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ReportageMonde

À Londres, face au froid, une carte recense les lieux publics chauffés

Annick Alet, 70 ans, dans la bibliothèque Brixton Library. Comme d'autres Londoniens, elle en profite pour se réchauffer gratuitement.

Bibliothèques, salles de sport, églises... Les Londoniens se réfugient dans des lieux d’accueil chauffés et chaleureux pour soulager leurs faramineuses factures d’électricité. Une carte permet de trouver le lieu le plus proche.

Londres (Angleterre), reportage

C’est la deuxième fois que Johnson Olibanade, universitaire à la retraite, vient à la bibliothèque Brixton Library, dans le sud de Londres. Il lève les yeux de son écran d’ordinateur. « Pourquoi ne pas venir ici et en profiter pour travailler ? Et puis, surtout, il fait chaud, bien plus qu’à la maison », assure-t-il en cette mi-janvier. Il montre sur internet des images d’un petit chauffage électrique qu’il a acheté cet hiver. « J’en ai pris deux. Cela revient bien moins cher que le gaz pour mes radiateurs. » La bibliothèque est un refuge en ces temps froids. Face aux prix de l’énergie mirobolants en Angleterre, bien plus élevés qu’en France, les initiatives se multiplient. En plus des bibliothèques, des associations, des églises ou des salles de gym mettent à disposition des espaces chauffés et chaleureux. Depuis l’hiver 2022, une centaine de lieux est cartographiée sur un site interactif : Warmspaces.org. Des « banques de chaleur », à la manière des banques alimentaires.

Eurico et sa fille : « C’est notre pire hiver car tout est devenu si cher… Seuls les salaires restent les mêmes. » © Manuel Vazquez / Reporterre

« Nous avons même un chat qui squatte en ce moment pour être au chaud ! » sourit Caroline Graham, une bibliothécaire de la Brixton Library, située dans un environnement multiculturel de la capitale. « C’est réconfortant d’être entouré par d’autres, et vous n’avez même pas besoin de parler. Nous proposons des activités comme les puzzles, les échecs ou des cours de tai-chi. » Ici, un homme joue du piano. Là, des adolescents discutent, sac KFC posé sur la table. Des enfants s’amusent. Des visiteurs lisent, une valise à leurs pieds. Un écrivain va bientôt animer une discussion autour de la « black literature » — la littérature noire — dans une salle dédiée. Des photos prises par des personnes sans-abris sont exposées.

« Notre porte est toujours ouverte, dit à Reporterre Oniel Williams, directeur adjoint des bibliothèques de Lambeth. Des personnes viennent ici juste pour se réchauffer, d’autres pour lire. » Rien de nouveau, insiste Oniel. Mais la conjoncture rend le lieu encore plus attirant. Concierge et vendeur dans une quincaillerie, Eurico Guedes, 39 ans, cumule deux emplois. Bonnet sur la tête et écharpe autour du cou, il est venu avec sa fille après l’école pour profiter de l’espace jeux. « C’est notre pire hiver car tout est devenu si cher entre les transports, les factures, la nourriture… Seuls les salaires restent les mêmes », résume-t-il.

Distribution de kits de chauffage

Les factures d’énergie ont doublé depuis l’année dernière pour atteindre en moyenne 200 livres (230 euros) par mois et par foyer — aide mensuelle du gouvernement de 76 euros d’octobre 2022 à mars 2023 comprise. L’organisation National Energy Action estime à plus de six millions le nombre de Britanniques vivant dans la précarité énergétique cet hiver. Face à une inflation proche des 11 % — un record depuis quarante ans —, les conseils municipaux tentent de trouver des solutions. « Nous avons identifié plusieurs lieux d’accueil et avons lancé des appels à d’autres organisations, explique David Amos, conseiller municipal de Lambeth chargé des finances. Notre ambition était d’en avoir un dans chaque circonscription. Les réponses ont été immédiates et positives. » Dans le borough de Lambeth, une quarantaine de warm spaces ont vu le jour cet hiver.

