Fiona est une femme australienne qui informe, dès qu’elle le peut, sur la cause Hazara, une communauté particulièrement persécutée par les talibans en Afghanistan, ayant migré en grande partie en Australie. Elle revient pour nous sur l’urgence de la situation pour toute la diaspora afghane dans le monde et pour les Hazara. Interview exclusive

Les Hazara protestent activement sur Internet, dans les rues d’Afghanistan ou encore dans leur pays d’accueil, depuis la prise de Kaboul. Fiona nous éclaire sur l’histoire de la migration Hazara, leurs difficultés d’intégration et le rôle important des femmes activistes ainsi que des organisations de défense des droits en Afghanistan.

Mr Mondialisation : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser de près à la population Hazara en Afghanistan et au cas des expatriés afghans en Australie, ton pays natal ?

Fiona : Je souhaite que les droits humains soient respectés dans le monde entier. J’aimerais qu’il y ait plus d’équité. En tant que femme australienne blanche et diplômée, issue d’un milieu privilégié, la plupart de mes expériences avec l’injustice sont principalement liées aux préjugés sexistes. Je me considère donc comme féministe. Les droits des femmes sont relativement bien respectés en Australie par rapport à l’Afghanistan. Le Forum économique mondial a rapporté dans son rapport mondial sur l’écart entre les sexes en juillet que l’Afghanistan est le pire pays au monde pour les femmes, en raison du manque d’accès des femmes à l’éducation, au travail et aux services de santé par rapport aux hommes.

Une veillée aux chandelles pour les victimes de la violence sectaire au Pakistan. Source : Flickr. Crédit image : Daniel Schmidt, ABC Open Producer

La diaspora afghane en Australie est majoritairement Hazara, dont beaucoup ont encore du mal à bien vivre à cause de ce qu’ils ont vécu en Afghanistan ou parce qu’ils ont des visas temporaires depuis de nombreuses années. Les Hazara que j’ai rencontrés sont déterminés à exceller dans le travail et l’éducation. Ils sont chaleureux et accueillants. J’ai commencé à faire campagne pour les droits des personnes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afghanistan après la prise de contrôle de Kaboul par les talibans.

Plusieurs membres de cette diaspora ont formé une campagne appelée Action pour l’Afghanistan, conseillant au gouvernement australien de s’engager dans 20 000 lieux humanitaires supplémentaires d’urgence en donnant la priorité aux personnes les plus vulnérables d’Afghanistan, y compris les Hazara, et en accordant une protection permanente à plus de 5 100 réfugiés d’Afghanistan, là encore principalement du groupe ethnique Hazara. Ce groupe, qui est historiquement persécuté, était sous visa de protection temporaire en Australie. Cette campagne vise à donner la priorité aux visas de regroupement familial et à lever l’interdiction de réinstallation des réfugiés en Australie par l’intermédiaire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Indonésie. Cette interdiction de réinstallation est en vigueur depuis 2014. Il était alors clair pour moi que de telles actions sont nécessaires. C’est pour cela que j’ai soutenu cette campagne.

Mr Mondialisation : Vous soulignez que l’Australie est un pays qui respecte les droits humains. Il semble que leur politique d’accueil des personnes migrantes soit relativement souple comparé à d’autre pays ? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet.

Fiona : L’Australie accepte des réfugiés de n’importe quel pays par le biais du programme du HCR. Il faut de nombreuses années pour que les demandeurs d’asile soient réinstallés dans le cadre de ce programme. Pour contourner ça, les gens ont essayé de venir de manière indépendante en Australie par bateau.

Les bateaux sont généralement interceptés loin de l’Australie et les personnes sont emmenées en Indonésie ou détenues à l’étranger. C’est un système cruel. Il y a environ 10 000 personnes qui se trouvent actuellement retenues en Indonésie, certaines y étant depuis près de dix ans.

Les demandeurs d’asile afghans ont souvent tenté de se rendre en Australie via Quetta au Pakistan. Ils quittent l’Afghanistan par vagues, selon le niveau de menace terroriste. Il y a une photo prise à Quetta en septembre 2010 qui montre les conséquences d’un attentat à la bombe faisant au moins 73 morts. En arrière-plan de la photo, vous pouvez voir un panneau d’affichage payé par le gouvernement australien, avertissant les gens de ne pas venir en Australie par bateau. C’est le parti politique australien en vigueur en 2010 qui a organisé ce panneau d’affichage à Quetta qui était extrêmement hostile envers les demandeurs d’asile. On retrouve leurs membres au sein du gouvernement élu en mai 2022. On espérait que ce nouveau gouvernement soit plus accommodant, en particulier avec les réfugiés Afghans. Malheureusement, ce n’est pas ce qui se passe jusqu’à présent.

