne à la fin de ses cours. Car notre temps est compté, le printemps nous le rappelle. Cette conscience de la fragilité des choses est aussi une condition du bonheur, un instant irréversible qu’il faut cueillir. Le philosophe développait sa conception du bonheur pour la télévision française en 1979.

Les Chemins de la philosophie
58 min

Les fragiles conditions du bonheur

Vladimir Jankélévitch,1979 :

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"Le bonheur est capricieux, il est comme l'amour. ll vient au moment où on s'y attendait le moins.

Il vaut mieux avoir de l'argent que ne pas en avoir. Il vaut mieux pouvoir voyager que ne pas pouvoir voyager. Il vaut mieux pouvoir aller au théâtre et au concert que d'en être privé. Mais une fois que vous réunissez toutes ces conditions et que vous avez énormément d'argent pour faire tout ce que vous pouvez, tout ce qui vous plaît, vous sentez subitement un grand désert en vous, une grande et une grande solitude. C'est pourquoi il y a tant de milliardaires qui s'ennuient. Nous, nous les envions, mais ils s'ennuient, quelquefois ils se suicident tellement ils s'ennuient. Ils sont au comble de leurs vœux et ils ne sont pas heureux. Alors, qu'est-ce qu'il leur faut pour être heureux ? Qu'est-ce qu'il leur faut ? Eh bien, il leur faut probablement un peu d'insouciance, d'innocence, un retour à l'innocence.

Je suis heureux et je ne m’en aperçois même pas. Car le véritable bonheur est à inconscient de soi. Si je me dis : 'Ah ce que je suis heureux, comme je suis heureux, mon Dieu que je suis heureux.' Il est temps de se méfier. Ça veut donc dire que mon bonheur est précaire. Qu’il va se dissiper. Je pense qu'il est fragile, qu’il est à la merci des circonstances.

Quand je suis vraiment heureux, je n'en sais rien. Le bonheur est naturellement innocent. Alors, quelqu'un qui jouerait du piano pour se dire ça va me dissiper mon ennui, mon spleen va disparaître et qui s'en sert comme d'un médicament ? Comment voulez-vous qu'il soit heureux ? Ce n'est pas des conditions pour être heureux. Il y a une condition de possibilité. Il vaut mieux avoir la culture pour avoir éventuellement les moyens d'être heureux.

Mais il y a des gens qui n'ont aucune culture et qui sont parfaitement heureux et qui s'en passent. Comme il y a des gens qui habitent une ville sans charme, où il n'y a pas de gondoles, pas Venise ! Les gens s'imaginent que parce qu'on est à Venise, on est nécessairement heureux. Moi, je pense qu'à Venise, il y a plus de neurasthéniques qu'ailleurs. Du moins à en juger par La mort à Venise, le film et le roman de Thomas Mann. Je suis heureux en ce moment. Un peu fatigué mais heureux. En tout cas, l'idée que je pourrais l'être déjà me rend un peu heureux. On est un peu heureux à l'idée qu'on pourrait l'être et que c'était à la portée de tout le monde et qu'il vient subitement, comme une grâce de sang descend sur vous au moment où on s'y attendait le moins."

“C’est maintenant ou jamais. ne perdez pas votre chance unique dans toute l’éternité.” Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien (Le Seuil, 1980)

Cueillir la grâce

Vladimir Jankélévitch : "Je ne sais pas pourquoi je suis heureux aujourd'hui et pourtant, je n'ai aucune raison particulière. Peut-être même, j'aurais des raisons de ne pas l'être. Mais c’est la direction du vent, un parfum qui vient subitement jusqu'à moi. Et puis quelquefois, il y a rien du tout. Puisque c’est vraiment un je-ne-sais-quoi. Un jour c'est un souffle du printemps, le premier souffle du printemps. Puis je ne sais quoi dans l'air. Quelque chose, l'insaisissable. Alors là, je suis plutôt dans une situation, non pas créatrice, mais d'attente comblée."

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