Face au manque d'antibiotiques, des pharmacies fabriquent elles-mêmes leurs gélules d'amoxicilline

Océane Meteigner prépare une série de gélules remplies d'amoxicilline, à Paris, le 9 janvier 2023. ©Radio France - Valentin Bertrand
Océane Meteigner prépare une série de gélules remplies d'amoxicilline, à Paris, le 9 janvier 2023. ©Radio France - Valentin Bertrand
Océane Meteigner prépare une série de gélules remplies d'amoxicilline, à Paris, le 9 janvier 2023. ©Radio France - Valentin Bertrand
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L'amoxicilline se fait rare dans les pharmacies françaises. Cet antibiotique, très demandé, est depuis deux mois en "tension d'approvisionnement". Pour accélérer sa production, les laboratoires et les pharmacies sont mis à contribution.

Matin et soir, Arnaud Truffel guette les sites internet de ses fournisseurs en quête d'amoxicilline. Pour ce pharmacien parisien, la recherche est souvent vaine : "rupture". "Par exemple, il ne me reste que deux boîtes d'Augmentin (un antibiotique à base d'amoxicilline, ndlr) alors que d'habitude, j'en vends une dizaine par jour", relate-t-il en confiant que la situation lui pèse. Une situation qui se retrouve dans deux tiers des pharmacies françaises d'après la fédération des syndicats pharmaceutiques. Depuis la mi-novembre, tous les antibiotiques à base d'amoxicilline sont donc considérés en "tension d'approvisionnement" par l'Autorité nationale de sécurité du médicament (ANSM).

La faute, principalement, à une demande qui explose cette année avec le retour des maladies hivernales. Les ventes d'amoxicilline ont ainsi bondi de 21 % entre 2021 et 2022 pour atteindre 61 millions de boîtes vendues, constate le Groupement pour l'élaboration et la réalisation de statistiques sur l'industrie pharmaceutique (GERS).

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Antibiotique indispensable

Recommandée contre la bronchiolite, les otites ou les sinusites entre autres, l'amoxicilline est un antibiotique à large spectre. C'est-à-dire qu'il agit efficacement contre un grand nombre de maladies. "C'est vraiment l'antibiotique de base, prescrit en première intention par les médecins généralistes, les dentistes et les ORL", confirme Arnaud Truffel.

Évolution de la demande d'amoxicilline en France
Évolution de la demande d'amoxicilline en France
- Groupement pour l'élaboration et la réalisation de statistiques sur l'industrie pharmaceutique

La triple épidémie en cours – Covid, grippe, bronchiolite – s'est donc traduite par une montée en flèche des achats d'amoxicilline dans le monde entier. La hausse est telle que les ventes enregistrées en 2022 (61 millions de boîtes, en France) ont retrouvé les niveaux d'avant-Covid après deux années marquées par un net recul. "Ces niveaux ne sont pas inédits, mais la progression dépasse ce que nous avions anticipé", appuie Jérôme Wirotius, le directeur général du laboratoire Biogaran. Ces derniers mois, le groupe a ainsi vu ses ventes progressé de plus de 50 %. "On a en partie pallié les ruptures d'autres laboratoires", explique-t-il.

Des livraisons accrues, mais pas de quoi empêcher les ruptures de stock ponctuelles. Les autorités sanitaires ont donc prises, entre novembre et décembre 2022, une série de restrictions pour limiter les délivrances d'amoxicilline. Il est par exemple impossible de retirer la totalité d'une prescription en une fois. Les achats sans ordonnances sont, eux aussi, très encadrés.

Pharmacies mobilisées

Pour faire baisser la tension, une quarantaine de pharmacies ont également reçu l'autorisation, le 29 décembre dernier, de conditionner des gélules d'amoxicilline dans leur arrière-boutique. Un de ces établissements se trouve dans le VIIIe arrondissement de Paris. Une officine choisie parce qu'elle possède une salle surpressurisée, indispensable pour ce type de préparation.

Chaque jour, un préparateur est ainsi en mesure de produire 50 boîtes de 180 gélules. La moitié revient à la pharmacie elle-même, l'autre moitié est partagée entre les autres enseignes. Un coup de main bienvenu, mais la Fédération des syndicats pharmaceutiques prévient : "C'est uniquement une réponse d'urgence", précise Philippe Besset, le président.

Production à perte

La vraie piste d'amélioration est à chercher du côté des grands laboratoires. Biogaran – qui se présente comme le "premier acteur sur le marché de l'amoxicilline" – a ainsi tripler ses volumes entre 2021 et 2022. Pour y parvenir, le laboratoire compte, en grande partie, sur l'usine GSK de Mayenne. Ce sous-traitant a récemment annoncé qu'il allait lui-même doubler sa production en deux ans.

Cette accélération se heurte à un paradoxe : "L'amoxicilline pédiatrique nous fait perdre de l'argent", pointe Jérôme Wirotius, le directeur général, "Elle coûte 0,76 €, moins qu'une baguette de pain. Avec l'inflation, on est en marge négative de 20 %". Ce prix, jugé trop bas, n'incite donc pas les laboratoires à investir dans l'amoxicilline ou à constituer des stocks.

Concurrence européenne

Un constat que regrette l'économiste de la santé Nathalie Coutinet : "Les prix ont baissé quand les brevets ont été levés et lorsque les génériques sont arrivés." Selon elle, c'est donc la politique française de tarification du médicament qu'il faut questionner : "Dans ce cas précis, je pense qu'il vaudrait mieux rémunérer moins les traitements innovants pour consacrer davantage de moyens aux médicaments plus anciens mais qui ont prouvé leur efficacité", détaille la maîtresse de conférence à l'Université Sorbonne Paris Nord.

L'autre conséquence de cette politique tarifaire se ressent dans les importations réalisées par la France. Alors que toute la planète cherche à se procurer de l'amoxicilline, c'est la logique de marché qui s'applique, déplore Philippe Besset : "Les États arrivent à se faire concurrence entre eux", note le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Et de poursuivre : "On voit nos amis allemands augmenter leurs prix pour arriver à se procurer des médicaments pour leur propre marché. Ce n'est pas possible, dans l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, de continuer comme ça".

Sortie de crise au printemps ?

Face à ce tableau sombre, le ministre de la Santé, François Braun s'est voulu rassurant en esquissant une amélioration de la situation d'ici "deux mois". Un scénario que réfute Jérôme Martin, le cofondateur de l'Observatoire de la transparence de la politique du médicament. "On voit mal comment cette situation pourrait être réglée. Il y aura peut-être une baisse ponctuelle de la demande mais le problème de fond ne sera pas réglé et le besoin se fera ressentir à nouveau."

Jérôme Martin prône notamment la relocalisation d'une grande partie de la production de médicaments sous l'impulsion de l'État. Pour l'heure, l'Agence européenne du médicament estime que 80 % des principes actifs (la matière première des médicaments) sont importés de Chine et d'Inde. Une concentration qui fait craindre de futures pénuries en cas de crise internationale.

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