Quand l’asile en France se transforme en enfer pour un réfugié azéri

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Quand l’asile en France se transforme en enfer pour un réfugié azéri

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L’une des personnes les plus protégées de France, Mahammad Mirzali, un jeune blogueur azéri.
L’une des personnes les plus protégées de France, Mahammad Mirzali, un jeune blogueur azéri.
© AFP - Loic VENANCE

Il est quasiment inconnu, et pourtant, Mahammad Mirzali, un jeune blogueur azéri a réchappé à trois tentatives d’assassinat sur le sol français. Il fait aujourd’hui partie des personnalités les plus protégées du pays.

Ce 6 octobre 2020 devait être un matin comme les autres pour Mahammad Mirzali, un jeune azéri de 26 ans réfugié en France depuis 2016. Alors que le jour n’est pas encore levé, il s’apprête à démarrer sa voiture pour aller livrer du pain dans les environs de Nantes. Il aperçoit alors une silhouette s’approchant de la vitre. Un homme brandit une arme à feu, le met en joue, appuie sur la gâchette... Mais par miracle, l’arme s’enraye. En entendant le cliquetis, Mahammad Mirzali comprend qu’il vient d’échapper à la mort. Un instant après, il sera touché d’une balle dans l’épaule, mais il réussit à s’extraire du véhicule et à s’enfuir. Au moment où il détale, il entend son agresseur décharger son arme sur le siège du passager, pensant sans doute que sa cible était encore à l’intérieur du véhicule.

Les dents cassées de son père

Des messages de menace, le jeune homme en avait déjà reçu plusieurs milliers au cours des années précédentes. Mais jusqu’ici, personne ne s’en était pris physiquement à lui. Tout a commencé lorsqu’il a publié un blog et commencé à partager des vidéos hostiles au pouvoir azerbaïdjanais, aux mains de la famille Aliyev depuis 30 ans. Le jeune Azéri a toujours été critique envers le régime, lui reprochant de s’accaparer les richesses provenant du pétrole et du gaz, au profit de quelques clans, sans en faire bénéficier la population. Durant son service militaire, son tropisme anticorruption s’exacerbe. Il filme un officier en train de voler des steaks dans les frigos de la cantine des conscrits. Puis il s’intéresse à un vice-amiral qui sera limogé pour avoir détourné des fonds.

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Peu à peu, sur la chaîne Youtube "Made in Azerbaïdjan" qu’il a créée, il reprend des informations publiées dans d’autres médias. Il mêle enquêtes journalistiques et considérations plus personnelles, tenant des propos acerbes contre le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, son patrimoine et son épouse, qui peuvent d’ailleurs parfois relever de l’insulte.

Ses publications semblent indisposer dans la sphère du pouvoir à Bakou, si l’on en croit deux épisodes particulièrement marquants. Le premier a lieu en janvier 2018 : alors que le jeune Mahammad Mirzali s’est réfugié en France, son père, resté au pays avec son épouse, est conduit au siège de la police. Selon Laurent Richard, co-fondateur de Forbidden Stories, un policier lui aurait dit en parlant de son fils : "Il nous embête beaucoup parce qu'il publie des vidéos. Donc tu vas l’appeler, et tu vas lui dire d'arrêter parce que sinon on va te garder." Peu après, au bout du fil, le jeune Mahammad Mirzali lui aurait répondu : "Non papa. Je ne vais pas arrêter parce que, ce que je fais, c'est pour la liberté, pour la démocratie." Le père est alors rentré chez lui avec les dents cassées.

Le 24 mai 2020, un message glaçant est envoyé depuis le compte Facebook du vice-président de l’Assemblée nationale à Bakou. Sur ce post, accompagné de la copie du passeport de Mahammad Mirzali, il est écrit : "Rira bien qui rira le dernier." Mais là encore, le jeune activiste continue. Et le harcèlement reprend un an plus tard : "Sa sœur a été victime d'une caméra cachée, raconte Jeanne Cavelier, la responsable du bureau d’Europe de l’Est de Reporters Sans Frontières. Une vidéo intime d'elle pendant des rapports sexuels a été tournée à son insu. Des inconnus ont menacé de la diffuser sur différents sites azerbaïdjanais si Mahammad Mirzali n’arrêtait pas de s’exprimer sur son blog." Là encore, pas de quoi le dissuader de continuer.

