Modigliani mis à nu : les secrets de l’artiste révélés grâce aux nouvelles technologies

Modigliani mis à nu : les secrets de l’artiste révélés grâce aux nouvelles technologies
Amedeo Modigliani, Nu couché de dos (détail), 1917, huile sur toile, Fondation Barnes

Dans une exposition inédite, la Fondation Barnes à Philadelphie a rassemblé les récentes découvertes scientifiques permettant de comprendre le processus créatif d'Amedeo Modigliani. L'occasion de percer les mystères de ses œuvres emblématiques.

« Quand on parle de Modigliani, on a l’impression que toutes ses œuvres se ressemblent mais c’est absolument faux », explique Nancy Ireson, directrice adjointe des collections et des expositions à la Fondation Barnes à Philadelphie (États-Unis). Ces dernières années, plusieurs musées se sont penchés sur les œuvres d’Amedeo Modigliani (1884-1920) pour briser l’image romanesque de l’artiste maudit. Depuis l’exposition de la Tate en 2017, les historiens, conservateurs et scientifiques de la communauté internationale ont collaboré pour analyser la pratique artistique de Modigliani. En 2021, le LaM présentait un accrochage au croisement de la science et de l’histoire de l’art, en juillet, le Hecht Museum en Israël présentait trois dessins sous-jacents inédits de l’artiste et, depuis l’automne dernier, la Fondation Barnes met en parallèle des œuvres emblématiques de Modigliani et les découvertes scientifiques des cinq dernières années dans l’exposition « Modigliani Up Close ». Retour sur ces nouveaux éléments pour tenter de percer les secrets de l’artiste.

Des premières années d’expérimentations

En tout, plus de 50 spécialistes ont collaboré ces cinq dernières années pour décrypter les œuvres de Modigliani. « Une seule discipline ne peut jamais apporter toutes les réponses », nous dit d’emblée Nancy Ireson. Ces différents regards posés sur les tableaux, sculptures et dessins de l’artiste permettent de comprendre comment ce peintre disparu il y a plus d’un siècle a construit ses œuvres aux différents moments de sa (courte) vie.

 

Rayons X, réflectographie infrarouge, radiographie, lumière rasante… Les spécialistes ont analysé et regardé sous tous les angles les œuvres de Modigliani. Après une formation académique traditionnelle en Italie, le jeune artiste arrive à Paris en 1906 et découvre de nouvelles façons de peindre.

« Quand il arrive dans la capitale, il absorbe tout ce qu'il se passe autour de lui. » Nancy Ireson

Il crée des tableaux qui présentent des traces de repentirs et de dessins sous-jacents. « Les nouvelles technologies nous ont permis de voir les tableaux qui étaient dans les tableaux, nous confie Barbara Buckley, directrice de la conservation et conservatrice en chef des peintures à la Fondation Barnes. On savait que Modigliani réutilisait des toiles mais avec la réflectographie infrarouge nous avons pu comprendre qu’il retournait les tableaux et remployait et des œuvres d’autres artistes, pas seulement les siennes. » C’est pourquoi les formats de certaines de ses œuvres varient. Il pouvait peindre la même toile à plusieurs reprises, couvrant ses premières tentatives.

D’après les spécialistes, si cette pratique est certainement due à un souci économique, les nouvelles recherches suggèrent également que Modigliani aimait certainement utiliser des tableaux comme point de départ. Il utilisait leurs textures et couleurs sous-jacentes pour améliorer sa composition finale. C’est le cas du Jean-Baptiste Alexandre au crucifix (1909), conservé au Musée des Beaux-Arts de Rouen, dont il a retourné la toile, ou encore du Nu avec un chapeau (1908), du Hecht Museum, qui s’apparente à un véritable « un carnet de croquis sur toile » et témoigne d’une « recherche sans fin de l’expression artistique » chez Modigliani, d’après Inna Berkowits, historienne de l’art de l’université de Haïfa.

Au début des années 1910, il continue ses expérimentations artistiques et se met à la sculpture. Les résidus de cire découverts sur ses œuvres montrent que Modigliani mettait des bougies dans son atelier pour créer une ambiance de temple. Les analyses ont également révélé qu’il y avait des similitudes dans les pierres utilisées (elles étaient le plus souvent calcaires avec une surface inégale contenant des petits fossiles) et qu’il employait les mêmes outils pour sculpter les traits de ses têtes.