Un enfant tient une pancarte, lors d’une manifestation dans la province de Bamyan en Afghanistan, contre le meurtre des Hazaras dans la ville de Quetta au Pakistan. La photo a été prise dans la province de Bamyan en Afghanistan, le 24 avril 2012 lors d’une manifestation contre les assassinats ciblés de personnes Hazara à Quetta au Pakistan. Source : Wikicommons.

Mr Mondialisation : Que savez-vous de l’histoire de la migration des Hazara dans le monde et plus particulièrement en Australie ?

Fiona : Les Hazara en Afghanistan sont persécutés depuis les années 1890, quand Abdur Rahman Khan était au pouvoir. On estime qu’il a tué ou déplacé au moins 60% de la population Hazara. On pense que de nombreuses personnes déplacées se sont retrouvées à Quetta au Pakistan et à Machhad en Iran. De nombreuses personnes fuient actuellement l’Afghanistan en passant par les pays voisins, notamment le Pakistan. Certaines m’ont signalé qu’elles avaient eu du mal à faire prolonger leur visa là-bas. Une amnistie pour les étrangers dépassant la durée de leur visa au Pakistan prend fin le 31 décembre 2022, nous sommes donc confrontés à une situation urgente et désastreuse en termes de sécurité de ces personnes.

Mr Mondialisation : Pourquoi les Hazara sont-ils des cibles pour les talibans ? Sont-ils plus exposés ?

Fiona : Le peuple Hazara a été victime de massacres commis par les talibans ainsi que par des groupes auxquels ils sont affiliés, comme Al-Qaïda et l’État islamique de la province du Khorasan (ISKP). Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux un mois après que les talibans aient pris d’assaut Kaboul montre un homme abattu simplement parce qu’il est Hazara. Je pense qu’il y a deux raisons pour lesquelles ils sont ciblés : la première est qu’ils sont musulmans chiites plutôt que musulmans sunnites. Certains membres des groupes affiliés aux talibans ont proclamé que les chiites étaient des apostats et devaient être condamnés à mort. La deuxième raison est que les Hazara sont fiers de tenir en haute estime l’éducation, le travail acharné et l’égalité des droits. Je pense que les talibans voient cela comme une menace pour leur capacité à exercer un pouvoir sur la population. Les Hazara continuent encore et toujours de revendiquer pacifiquement leurs droits, malgré la menace qui pèse sur eux. Pas découragés mais non armés, ils sont une cible facile. Les Tadjiks sont également visés par les talibans en raison de leur appartenance ethnique, probablement en raison de leurs opinions plus libérales sur les droits et parce qu’ils ont été eux aussi de farouches opposants aux talibans.

Mr Mondialisation : Nous avions parlé d’une absence de société civile en Afghanistan. Y a-t-il des organisations de femmes qui peuvent être à l’origine d’une prise de conscience en Afghanistan ?

Fiona : Il existe plusieurs groupes en Afghanistan qui s’efforcent d’améliorer la situation des femmes et de résister aux efforts visant à les priver de leurs droits. Ces groupes ont tendance à se concentrer sur des domaines spécifiques, tels que l’éducation, la sécurité, la santé ou la liberté. Beaucoup de ces groupes travaillent secrètement ou discrètement. Le Women Peace Studies Organization, le WPSO est l’un des rares groupes actifs publiquement. Il offre un soutien psychosocial et des sessions de gestion financière. Ces sessions contribuent à renforcer l’estime de soi et la résilience.

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Il existe également le projet de bibliothèque Zan à Kaboul, qui a été mis en place avec l’aide des militants des droits des femmes en Afghanistan et de la fondation Crystal Bayat. L’objectif de la bibliothèque est de fournir du matériel éducatif aux filles qui ne peuvent pas aller à l’école. Lors de son ouverture, il a été dit que d’autres bibliothèques pourraient être créés à l’avenir si celle de Kaboul est un succès. Il faut savoir qu’il est difficile pour les femmes de se réunir en Afghanistan à l’heure actuelle. Les cafés, les restaurants, les parcs et les bains publics sont soumis à des restrictions, de même que la circulation des femmes dans les rues sans être accompagnées d’un mahram (gardien).

