Mémoires avec Adolfo Kaminsky : "Je ne pouvais pas supporter les injustices"

Adolfo Kaminsky, résistant et spécialisé dans la fabrication de faux papiers d'identité, à Paris, le 26 septembre 2019. ©Maxppp - PHOTOPQR/LE PARISIEN/Olivier Corsan
Adolfo Kaminsky, résistant et spécialisé dans la fabrication de faux papiers d'identité, à Paris, le 26 septembre 2019. ©Maxppp - PHOTOPQR/LE PARISIEN/Olivier Corsan
Adolfo Kaminsky, résistant et spécialisé dans la fabrication de faux papiers d'identité, à Paris, le 26 septembre 2019. ©Maxppp - PHOTOPQR/LE PARISIEN/Olivier Corsan
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Le résistant Adolfo Kaminsky est décédé à l'âge de 97 ans. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a sauvé des milliers d'enfants juifs en leur faisant des faux papiers. Après-guerre, il est resté dans la clandestinité aidant divers mouvements dans le monde. Il se confiait au micro de Laure Adler.

Avec
  • Adolfo Kaminsky Photographe, ancien résistant et ancien faussaire

« Paris, janvier 1944. Arrivé devant la bouche de Métro Saint-Germain-des-Prés, je m'y engouffre sans perdre de temps. Je dois rejoindre l'Est de Paris, direction Père-Lachaise. Je choisis un strapontin à l'écart des autres passagers. J'ai dans ma mallette un contenu précieux que je serre contre moi. Je décompte les stations qui défilent. République plus que trois. Il y a du bruit, des voix en provenance du wagon d'à côté. Le métro siffle depuis plusieurs secondes. Pourtant, les portes ne se referment pas. Les voix cèdent au bruit des pas bruyant, sec, bien particulier, je le reconnais immédiatement. Une douleur brûlante monte dans ma poitrine au moment même où une patrouille de miliciens, brassards en évidence et béret basque vissé sur des crânes à la nuque tondue, fait irruption dans la rame de métro. Un signe au chauffeur et la porte se referme. Contrôle de papiers, fouille générale. »

Adolfo Kaminsky, a commencé à œuvrer pour la résistance française et juive à l’âge de 17 ans, après un passage par le camp de Drancy en 1943, qu’il pourra quitter quelques mois plus tard grâce à sa nationalité argentine.

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A sa sortie, il s’est spécialisé dans la fabrication de papiers d’identité. Ces documents ont sauvé la vie de milliers de Juifs. Il a ainsi collaboré avec des organisations telles que les Éclaireurs israélites, la Sixième et l’Organisation juive de combat, puis les services secrets de l’armée française jusqu’en 1945, qu’il quittera à l’aube de l’engagement du pays en Indochine.

Sa vocation de faussaire

Adolfo Kaminsky a été résistant dès l’arrivée des Allemands à Vire, en Normandie. Sa famille était arrivée en France à la suite de pogroms qu'elle avait subis dans son pays d'origine. Adolpho est devenu résistant, naturellement, car ses parents le lui avaient enseigné : « À l’époque, on n’employait pas le terme de résistant, c’était caché. Rien que de ne pas distribué les journaux fascistes, c’était de la résistance."

Adolfo devient faussaire à l’âge 15 ans : « C’est à partir de mes 17 ans dans la résistance que je me suis vraiment spécialisé dans le sauvetage d’enfants juifs. Sur les papiers, il était obligatoire d'avoir l'adresse et l'âge. Si c'était un enfant d'origine israélite, il y avait juif d'indiqué sur le passeport, la carte d'identité et sur la carte d'alimentation qui était obligatoire, même pour un petit de deux ans. Les commerçants devaient rendre des comptes sur chaque gramme vendu, c’était très contrôlé. »

