L'immense tsunami du Crétacé modélisé par une nouvelle étude

À la fin du Crétacé, le crash de l'astéroïde de Chicxulub a eu de nombreuses conséquences dramatiques pour la planète : parmi elles, un tsunami de près d’un kilomètre de haut, désormais modélisé dans le cadre d'une étude publiée récemment.

De Lou Chabani
Publication 20 janv. 2023, 20:39 CET
En une fraction de seconde, l'impact de Chicxulub avait métamorphosé la vie sur Terre, formé un ...

En une fraction de seconde, l'impact de Chicxulub avait métamorphosé la vie sur Terre, formé un cratère colossal, vaporisé et éjecté des centaines de tonnes de roches avant d'asséner un coup fatal à toute forme de vie animale ou végétale. Récemment, des chercheurs sont parvenus à reconstruire avec une précision ahurissante la chronologie du chaos qui a suivi cet impact en analysant les roches situées sous le cratère lors de cette journée funeste.

PHOTOGRAPHIE DE Science Photo Library, Alamy Stock Photo

Publiée récemment dans AGU Advances, une étude américaine a modélisé les conséquences de l’impact de l’astéroïde de Chicxulub à la fin du Crétacé. Associé à la disparition des dinosaures, l’impact a eu lieu sur les côtes de la péninsule du Yucatán au Mexique, il y a près de soixante-six millions d’années.

De cet astéroïde, il ne reste plus qu’un cratère de plus de 100 kilomètres de diamètre. Désintégré à l’impact, l’objet aurait quant à lui fait entre 10 et 80 kilomètres de diamètre, et aurait libéré une énergie équivalente à plusieurs milliards de bombes atomiques.

Très éloignées de nous dans le temps, les conditions exactes de la catastrophe demeurent très mystérieuses pour les scientifiques. Néanmoins, réalisée par l’équipe de Ted Moore, la modélisation du tsunami qui a suivi l’impact permet aujourd’hui de lever une partie du voile sur la catastrophe.

« Les premières méthodes consistaient […] à estimer le volume d’eau correspondant au diamètre de l’astéroïde et à la profondeur [de la mer] au point d’impact, puis de le reporter autour du cratère et le laisser se propager », explique Brian K. Arbic, océanographe de l’Université du Michigan et co-auteur de l’étude. « Ce type de modèle est beaucoup trop irréaliste […]. Il nous fallait ajouter des modèles d’impact, et c’est de cette manière que nous avons pu reconstituer les dix premières minutes qui ont suivi l’impact. » 

Issue de la collaboration entre plusieurs spécialistes de domaines très divers, cette modélisation repose sur la combinaison de plusieurs angles d’approche. Océanographes, paléo-océanographes et géologues se sont ainsi entraidés jusqu’à la création de deux modèles relatant les conséquences du crash sur l’océan.

Le premier modèle présente, en accéléré, les 10 minutes qui ont suivi l’impact en lui-même. Représenté sous la forme d’un graphique en deux dimensions, il rend compte des conséquences catastrophiques du crash de l’astéroïde, de la projection de débris à plusieurs kilomètres d’altitude et du tsunami qui a suivi.

Le second, quant à lui, est une modélisation du transit de la vague géante en haute mer. Réalisée avec un simulateur adapté à la modélisation de tsunamis modernes, elle a été adaptée pour correspondre aux contours des continents de la fin du Crétacé.

 

QUAND LA TERRE TOUCHAIT LE CIEL

Bien qu’elle soit à très grande échelle, la première modélisation de l’impact, réalisée par Brandon C. Johnson, maître de conférence de l’Université Purdue, dans l'Indiana, donne une idée assez marquante des conséquences de l’impact de l’astéroïde. Dès les premières secondes, océan et croûte terrestre s’élèvent bien au-delà de l’échelle du graphique, à plus de 40 kilomètres de distance, soit presque plus haut que la stratosphère.

