Au Niger, une entreprise française a laissé 20 millions de tonnes de déchets radioactifs à l'air libre

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Au Niger, une entreprise française a laissé 20 millions de tonnes de déchets radioactifs à l'air libre

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Vue générale des installations de traitement de l'uranium à Arlit, dans le désert du Sahara, en 2005
Vue générale des installations de traitement de l'uranium à Arlit, dans le désert du Sahara, en 2005
© AFP - PIERRE VERDY

Durant plus de 40 ans, la Cominak, filiale nigérienne d'Orano (ex Areva) a exploité une mine d'uranium à Arlit, en plein Sahara. Le site a fermé il y a deux ans mais les déchets radioactifs sont restés là, à l'air libre, avec un risque bien réel pour les populations et l'environnement.

"La France est dans une stratégie de relance du nucléaire. Ce qu'il faut que les gens comprennent, c'est que nous ne savons pas gérer les déchets... ni à la fin du processus, ni au début, à la sortie des mines." Cela fait près de 20 ans que Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire au laboratoire de la Criirad (association de protection de l'environnement, spécialisée dans le risque nucléaire) travaille sur la situation à Arlit, au Niger.

Des déchets soumis à des vents puissants

C'est là, en plein désert, dans un paysage de sable et de roche, que l'entreprise française Orano (ex Areva), a longtemps exploité une mine d'uranium. Plus de 40 ans d'extraction, pour alimenter, entre autres, les centrales nucléaires françaises. Si la mine a fermé en 2021, les déchets radioactifs accumulés toutes ces années sont toujours là.

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"20 millions de tonnes de boues", détaille Bruno Chareyron, qui alerte dans une vidéo et un podcast, sur les risques pour les populations locales, "au moins 100 000 personnes". "Nos analyses, au laboratoire de la Criirad montrent que la radioactivité de ces déchets est de l'ordre de 450 000 becquerels par kilo, ce sont des déchets 'à vie longue'. Ils contiennent des métaux lourds radioactifs dont certains sont très toxiques, par ingestion ou par inhalation. Il émane aussi en permanence de ces déchets un gaz radioactif : le radon. Ce type de déchets, vu leur niveau de radioactivité et leur durée de vie, aurait absolument dû être mis dans des containers étanches pour être placés ensuite sur un site qui garantit un confinement à très long terme. Ce qui n'a pas du tout été le cas."

Facteur aggravant, la zone est balayée par des vents puissants : "Les poussières et le gaz radioactifs sont dispersables dans l'environnement très facilement. Et comme il n'y a pas de confinement, la contamination est passée aussi dans les eaux souterraines. Et ça, c'est inacceptable. Cominak a d'ailleurs été obligée d'installer un système de pompage de ces eaux souterraines pour les réinjecter sur le site industriel, pour que les eaux ne migrent pas trop rapidement dans l'environnement."

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La filiale nigérienne de la multinationale française Orano, ne cesse de son côté de répéter qu'il n'y a aucun risque pour la ville voisine d'Arlit. "Nous avons des stations de surveillance de l'air. C'est extrêmement important pour nous de surveiller l'impact de nos activités : nous sommes en dessous des seuils limites. C'est très bien contrôlé", assure le Directeur Général de la Cominak, Mahaman Sani Abdoulaye. Pareil sur l'eau. "Il n'y a aucun risque pour les habitants d'Arlit. L'eau est potable. Il n'y a pas de panache qui va au delà de notre périmètre industriel. C'est bien contenu." Sur son site internet, la compagnie communique sur les 2600 prélèvements réalisés chaque année ou les 17 stations de contrôle basées dans les villes d'Arlit et Akokan.

Pas de danger à signaler, selon l'entreprise

"Dès lors que les résultats d'un industriel sont ses propres résultats, l'expérience nous a montré qu'on ne peut pas leur faire confiance", réagit Bruno Chareyron. "ll faut avoir un esprit critique et des contrôles véritablement indépendants. Ce qui est sûr, c'est que la population de la zone d'Arlit est exposée depuis des décennies à de la radioactivité en excès par rapport au niveau naturel. À Arlit, des ferrailles contaminées ont été rendues disponibles sur les marchés, des maisons ont été construites avec des matériaux radiactifs. La population est exposée de manière chronique." Aujourd'hui, il réclame un accès aux résultats détaillés des analyses des eaux souterraines, situées autour des installations de la Cominak, ainsi que celles des eaux distribuées aux populations.

À Arlit, Almoustapha Alhacen, le président de l'ONG Aghirin Man, s'agace de la position tenue par la Cominak : "On nous dit, tout va bien, il n'y a pas de risques mais nous, nous sommes inquiets, parce que nous voyons ici des maladies des reins, du foie, des poumons. Mais nous ne sommes pas en capacité de relier ces maladies à l'industrie minière." Greenpeace a établi un début de lien dans un rapport publié en 2010. Citant une étude d’impact sur l’environnement menée en 2000 par la Cominak, Greenpeace note que "les taux de décès dus à des infections respiratoires dans la ville d’Arlit (16,19%) étaient alors deux fois supérieurs à la moyenne nationale (8.54%)". Quand l'entreprise affirme qu'il n'y a pas de problèmes de santé au sein de ses équipes (600 personnes travaillent toujours sur le site selon la direction), Almoustapha Alhacen préfère en plaisanter : "En 50 ans de travail sur le site, il n'y a jamais eu de maladies professionnelles, que ce soit en lien avec les produits utilisés ou avec la radioactivité. Arlit, en fait, c'est le paradis de la santé. Si vous ne voulez pas être malade, vous pouvez venir vous installer ici. Il n'y a pas de maladies... selon Orano, bien sûr !"

Un projet de "recouvrement" des déchets critiqué

Sur la présence de déchets à l'air libre, la filiale locale d'Orano a tout de même décidé d'agir. La promesse : "Recouvrir les boues par une couche d'argile et de grès, de 2 mètres d'épaisseur", précise le Directeur général de la Cominak. "C'est un principe connu et reconnu à l'échelle internationale et cette solution a été validée par les autorités nigériennes." Le chantier est censé commencer dans quelques semaines, pour se terminer en 2026. Les associations de défense de l'environnement attendent de voir. "De l'argile et de la roche, ce n'est pas assez étanche et solide pour tenir des centaines de milliers d'années", dénonce encore la Criirad.

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