Capture d’écran du message envoyé par Adil Aliyev à Mahammad Mirzali en mai 2020.
Capture d’écran du message envoyé par Adil Aliyev à Mahammad Mirzali en mai 2020.
- Mahammad Mirzali

Des coups de couteau à la gorge

Six mois après la première tentative d’assassinat, tout en restant sur ses gardes, le jeune homme a repris le cours de sa vie. Jusqu’au soir du 14 mars 2021. Il sort promener son chien, quai de la Fosse à Nantes, lorsqu’il se rend compte que plusieurs hommes le suivent. L’un d’eux tient un couteau. Mahammad Mirzali appelle la police, mais le temps qu’elle arrive, il est pris en chasse. Il se croit perdu. “J'ai essayé de protéger mon cœur et ma tête avec mes bras” raconte-t-il à la cellule investigation de Radio France. Un des hommes me tirait les cheveux, l'autre a essayé de m'ouvrir la bouche, il voulait me couper la gorge. Peut-être même la langue. Le premier coup de couteau est arrivé au niveau du front, et ils m’ont entaillé au niveau du cou.” Les secours le retrouveront inanimé, lardé de 16 coups de couteau. Il devra subir une opération longue de six heures et sera hospitalisé pendant plusieurs jours. De cet épisode, il conserve une grande cicatrice au niveau de la nuque.

La cicatrice dans la nuque de Mahammad Mirzali, trace de l’attaque au couteau dont il a été la cible en 2021.
La cicatrice dans la nuque de Mahammad Mirzali, trace de l’attaque au couteau dont il a été la cible en 2021.
© Radio France - Philippe Reltien

Huit personnes mises en examen

Durant les mois qui suivent, six hommes seront arrêtés. Deux sont soupçonnés d’avoir repéré les lieux pour le compte des agresseurs. Puis le 12 juin 2022, au péage de Corzé, non loin d’Angers, les douaniers procèdent à une nouvelle arrestation. Ils interpellent deux hommes dans deux voitures à bord desquelles ils retrouvent une arme à feu et un couteau. Ils découvrent alors que leurs GPS ont été programmés pour les conduire à l’adresse du domicile de Mahammad Mirzali. Aujourd’hui, au total, huit personnes sont mises en examen, dont sept pour tentative de meurtre commis en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. Et le huitième, pour détention illégale d’armes. Six sont incarcérés. La plupart sont originaires d’Azerbaïdjan, un autre de Géorgie. Certains ont été identifiés dans d’autres affaires de droit commun à l’étranger. La justice française a demandé assistance aux parquets allemands et polonais. Mais à ce jour, aucun des auteurs directs de ces tentatives de meurtre n’a été identifié.

"L'État doit soutenir ceux qui veulent faire taire les blogueurs"

Rien dans le dossier ne relie ces agressions au pouvoir en place à Bakou. Ce que relève certains connaisseurs du pays cependant, c’est qu’il existe en Azerbaïdjan un climat favorable à ce type d’expédition punitive, comme en témoigne une vidéo montrant un député proche du pouvoir, Siyavush Novruzov, intervenant en 2020 devant la représentation nationale. Il tient alors les propos suivants : "Des blogueurs et des journalistes sapent nos valeurs morales et nationales. Ils formulent des critiques contre le Parlement et la famille du président. Je pense que ceux qui les combattent doivent être décorés. Ils doivent être soutenus par le gouvernement." L’avocat de Mahammad Mirzali, Henri Carpentier, souligne quant à lui que ces "expéditions punitives ont été montées depuis l'étranger. Il semblerait que les paroles que porte mon client sur son pays et sur la kleptocratie actuellement au pouvoir, gênent dans les instances dirigeantes ou des organismes qui y sont affiliés."

Faute d’en savoir plus, l’État français a reconnu l'existence d’une grave menace pesant sur le jeune blogueur. Il lui a accordé une protection policière permanente. Il est désormais entouré de cinq policiers antiterroristes et ne circule plus qu’en voiture blindée. Alors qu’il est quasiment inconnu, il fait donc partie des personnalités les plus protégées de France. Ce qui n’empêche pas qu’en juin 2021, une pierre ait été jetée à travers son pare-brise avec un message en azéri précisant : "c’est ton tour", tandis que le lendemain, quelqu’un se renseignait pour savoir à quel étage il habitait. Il n’a plus de travail. Il passe ses journées cloîtré dans son 9m². Certes, il poursuit ses activités sur internet, mais "rien n'est improvisé désormais, explique Laurent Richard. Pour pouvoir aller prendre un café à 300 mètres, il faut qu'un policier aille faire des repérages. Quand on a moins de 30 ans, normalement, on n'a pas cette vie-là. Il résiste depuis la France, mais il l'a déjà payé très cher."

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