•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Cette mine dont les Naskapis et les Innus ne veulent pas

Une forêt contre des emplois. Un lac contre des redevances. Les Naskapis et les Innus, eux, ont choisi, à l'unanimité semble-t-il. La communauté naskapie refuse le projet minier de Century Global qui les priverait d'un lieu de chasse et de pêche emblématique. Et le chef innu d'à côté est du même avis.

Un panneau annonçant l'entrée dans la communauté sur laquelle on peut lire « bonjour » en naskapi, anglais et français.

La communauté de Kawawachikamach est située à un peu plus de 1100 km de Montréal.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

« Cet endroit, c’est notre arrière-cour. Notre maison. C’est là qu’on pêche, qu’on chasse ». Il est hors de question pour Napess Vollant, jeune Naskapi de Kawawachikamach, de laisser la minière Century défigurer le lac Joyce, à environ 20 kilomètres de sa maison.

Voilà plusieurs années que le projet de la mine du lac Joyce est dans les tuyaux. La minière Century prévoit d’y produire 2,5 millions de tonnes de fer par an pour les transporter ensuite vers Sept-Îles. Une route d’une quarantaine de kilomètres doit aussi être construite.

Une carte indiquant l'emplacement précis du projet.

Le projet de mine au lac Joyce est situé à une vingtaine de kilomètres de la communauté naskapie de Kawawachikamach.

Photo : Century Global

Mais les Naskapis ne se réjouissent pas vraiment de ce projet. Napess Vollant, l’un des plus revendicatifs d'entre eux, a déjà tout prévu. Il a créé un groupe de discussion sur les réseaux sociaux et a fait imprimer des chandails aux revendications plutôt claires. C’est une fin de non-recevoir.

Je suis prêt à me faire arrêter pour ça et beaucoup de mes amis aussi. Si on perd cette bataille, on perd tout.

Une citation de Napess Vollant

L'industrie minière en terre autochtone

Consulter le dossier complet

un tapis fait tomber des roches sur un tas dans une mine

C’est assez. On a perdu les caribous il y a quelques années. Cet endroit, c’est ce qu’il nous reste pour trouver la paix, c’est notre jardin. Je pense beaucoup à tout ce que nos aînés y ont vécu, lance Napess Vollant en montrant son chandail fraîchement imprimé aux couleurs de ses revendications.

Un homme dans son salon qui tient un chandail en main.

Napess Vollant est l'un des rares Naskapis à oser élever la voix contre la minière à visage découvert.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

De son côté, la minière vend son projet. Par courriel, Allan Gan, le gestionnaire, rappelle que l'entreprise a récemment publié les résultats de l’étude de faisabilité. Ils démontrent un projet robuste qui va rapporter 185 millions de dollars et créer 300 emplois.

Des hommes en haut d'une butte de roche.

Des échantillons ont été pris sur les lieux en 2012 et 2013.

Photo : Global Century

Pas de quoi convaincre Napess Vollant. Le Naskapi raconte tout ce qui se passe autour de ce lac que la minière prévoit d’assécher si le projet est validé.

Beaucoup d’Autochtones y ont un petit chalet et passent leur temps libre à pêcher et à chasser. Selon la cheffe naskapie, Theresa Chemaganish, il y en aurait une vingtaine. Elle-même vient d'en faire construire un.

Shane Vollant, un Innu-Naskapi, en a un aussi. J'ai passé la plupart de ma jeunesse dans ce chalet. On y chasse l'outarde au printemps depuis des générations. La mine sera directement devant notre chalet, raconte-t-il, en ajoutant s'inquiéter pour la qualité de l'eau des lacs environnants qui risque de changer, selon lui, si la mine s'implante.

Un homme assis dans une voiture avec une carabine en main.

Shane Vollant ne souhaite pas non plus que la minière s'installe près de Kawawachikamach.

Photo : Facebook / Shane Vollant

Je ne veux pas de mine, même si on nous promet du travail. On est les seuls Naskapis au monde et on a juste un territoire, on ne peut pas le laisser. La mine va transformer le paysage et c'est un "non".

Une citation de Shane Vollant

Theresa Chemaganish précise que si la mine voit le jour, tous verront la pile de résidus miniers de la fenêtre de leur cabane. Je respecte leurs préoccupations et moi-même j'en ai, assure-t-elle.

Dès le début, nous avons dit que l'opinion de la population était importante. Et notamment à cause de cette opposition, le conseil souhaite être très transparent.

Une citation de Theresa Chemaganish, cheffe de Kawawachikamach

Du côté des Innus de Matimekush-Lac John, situés à moins de 10 kilomètres des Naskapis, la réponse du chef Réal McKenzie est radicale.

Il n’y en aura pas de mine là-bas, c’est clair? Ce lac est sacré!

Une citation de Réal McKenzie, chef de Matimekush-Lac-John
Un homme pointe son doigt vers une personne hors champ. Le micro en main.

Le chef Réal McKenzie ne veut pas du projet minier de Joyce lake.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le chef hausse le ton. Il en a ras le bol de toutes ces minières qui tentent de s'implanter sur le territoire. Il a d'ailleurs prévu d'écrire une lettre aux premiers ministres du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador.

