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Thaïlande : Tawan et Bam, militantes contre le crime de lèse-majesté, à l’article de la mort

Deux jeunes militantes thaïlandaises pro-démocratie ont entamé le 18 janvier 2023 une grève de la faim en prison pour demander la libération de plusieurs activistes arrêtés pour crime de “lèse-majesté” – c'est-à-dire pour avoir critiqué la famille royale. Notre Observatrice, leur avocate, détaille comment ce motif permet largement de museler l’opposition démocratique. 

Tantawan "Tawan" Tuatulanon et Orawan “Bam” Phuphong devant la cour pénale de Bangkok, le 16 janvier 2023, pour demander d’annuler leur caution. Elles entament une grève de la faim deux jours plus tard, le 18 janvier. Tantawan tient un bouquet de tournesols, comme son prénom en Thaïlandais. La fleur sera reprise dans les manifestations et sur les réseaux pour la soutenir.
Tantawan "Tawan" Tuatulanon et Orawan “Bam” Phuphong devant la cour pénale de Bangkok, le 16 janvier 2023, pour demander d’annuler leur caution. Elles entament une grève de la faim deux jours plus tard, le 18 janvier. Tantawan tient un bouquet de tournesols, comme son prénom en Thaïlandais. La fleur sera reprise dans les manifestations et sur les réseaux pour la soutenir. © Twitter / @TLHR2014
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Badigeonnées de peinture rouge pour imiter le sang, Tantawan "Tawan" Tuatulanon et Orawan “Bam” Phuphong, deux jeunes militantes thaïlandaises pro-démocratie de 21 et 23 ans, se sont présentées au tribunal pénal de Bangkok le 16 janvier 2023 pour demander à une juge d’annuler leur remise en liberté sous caution, en solidarité avec les autres militants incarcérés en attente de procès pour crime de “lèse-majesté”. Elles avaient été inculpées en février 2022 pour le même motif, après avoir organisé un “sondage d’opinion” au sujet de la monarchie dans un centre commercial très fréquenté à Bangkok.

Tawan et Bam avec plusieurs activistes du groupe "ThaluWang" pour réaliser un sondage au sujet des cortèges royaux, le 8 février 2022, au centre commercial Siam Paragon, à Bangkok .

Le 18 janvier, elles ont entamé une grève de la faim sèche (sans eau). Elles ont été hospitalisées dans un état très inquiétant, selon leur avocate, mais refusent tous soins médicaux. 

Depuis, en solidarité avec les deux jeunes femmes et aux autres militants pro-démocratie en détention, des concerts, rassemblements, graffitis et messages de soutiens se sont multipliés cette semaine dans toute la Thaïlande et sur les réseaux sociaux.

À l’image des manifestations menées par la jeunesse pro-démocratique depuis 2020 contre le gouvernement autoritaire thaïlandais et le roi, les actions de soutien sont très visuelles. Plusieurs étudiants se sont par exemple affichés dans la rue, déguisés en prisonniers, visage recouvert, pieds et poings enchaînés.

Le 23 janvier 2023, dans la région de Chang Mai, au nord-ouest du pays.
Légende: le 24 janvier 2023, dans la province de Bueng Sithan, au nord-est du pays.
Un rassemblement à Bangkok où les visages des deux jeunes filles sont brandis sur des pancartes, le 25 janvier 2023.

 

“Elles sont déterminées à aller jusqu’au bout”

Kunthika Nutcharut est avocate. Elle fait partie de ”Thaï Lawyers for Human Rights”(TLHR). C’est elle qui défend les deux jeunes activistes. 

“Je suis allée à l’hôpital hier [le 25 janvier], l’état de Tawan était alarmant. Elle refuse de prendre les traitements et commence à manquer de potassium, ce qui va troubler le fonctionnement de son cœur. Mais quand elles ont appris que leur appel au gouvernement continuait d’être ignoré, elles ont décidé de continuer de s’affamer et s’assoiffer. Elles sont déterminées à aller jusqu’au bout”. Leur message aux magistrats : "Essayez d'être humain avant d'être juge".

Leur principale demande, c'est que les personnes incarcérées [en détention provisoire en attente de leur procès, NDLR] soient libérées sans condition aucune. Beaucoup de personnes en détention provisoire sont libérées sous conditions et n’ont par la suite plus le droit de manifester ou d’exprimer leur opinion. Et une publication Facebook suffit pour les renvoyer en prison.”

 

L’ONG Human Rights Watch a appelé le 20 janvier les autorités thaïlandaises à libérer les personnes en détention provisoire et à respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), ratifié par la Thaïlande, qui encourage à ne pas systématiser la détention préventive dans son article 9

Parmi les demandes principales des deux jeunes activistes : l’abolition de l’article 112 du code pénal thaïlandais, qui criminalise la “diffamation et l’insulte contre la famille royale” autrement dit, le crime de “lèse-majesté”. La Thaïlande possède l’une des juridictions les plus sévères au monde dans ce domaine, les peines encourues allant de trois à quinze ans de prison. 

“Avec cette loi, on empêche les gens d’avoir une opinion libre”

Cette loi permet au régime de museler complètement l’opposition démocratique, estime notre Observatrice : 

La possibilité de punir si sévèrement l’outrage au roi, à la reine ou à sa famille est extrêmement problématique. Avec cette loi, on empêche les gens d’avoir une opinion libre.

Cette loi est également très ambigüe: la jurisprudence thaïlandaise a qualifié de façon assez large plusieurs actes de “lèse-majesté”. Ça peut être par exemple des commentaires sarcastiques en ligne sur le roi, ou encore le fait de s’habiller d’une certaine façon. 

Plusieurs photos montrent le visage des deux jeunes femmes placardé dans la rue en Thaïlande.

 

Je me suis par exemple déjà occupée d’une jeune femme qui a été poursuivie pour avoir porter une robe traditionnelle thaï [lors d’un défilé de mode pro-démocratie à Bangkok en 2020, NDLR]. Une photo d’elles est devenue virale et la justice considérait que la robe ressemblait à celle de la reine, elle a été reconnue coupable de diffamation envers la reine selon l’article 112 et a été emprisonnée.

Sur Twitter, les messages pro-démocratie en soutien aux deux activistes sont nombreux à porter le hashtag “abolissez le 112” (#ยกเลิก112) l’article qui criminalise la “lèse-majesté”.

La Thaïlande a eu particulièrement recours à l’article 112 depuis les manifestations de 2020 contre la monarchie et le gouvernement du militaire Prayut Chan-o-cha, devenu premier ministre avec le soutien du roi après avoir mené un coup d’État en 2014. Selon Human Rights Watch, plus de 200 personnes ont été inculpées sur ce motif depuis

En janvier 2021, une militante pro-démocratie avait écopé d’une peine record de quatre vingt-sept ans de prison, notamment pour plusieurs offenses de  “lèse-majesté”.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux militants pro-démocratie ont partagé des photos avec le chiffre “112” barré sur la paume, en référence de l’article 112.

Notre Observatrice pointe également l’article 116 du code pénal thaïlandais qui sanctionne “l’incitation à la violation de la constitution” jusqu’à sept ans de prison, régulièrement utilisé à la place ou en plus de l’offense de lèse-majesté pour faire taire les opposants.

 

 

 

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