« On peut voir que des éjectas sont projetés à très haute altitude. En bas, la surface se déforme et des matériaux se déplacent, créant la vague. D'autres débris retombent également, et forment des vagues de projection », explique Arbic. « Dix minutes après l’impact, on obtient cette vague d’onde qui se propage. 80 % de l’énergie du tsunami est due à cette onde. Les 20 % restants sont dus à l’eau qui retourne dans le cratère formé. »

La vague résultant de l’impact s’est ensuite propagée à travers l’océan, comme représenté dans le second modèle. À l’inverse d’une vague classique, qui est causée en pleine mer par le déplacement des couches supérieures de l’océan, un tsunami touche la totalité de la colonne d’eau.

Initialement réalisé en reportant les données du modèle d’impact autour d’un même axe, le premier modèle de propagation (non représenté dans l’article) a permis aux chercheurs d’obtenir une meilleure idée du déplacement de la vague d’onde en haute mer.

« Nous avons réussi à rassembler de nombreux co-auteurs. Pour cet article, nous voulions nous assurer que nous serions capables de tout modéliser et vérifier », explique Molly Range, étudiante de Ted Moore, co-autrice de l’étude et responsable de la réalisation de la première modélisation océanique. « Nous ne nous attendions pas à un tel succès. [Réaliser cette étude] a été amusant non seulement pour nous, mais aussi pour d’autres personnes. C’est un sujet passionnant pour beaucoup de monde. »

Le second modèle a ensuite été réalisé à partir du premier grâce au Vasily Titov, océanographe et modélisateur expert des tsunamis du Pacific Marine Environmental Laboratory (PMEL), mais aussi à partir du modèle Method of Splitting Tsunami (MOST), conçu pour les tsunamis et régulièrement utilisé pour les catastrophes modernes.

À l’aide de ce modèle, les chercheurs ont également pu estimer la taille et l’amplitude des vagues produites ainsi que leur impact sur les côtes des continents tels qu'ils étaient à l'époque. Plusieurs éléments ont alors pu être déduits, tels que la taille des vagues au large, avant qu’elles ne s’abattent sur les côtes.

« Ce qui peut sembler étrange, c'est que le modèle de Titov montre des vagues de 5 mètres au-dessus du niveau de l’océan à leur plus fort, ce qui n’a pas l’air si grand que ça », explique Arbic. « Cependant, lors du tsunami de 2004 en Indonésie, qui était particulièrement destructeur, les vagues ne faisaient que 60 centimètres en pleine mer, juste à côté de l’épicentre. Elles étaient presque indétectables. »

L’amplitude des vagues engendrées par l’impact, soit la distance entre les deux crêtes, est un autre critère impressionnant. À l’instar des ondes générées lorsque l'on jette une pierre dans l'eau, plusieurs vagues sont en effet formées, aussi bien dans le cas d'un séisme que dans celui du crash de l’astéroïde. Les vagues géantes de Nazaré, au Portugal, peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres de hauteur, et présentent une amplitude d’une trentaine de mètres. Dans le cas des vagues issues de l’astéroïde de Chicxulub, en revanche, la distance s'étendait sur plusieurs centaines de kilomètres. 

« À cause de cette énorme amplitude, il y avait une énorme quantité d’énergie », ajoute Brian Arbic. « Les tsunamis augmentent toujours en taille lorsqu’ils s’approchent des côtes. Lorsqu’ils atteignent la terre, ils se compressent et s’élèvent en vagues immenses. »

Plus qu’une vague de 5 mètres, il s’agissait donc de blocs de plusieurs mètres de haut sur plusieurs dizaines de kilomètres de long, suivis de creux aux dimensions similaires. Une fois arrivés sur les côtes, ils auraient alors formé des vagues hautes de 1,5 kilomètre.

Selon l’étude, lorsque le tsunami du Crétacé a atteint les côtes de la Nouvelle-Zélande, à plusieurs centaines de kilomètres de l’impact, il était toujours dix fois plus puissant que celui de 2004 quelques secondes après le séisme.

 

UN TABLEAU ENCORE INACHEVÉ

L’une des premières questions à émerger face à ce nouveau modèle concerne l’impact que le tsunami a pu avoir sur la biodiversité de l’époque. Les conséquences de l’astéroïde de Chicxulub sont loin de se limiter à de simples vagues géantes.