Qu'ils arrêtent de donner des permis aux minières, ça ne sert à rien, ajoute-t-il. Elles perdent leur temps, parce que pour nous, ce sera non. Les minières doivent le savoir avant même de commencer leurs projets. C'est même pas la peine qu'ils aillent jusqu'aux consultations!

Une mère tire un enfant dans un traîneau et une petite fille marche à côté d'elle.

Plusieurs Naskapis possèdent un chalet aux environs du lac Joyce.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Réal McKenzie sait que la loi oblige les Autochtones à accepter la tenue de consultations. Il indique qu'il va sûrement rencontrer Century Global en 2023, malgré tout.

Nous respectons la position des Innus et ils respectent la nôtre. Nous avons juste une approche différente. Nous allons suivre le processus, indique la cheffe naskapie.

Les Naskapis, eux, ont rencontré Century Global en novembre dernier pour connaître leurs plans. À la suite de quoi, une rencontre avec les membres de la communauté s'est tenue lors de laquelle une soixantaine de personnes étaient présentes.

Les Naskapis souhaitent réaliser une étude d'impact sur le territoire et les traditions naskapies.

La compagnie minière indique quant à elle poursuivre ses consultations avec les communautés autochtones pour identifier les préoccupations et élaborer des mesures d'atténuation.

Quels impacts?

Sur le site du gouvernement, le seul avis extérieur sur ce projet est celui produit par un groupe d'étudiants de l’Université de Waterloo, en Ontario.

Le groupe est assez clair : Nous sommes d’avis que la proposition de projet devrait être refusée sans condition par le ministre pour ses conséquences biophysiques et ses impacts socio-économiques.

Un paysage avec forêt et collines.

Les Innus et les Naskapis partagent ce vaste territoire.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Leur avis a été soumis à Century Global, qui a souligné certaines erreurs commises par les étudiants, notamment concernant l'étendue de la mine.

Émile Cloutier-Brassard, analyste minier pour l'organisme Eau Secours, a lui aussi relevé des inexactitudes et un certain manque de rigueur scientifique.

Il appuie cependant certains arguments des étudiants, dont ceux concernant l’assèchement du lac Joyce que va requérir l’établissement de la mine. Selon M. Cloutier-Brassard, il est évident que cela aura un impact sur l'environnement.

De son côté, la minière rétorque que l'assèchement du lac Joyce est nécessaire pour assurer la sécurité des travailleurs dans la mine à ciel ouvert, car l'extrémité nord du lac recouvre partiellement le gisement. Elle affirme aussi que les gros poissons ne peuvent pas survivre dans le lac Joyce.

Vue sur un trou de mine enneigé avec un panneau « danger » traduit en innu et en naskapi.

Une minière, Tata Steel, est déjà implantée sur le territoire des Innus et des Naskapis.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

La minière promet de le réalimenter au cours des deux dernières années de production.

Allan Gan, le gestionnaire du projet chez Century Global promet encore plus. Ce procédé aura pour but de donner de meilleures zones de reproduction pour les poissons. Le lac sera plus profond et légèrement plus grand.

Instinctivement, je maintiens mes doutes quant au fait que le passage d'une minière puisse apporter quelque amélioration que ce soit au territoire et à l'environnement... Ça me paraît pour le moins contre-intuitif.

Une citation de Émile Cloutier-Brassard, analyste minier

Et les retombées économiques?

La minière promet aussi des emplois et des partenariats avec les communautés autochtones.

La construction durera environ deux ans, la production plus de sept ans et les activités de fermeture plus de douze mois, soit un total de dix ans. Au cours de cette période, plus de 300 emplois seront créés et les dépenses totales dépasseront les trois milliards de dollars, assure M. Gan.

Et ce, malgré la baisse du prix du fer sur les marchés mondiaux qui a d'ailleurs conduit à la fermeture temporaire de la mine de Tata Steel a Schefferville, dans le même secteur de projet du lac Joyce.

Le logo de Tata Steel sur une installation dans la mine.

La minière Tata Steel a pris le relais d'IOC, qui était là quelques années avant elle.

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Une mine, c'est un projet à durée fixe, donc non durable par définition. Que l'on parle de 2, 7, 15 ou 30 ans, ça ne change rien au fait que c'est temporaire. Ça génère évidemment de la richesse, mais ça la concentre entre les mains de quelques élus et souvent entre les mains de travailleurs ne provenant pas de la région, répond de son côté M. Cloutier-Brassard.

Shane Vollant, le jeune Innu-Naskapi, n'y croit pas non plus. On a vu comment ça s'est passé avec Tata Steel, laisse-t-il tomber.

Le projet est encore loin d’avoir reçu l’aval de toutes les autorités compétentes. En juillet dernier, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada a prolongé le délai de trois ans dont disposait la minière pour fournir les études demandées pour l’évaluation environnementale du projet.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Espaces autochtones

Chaque semaine, suivez l’essentiel de l’actualité autochtone au Canada.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Espaces autochtones.

Espaces autochtones

Un travail journalistique sérieux, constant et curieux est le meilleur moyen de dévoiler et expliquer des réalités que beaucoup ne soupçonnent peut-être pas. Et donc de comprendre. C'est ce que nous nous proposons de faire. Découvrir, informer, comprendre, expliquer.

— Soleïman Mellali, rédacteur en chef