Ce talent de faussaire, il l’a acquis dans une teinturerie où il découvre la magie de la couleur, des colorants : « J’ai appris d’abord à enlever les taches des vêtements et à les teindre. On faisait bouillir de l'eau tiède et on remuait avec un bâton. J’ai trouvé ça extraordinaire, et je posais beaucoup de questions à mon patron, qui était ingénieur chimiste. J’ai acquis beaucoup de connaissances, j’ai acheté à un pharmacien un microscope et des livres de chimie. Mais je ne savais pas encore que j’allais faire des faux papiers. »

Adolfo est arrêté à Drancy avec sa famille. Pendant trois mois, il voit défiler des personnes qui partent en déportation. Une vision abominable. C’est finalement grâce au Consul d’Argentine, que lui est sa famille évite la déportation. Mais sa famille n’a plus aucun droit, son père prend contact avec la résistance, c’est comme cela que Adolpho propose ses services de faussaire à la résistance. Ce sont finalement plusieurs milliers de faux papiers que Kaminsky va réaliser pendant la guerre.

La course contre la mort

À plusieurs reprises, Adolfo a failli être arrêté. Mais par chance, par force, par courage, il a échappé aux filets des Allemands et de la police française tout en travaillant jour et nuit : « Chaque minute de fabrication de ces faux papiers entraîne la vie, la vie des enfants et des familles que vous aviez sauvées grâce à ces faux papiers. Je me suis évanoui plusieurs fois au laboratoire parce que puis les demandes étaient ininterrompues, c'était la course contre la montre, la course contre la mort. »

La libération

Le laboratoire du faussaire était dans le Quartier latin. À la libération de Paris, Adolpho, reconnu pour son talent et son combat en tant que résistant, est pris en charge par l’armée qui lui confie la responsabilité de parachutages derrière les lignes allemandes pour repérer les lieux où il y avait des expériences sur les êtres humains. Ça a été une nouvelle longue bataille pour la vie et contre la mort.

Après la Seconde guerre mondiale, continuer la résistance contre les injustices

Après la guerre, Adolfo Kaminsky a été recruté par les services spéciaux français, mais ça n'a pas duré longtemps puisque l'Allemagne a capitulé et ouvert ses portes. Il était là-bas avec un groupe de soldats américains où il a aidé des enfants livrés à eux-mêmes dans la campagne allemande et polonaise à la frontière. Ce qui l'a ensuite conduit à quitter l'armée pour voler vers d'autres combats : "J'ai démissionné de l'armée, mais n'ayant pas le droit de démissionner surtout quand on est étranger, ils ont finalement fini par accepter parce que la guerre d'Indochine commençait et je ne voulais rien avoir à faire avec les guerres à venir".

Mais à sa manière il a continué la résistance puisqu'on se souvient du drame et de la tragédie d'Exodus, de toutes ces personnes d'origine juives qui, après le génocide, ont voulu aller en Palestine et n'ont pas pu débarquer en terre de Palestine parce que le mandat britannique et les tutelles politiques ne les y ont pas autorisés. Lui à ce moment-là, a recommencé à faire des faux papiers car il ne supportait pas les injustices et s'est engagé ensuite après le partage de la Palestine et la création de l'Etat d'Israël dans cet autre combat : "je n'ai pas pu supporter le racisme, quel qu'il soit. Il n'y a pas de bons et de mauvais racistes. Les hommes sont tous égaux et j'ai eu beaucoup de mal à le faire admettre".

Il est parti de la Palestine, pour revenir en France et une nouvelle fois son esprit de résistance s'est dressé. Il a été un des premiers à comprendre les enjeux de la guerre d'Algérie. Il a continuer à faire de faux papiers pour le FLN cette fois-ci : "Je ne pouvais pas supporter les injustices. Il fallait réduire les morts au minimum, faire en sorte que ce qu'il n'y ait pas de morts, c'était une lutte contre la police et la dictature raciste. Même après la guerre d'Algérie j'ai eu du mal à trouver ma vraie place puisque les oppressions prenaient plein d'autres formes".