Si l’article ne montre pas jusqu’où elles ont pu se propager dans les terres, cette modélisation étant réservée à une future publication, les dégâts sur les côtes restent indéniables. Cependant, selon Brian Arbic, la vague monstrueuse n’était qu’une menace parmi de nombreuses catastrophes aux conséquences bien plus durables.

« Tout ce qui vivait aux alentours de la zone du crash a surement été oblitéré […] par la chaleur produite par l’impact de l’astéroïde », précise l’océanographe. « Les cendres soulevées dans les airs ont aussi certainement bloqué la lumière du soleil et ainsi provoqué l’équivalent d’un hiver nucléaire […], ainsi que la mort de nombreuses plantes. »

Malgré une implication très certaine dans la crise du Crétacé-Tertiaire, le déroulement de cette dernière reste encore flou pour les chercheurs. Cet évènement d’extinction massive, qui s'est déroulé à la même période, a vu la disparition de près de 75 % de la biodiversité mondiale.

Lancé en 2016, interrompu pendant la pandémie, et retravaillé à de nombreuses reprises, l'article de l’équipe de Ted Moore a permis la réalisation de la modélisation la plus avancée du tsunami du Crétacé à ce jour. Néanmoins, si les publications suivantes de l’équipe s’intéresseront à la cartographie des inondations engendrées par cet événement, leurs travaux ne touchent pour l’instant pas aux conséquences du tsunami sur la faune. 

« La grosse difficulté concernant la crise Crétacé-Tertiaire, c'est de relier tous les faits entre eux », explique Ronan Allain, conservateur de la galerie de paléontologie du Muséum d’Histoire naturelle de Paris (MNHN). « Il y a des faits indubitables : les dinosaures disparaissent effectivement il y a 66 millions d’années, [et] une météorite s’écrase aussi à cette période […], mais il y a d’autres faits à prendre en compte. »

Parmi les bouleversements qui ont eu lieu à cette époque, le scientifique mentionne également une baisse de plusieurs dizaines de mètres du niveau des océans. À l’origine de cette diminution : une potentielle réduction de l’activité des dorsales tectoniques. Cette variation aurait entraîné une augmentation de la profondeur océanique et eu un fort impact sur les conditions climatiques en faisant varier les courants marins.

Un autre phénomène extrêmement important d’un point de vue climatique est l’apparition des trapps du Deccan sur plusieurs milliers d’années, dans l’Inde actuelle. Cette zone de très forte activité volcanique et d’une superficie équivalente à celle de la France, aurait libéré un volume de lave équivalent à celui du mont Blanc, et aurait eu un impact très important sur le climat au travers de la libération de cendres et de gaz dans l’atmosphère.

« La grosse question aujourd’hui est la chronologie de ces évènements et leur potentiel impact les uns sur les autres », ajoute le paléontologue. « Il est très compliqué de relier ces évènements, qui sont des évènements géologiques, à des évènements biologiques comme la disparition des dinosaures. »

Pour pallier ce problème, les chercheurs auraient besoin d'archives fossiles du monde entier beaucoup plus complètes. Selon le conservateur du MNHN, l’état actuel des connaissances paléontologiques ne permet pas de déterminer l’état de la biodiversité avant l’impact de Chicxulub.

« Pour dire que les dinosaures avaient commencé à disparaitre avant l’astéroïde, il faudrait qu’on ait des faunes de dinosaures parfaitement connues partout dans le monde à des époques bien précises. Mais ce n’est pas le cas », déplore Ronan Allain. « Tout est basé sur l’Amérique du Nord. Il n’y a aucun taxon en Afrique ou en Europe. »

Ce manque de ressources se ressent aussi bien en paléontologie qu’en océanographie, comme le mentionne le Brian Arbic. Impliqués dans plusieurs programmes de formation centrés sur le continent africain, les scientifiques ont pour objectif à long terme est de promouvoir et de faciliter la récolte de données dans des territoires peu étudiés jusqu’à présent.

À présent, les chercheurs espèrent que la réalisation de la modélisation du tsunami de Chicxulub permettra par la suite d’identifier les zones les plus touchées. Accompagnés de ces futurs modèles d’inondation, ils pourraient ainsi permettre d’appuyer de nouveaux travaux pour lever un peu plus le voile sur le passé de notre planète.

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