Amedeo Modigliani. Tête, 1911–1912, Fondation Barnes

Amedeo Modigliani. Tête, 1911–1912, Fondation Barnes

Modigliani, le coloriste

Pendant longtemps, les détracteurs de Modigliani disaient qu’il avait une palette très limitée. Les études scientifiques des pigments montrent au contraire que l’artiste était un vrai coloriste. Lors de la préparation de son exposition personnelle en 1917, il utilise des contrastes entre des couleurs chaudes et froides pour sublimer ses nus féminins. Pour ajouter de la sensualité, les couleurs froides viennent compléter les tons rosés des chairs, donnant aux corps de ses modèles une lueur chaleureuse.

Amedeo Modigliani, Nu allongé, vers 1919, huile sur toile, The Museum of Modern Art, New York ©Agathe Hakoun

Amedeo Modigliani, Nu allongé, vers 1919, huile sur toile, The Museum of Modern Art, New York ©Agathe Hakoun

Après que Modigliani ait obtenu le soutien du marchand d’art polonais Léopold Zborowski, fin 1916 ou début 1917, les formats de ses peintures deviennent plus cohérents. Il commence à utiliser des toiles préparées aux dimensions similaires. Pour sublimer ses portraits, il choisit des toiles étroites réservées aux marines qui soulignent les traits allongés et la pose sinueuse de son modèle.

Capturer la lumière méditerranéenne

Au printemps 1918, et ce jusqu’en mai 1919, le peintre s’installe dans le sud de la France. Le manque de modèles et de matériaux disponibles lui fait changer ses pratiques artistiques. Il se met à représenter de jeunes domestiques et paysans. Avec de la peinture diluée et des pigments différents, il capture la lumière méditerranéenne et donne à ses toiles un aspect mat, non verni. « Les tableaux du sud de la France ont des couleurs très lumineuses, ajoute Barbara Buckley. Ce n’est pas le fruit du hasard. Ses peintures sont extrêmement bien conçues et l’utilisation de différents pigments de ces tableaux a été une grande révélation pour nous. »

Amedeo Modigliani, Le Petit Paysan, vers 1918, huile sur toile, Tate, Londres ©Agathe Hakoun

Amedeo Modigliani, Le Petit Paysan, vers 1918, huile sur toile, Tate, Londres ©Agathe Hakoun

Changer la chronologie des œuvres de Modigliani grâce à la science

Don H. Johnson, professeur émérite de génie électrique et informatique à la Rice University de Houston (Texas) a développé un logiciel permettant de déterminer à partir d’une photographie au rayon X si plusieurs toiles sont issues d’un même rouleau. Ainsi, les scientifiques ont identifié au moins cinq tableaux provenant du même rouleau. « On ne peut pas savoir avec certitude d’où provient le rouleau ou où se le procurait Modigliani, mais nous savons à présent qu’elle est issue d’une même source, explique Barbara Buckley. Nous pensons qu’il s’agit de Léopold Zborowski, qui le fournissait. »

Amedeo Modigliani, Autoportrait, 1919, Museu de Arte Contemporanea da Universidade de São Paulo, MAC USP Collection [Museu de Arte Contemporânea da USP Collection, São Paulo, Brazil]

Amedeo Modigliani, Autoportrait, 1919, Museu de Arte Contemporanea da Universidade de São Paulo, MAC USP Collection [Museu de Arte Contemporânea da USP Collection, São Paulo, Brazil]

Certaines analyses scientifiques ont également permis de remettre en question la chronologie des œuvres de Modigliani. L’autoportrait de 1919, que l’on pensait être son dernier portrait, provient du même rouleau que deux toiles qu’il peint en 1918 dans le sud de la France. « Ces recherches ont soulevé beaucoup de questions, conclut Nancy Ireson. A-t-il peint cet autoportrait en 1918 ? Léopold Zborowski a-t-il mis de côté des toiles à Paris et les lui a données après son séjour dans le Sud ? On ne pourra peut-être jamais en avoir le cœur net mais c’est intéressant de pouvoir ouvrir de nouvelles perspectives. Peut-être qu’un jour, de nouveaux éléments nous permettrons d’en savoir plus sur cette histoire. »


« Modigliani Up Close »
Fondation Barnes
2025 Benjamin Franklin Parkway, Philadelphie, PA 19130
jusqu’au 29 janvier

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