Un objet du kit donné par la mairie. Les factures d’énergie ont doublé depuis l’année dernière pour atteindre en moyenne 230 euros par mois et par foyer. © Manuel Vazquez / Reporterre

Une autre solution trouvée par la mairie : la distribution de kits de chauffage aux habitants du quartier qui en ont le plus besoin. Dans chaque kit : ampoules LED à basse consommation, réflecteurs de radiateur, joints en caoutchouc pour les portes et fenêtres. Le 18 janvier, jour de lancement dans la Brixton Library, une queue s’est formée devant le stand d’information. Les noms des personnes étaient enregistrés afin d’éviter que les kits soient vendus au marché noir. Caroline Graham est « épuisée » par sa journée, mais on peut lire de la satisfaction dans ses yeux : une centaine de kits ont été distribuée.

« Dès que je sors de chez moi, j’arrête le chauffage »

Le lendemain, direction l’est de Londres, dans le quartier Hoxton. Jeudi après-midi, dans la salle de sport Britannia, seuls les membres seniors étaient au rendez-vous. Cela fait quinze ans que ce groupe d’une dizaine de personnes se réunit chaque semaine autour d’un thé, de biscuits et de fruits, en sortant de la piscine. Ils ne sont pas là pour soulager leurs factures, insistent-ils. Mais lorsque le sujet arrive sur la table, chacun évoque sa situation, telle Patricia. Infirmière à la retraite : « J’ai toujours budgétisé. Pour l’instant, je ne me sacrifie pas sur le chauffage car je n’aime pas avoir froid. Mais dès que je sors de chez moi, je l’arrête et le programme pour l’heure de mon retour. Aujourd’hui, il se mettra en route à 16 heures, et je rentrerai à 16 h 30. » Patricia paie « cent livres » de plus par mois que l’année dernière. Antonia, de son côté, explique qu’elle a droit à une aide de l’État supplémentaire. Pour autant, l’hiver est rude dans son appartement, elle qui habite dans un sous-sol mal isolé. « Une personne de la mairie est venue avec une sorte de caméra X-ray. Elle était horrifiée car les images étaient vertes en raison du froid. Et en plus, il y a de la moisissure. » En attendant d’éventuels travaux, Antonia utilise depuis plusieurs années une « couverture électrique » lui permettant de s’endormir au chaud.

« Nous avons acheté des canapés et une télé », dit le révérend Mark Adams. © Manuel Vazquez / Reporterre

C’est à la radio que le révérend Mark Adams a entendu parler de warm spaces. « J’ai tout de suite pensé que nous devions y participer », dit-il, large sourire aux lèvres, installé dans la cafétéria de la superbe église historique de Barking, dans l’est de Londres. Il désigne une pièce proposant thé et biscuits gratuits. « Nous avons ouvert cet espace et acheté des canapés et une télé. Il y a quelques personnes qui viennent régulièrement. Je m’attendais à plus de monde, mais l’essentiel est que nous soyons présents pour ceux qui en ont besoin, et qu’ils le sachent. » Sur les canapés, Andy, Ade et Peter sont assis, au calme, devant une série de la BBC. Ils resteront jusqu’à la fermeture.

Irène, une bénévole du café mis en place dans l’église St Margaret’s Barking. © Manuel Vazquez / Reporterre

Trois grand-mères profitent, elles, d’un déjeuner à bas prix proposé par l’église. « Nous nous retrouvons ici tous les mercredis », s’exclame Pat, qui ne cesse de demander aux nouveaux arrivants de fermer la porte derrière eux. Elles s’estiment chanceuses par rapport à d’autres, mais la hausse des prix est un sujet récurrent. « Je remplis ma bouilloire pour une tasse de thé seulement. Alors que je n’y pensais même pas avant », témoigne Carol Boyton. « Ma liste de courses hebdomadaires, pour trois personnes, s’élevait à 55 livres. Maintenant, la même liste est passée à 90 livres », raconte Pat. Cela leur rappelle leur jeunesse, lorsqu’elles se sont mariées et qu’elles galéraient. « J’ai regardé la télé l’autre jour, ils ont dit que l’inflation allait baisser l’année prochaine », dit June, la troisième. Une lueur d’espoir dans ce climat morose.


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