Un cœur de résistant et une âme d'artiste

En dehors de ses activités de résistant et d'insoumis pendant toute son existence, il a fini par cultiver une passion pour la photographie dans le cadre de la résistance. Il a fallu 60 ans pour qu'on reconnaisse son existence, son itinéraire à la fois de juste, mais aussi d'artiste. Cette passion de la photographie a d'abord commencé avec son amour pour la peinture à l'école car à 17 ans, puisqu'il peignait. Quand il a commencé à faire des photos, c'était essentiellement dans le cadre de la réalisation de faux papiers, avant que ça devienne un vrai plaisir : "Paris la nuit était déserte. Il faisait nuit noire. Il n'y avait pas d'éclairage. C'était très primitif. Et curieusement, ces photos, je les faisais souvent accompagné par un camarade qui aimait la photo aussi pour qu'on puisse ne pas être pris. D'ailleurs tout le monde ne possédait pas un réflex donc il fallait faire attention à ne pas se le faire voler. Je fis comme cela des allers-retours jusqu'à ma chambre rue Broca, qui appartenait en location à mon père".

De l'ombre à la lumière : a-t-on vraiment appris de l'histoire ?

Adolfo Kaminsky a toujours été un homme de l'ombre et a souhaité l'être puis, tout d'un coup, ses exploits ont été célébrés, honorés par les historiens, les philosophes, bien que resté invisible pendant de très nombreuses décennies : "Je suis très content parce qu'on s'est mis à montrer la discrétion dans laquelle nous étions enfermée par fatalité, avec l'exposition des images cachées depuis longtemps qui devenaient enfin visibles et que les gens venaient apprécier. Je suis très fier d'avoir pu être reconnu, puisque j'ai toujours toujours caché".

Mais malheureusement aujourd'hui, il doute que nous ayons suffisament appris de nos erreurs passées. Malheureusement, c'est "le désordre absolu" confie-t-il, avec une crise humanitaire qu'il déplore en pensant "aux réfugiés de toutes nations, qui fuient et souffrent sur des bateaux qui sont débordés", ce qui, est selon lui, "humainement inadmissible". Il confie que "Non rien n'a été gagné".

Après la guerre, ce faussaire de génie s’est mis au service de nombreuses causes révolutionnaires dans le monde, dont le mouvement pour l’indépendance algérienne et le mouvement anti-apartheid en Afrique du sud. Connu comme ­« le technicien », dans les années 1950 et 1960, il est le faussaire des réseaux de soutien aux indépendantistes algériens, aux révolutionnaires d’Amérique du Sud et aux mouvements de libération du Tiers-Monde, ainsi qu’aux opposants aux dictatures de l’Espagne, du Portugal et ­de­ la­ Grèce.

Resté fidèle à ses conceptions humanistes, il refusera toute collaboration avec les groupes violents qui émergent en Europe dans les années 1970.

Comment est-il devenu faussaire ? En travaillant chez un teinturier, où il a appris les rudiments de la chimie. Combien de faux papiers a-t-il réalisé ? Impossible de le savoir.

Le musée d'art et d'histoire du judaïsme, à Paris, expose jusqu'au 19 avril une autre facette de son art : ses travaux photographiques. Dans son monde se côtoient des travailleurs, des amoureux clandestins, des brocanteurs, des mannequins réels ou factices.

Et pour en savoir plus

Sarah Kaminsky, écrivaine et comédienne, dans "Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire", s'est glissée dans la peau de son père Adolfo Kaminsky, pour retracer la vie de son père.

A l'origine de l'exposition au musée d'art et d'histoire du judaïsme, le livre Adolfo Kaminsky, changer la donne.

Choix musical : Ma liberté - Georges Moustaki

Archives diffusées :

  • Archive Ina de 1944 : Paul Eluard  au moment de la libération de Paris
  • Archive du 29 novembre 1947 : Extrait de la session de vote à l’ONU à partager la Palestine en deux états et créer l’état d’Israël (33 oui pour 13 non)
  • Archive Ina du 1er février 1975 (au micro de Pierre Yves Leprince) : Germaine Tillion parle du lien entre exister et résister et évoque la guerre d’Algérie

Générique : Veridis Quo - Daft Punk

Là-bas si j'y suis
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