Des enfants Hazara se tiennent au bord de la route dans la province de Bamian, en Afghanistan, le 13 octobre 2004. Source : Flickr

Plusieurs groupes différents de femmes ont organisé des manifestations de rue en Afghanistan. Les hommes ne s’impliquent souvent pas, car ils craignent d’être immédiatement tués par les talibans, sur place. Matiullah Wesa et Penpath ont cependant mené plusieurs campagnes en faveur de l’éducation des filles. Le Front national de résistance d’Afghanistan inclut l’égalité des droits pour les femmes dans ses principes de base. Plusieurs militantes des droits des femmes qui ont fui l’Afghanistan ont parlé de leurs protestations ou de la façon dont elles ont été traitées par les talibans. Elles continuent de faire pression pour que les femmes voient leurs droits respectés et que certaines actions soient entreprises :

> Lutter contre l’ignorance, la tyrannie et la déviation des valeurs religieuses, à travers l’unité des personnes éprises de liberté (savants, courants politiques, civils et culturels, femmes et jeunes).
> Croire en l’égalité des droits des hommes et des femmes devant la loi et rejeter toute discrimination entre les citoyens.
> Croire en la participation des femmes dans tous les domaines politiques, économiques, culturels et sociaux sans aucune discrimination.

Mr Mondialisation : La situation se détériore-t-elle pour la communauté Hazara, en particulier pour les femmes Hazara ? Combien de Hazara sont morts lors de la dernière attaque de Kaaj ?

Fiona : Il est difficile de dire si la situation de la communauté Hazara est plus discriminée aujourd’hui qu’à un moment donné dans le passé, car nous n’avons pas d’archives. De nombreux crimes commis depuis le 15 août 2021 n’ont pas été rapportés publiquement. Les talibans enlèvent parfois des gens de chez eux et la famille n’est pas informée du bien-être de la personne enlevée. En octobre 2021, on a demandé à Alia Azizi, une femme Hazara, de retourner travailler à la prison pour femmes de Herat dont elle était la directrice sous le gouvernement précédent et elle a disparu depuis. Nous n’avons, non plus, aucune information sur ce qu’il est advenu des manifestants de l’école de Bamiyan d’avril 2022.

Selon les Nations Unies, le nombre total de personnes tuées dans l’attaque du centre éducatif de Kaaj est de 53 et 110 personnes ont été blessées. La majorité des victimes étaient des étudiantes Hazara.

Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous expliquer comment s’est déroulée la dernière manifestation physique à laquelle vous avez participé en Australie pour défendre les droits de la communauté Hazara ?

Fiona : J’ai participé à la veillée organisée à Perth, en Australie occidentale, le samedi 8 octobre 2022, qui faisait partie de l’appel mondial #StopHazaraGenocide suite à l’attaque de Kaaj. Des centaines de personnes, pour la plupart des Hazara, se sont présentées. Parmi les orateurs figuraient des dirigeants de la communauté Hazara de Perth et le sénateur Jordan Steele-John. Des photos de tous ceux qui ont perdu la vie dans l’attaque ont été placées sur le devant de la scène, ainsi qu’une rose rouge pour chacun d’entre eux. Des manifestations ont également eu lieu dans toute l’Australie lorsque les talibans ont pris d’assaut Kaboul. Des veillées ont été organisées à l’occasion du premier anniversaire de l’événement.

Mr Mondialisation : Pouvez-vous expliquer en quoi participer aux médias sociaux est quelque chose d’important pour lutter contre les talibans à l’échelle internationale ?

Fiona : Nous avons besoin que les gens se rassemblent. Si les gens ne sont pas ensemble, ce n’est pas possible. C’est très frustrant pour les activistes de ne pas savoir ce qu’il arrive vraiment aux victimes des talibans. Je pense que les gens à l’étranger peuvent faire tout ce qu’ils peuvent pour les Afghans et pour les générations futures également. Les réseaux sociaux permettent donc de se réunir et de s’informer sur cette question.

https://www.onebillionrising.org/47620/rise-for-and-with-the-women-of-afghanistan/ 
Mobilisation en ligne pour la défense des droits des femmes afghanes. Source : One billion rising

– Propos recueillis par Audrey Poussines et Hans Schauer


Photo de couverture de Ehimetalor Akhere Unuabona sur Unsplash

Sources :

https://en.wikipedia.org/wiki/2021%E2%80%932022_Afghan_protests

https://twitter.com/Voicefp/status/1580965463210700802https://www.nationalresistance.org/en/press-and-media/statements/101473.html

https://www.actionforafghanistan.com.au/

https://www.theguardian.com/australia-news/2022/feb/13/government-plans-to-send-hazara-asylum-seeker-back-to-afghanistan-may-face-high-court-challenge

https://www.abc.net.au/news/2022-10-09/hazara-vigil-perth-bombing-victims/101515826

https://www.hazaracommunitywa.org.au/

https://twitter.com/FreeVet84/status/1506389983501832193

https://visa.nadra.gov.pk/amnesty-scheme-for-overstaying-foreigners-to-exit-pakistan/

https://genocideknowmore.org.uk/hazara-genocide-afghanistan/

Why the Hazara Genocide Matters?

 

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