Société Crise du logement : pourquoi les femmes subissent la double peine

Plus précaires que les hommes, davantage exposées aux violences, pas toujours protégées, les femmes sont particulièrement vulnérables aux difficultés de logement. Dans son nouveau rapport, la Fondation Abbé Pierre montre aussi que le genre bouleverse la manière même de vivre le mal-logement.

Léa GUYOT - 31 janv. 2023 à 22:00 | mis à jour le 31 janv. 2023 à 22:04 - Temps de lecture :
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En 2012, 38% des personnes sans domicile étaient des femmes selon l'Insee. Photo d'illustration Sipa/Jeanne ACCORSINI

En 2012, 38% des personnes sans domicile étaient des femmes selon l'Insee. Photo d'illustration Sipa/Jeanne ACCORSINI

Les inégalités de genre n'ont pas de frontière. En matière de logement aussi, être une femme peut s'avérer pénalisant. Dans son nouveau rapport sur « L’État du mal-logement en France », dévoilé ce mardi soir, la Fondation Abbé Pierre s'intéresse tout particulièrement aux difficultés rencontrées par les femmes, entre précarité, violences et aide institutionnelle genrée.

De manière générale, « les femmes et les hommes ne sont pas égaux dans l’accès au logement », observe la fondation. D'abord parce que les femmes ne disposent pas d'autant de ressources financières. Avec un revenu salarial inférieur en moyenne de 22 % à celui des hommes, une plus forte exposition aux emplois à temps partiel et moins bien rémunérés, elles « sont plus souvent en situation de précarité ». C'est particulièrement vrai pour les mères célibataires, à la tête de 80% des familles monoparentales. Plus du tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté.

Des ruptures qui rendent vulnérables

Mais l'accès différencié au logement s'explique aussi par le fait que les femmes sont moins souvent propriétaires et qu'elles héritent moins souvent d'un bien immobilier que les hommes. Autant de facteurs qui les rendent plus vulnérables à une dégradation de leur condition de logement au moment d'une rupture personnelle. Après une séparation, a fortiori dans un contexte de violences conjugales, « les femmes deviennent souvent locataires alors qu'elles étaient propriétaires auparavant », note Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Contrairement aux hommes, elles voient aussi « leurs revenus baisser, d'autant que les pensions alimentaires sont souvent d'un niveau insuffisant, voire pas du tout versées », ajoute Manuel Domergue.

Plus jeunes, elles sont davantage confrontées aux difficultés qu'implique la décohabitation du foyer parental. « Les femmes quittent le domicile des parents plus tôt et sont donc projetées plus rapidement dans un moment de précarité résidentielle », décrypte le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Et plus âgées, elles doivent subir plus souvent que les hommes les conséquences du veuvage. Une situation qui « peut être difficile quand vous avez un crédit, un loyer ou une grande maison à entretenir, sachant que les retraitées ont des revenus assez bas, même avec une pension de réversion », décrypte Manuel Domergue. Sur les 14,8 millions de personnes touchées par la crise du logement en France, « 500 000 sont des femmes retraitées qui vivent seules », ajoute-t-il.

Les chiffres du mal-logement

  • Plus d'un million de personnes sont privées de logement personnel en France. Parmi elles, 330 000 sont sans domicile et 643 000 sont hébergées chez des tiers de manière très contrainte, estime la Fondation Abbé Pierre.
  • Plus de 2,8 millions de personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles (pas d'eau courante, surpeuplement, etc.).
  • Au total, la fondation considère que 4,1 millions de personnes sont aujourd'hui dans une situation de mal-logement.
  • Autour de ce noyau dur se dessine un halo beaucoup plus large de personnes affectées par la crise du logement (surpeuplement dit « modéré », impayés de loyers, effort financier excessif, froid à domicile, etc.). 14,8 millions de personnes en seraient victimes, selon la fondation.

Au-delà d'être un facteur déclenchant du mal-logement, le genre est aussi un facteur aggravant : une femme en situation de mal-logement est ainsi confrontée à des expériences peu ou pas vécues par les hommes. Si les hommes représentent toujours la majorité des personnes sans-abri en France, une féminisation s'opère depuis quelques décennies, souvent de manière invisible. Pour se protéger des violences, notamment sexuelles, « les femmes à la rue vont moins fréquenter les accueils de jour ou les hébergements d'urgence », observe Manuel Domergue. Et quand elles sont hébergées chez des tiers, elles sont « davantage contraintes que les hommes à réaliser du travail domestique peu ou non rémunéré » et « à se soumettre à des relations sexuelles », indique le rapport de la fondation.

« Une forme d'acceptation »

Devant l'ampleur des inégalités subies par les femmes en matière de logement, la Fondation Abbé Pierre liste une série de mesures à mettre en place, de la refonte du dispositif de calcul des pensions de réversion à l'allongement de la durée du congé paternité. « Il faut des politiques assez généralistes pour venir combler les angles morts de la protection sociale dont sont victimes les femmes », justifie Manuel Domergue. La fondation prône aussi des mesures spécifiques au domaine de l’habitat, comme le développement de logements adaptés au vieillissement ou l'adaptation des structures d’hébergement aux femmes et aux LGBTQ+.

Elle insiste surtout sur l'accès des familles monoparentales aux logements sociaux et aux hébergements d'urgence, dans un contexte d'« affaiblissement de la protection que conférait le statut de mère isolée ». « Il y a une telle situation d'engorgement qu'il est fréquent de voir des femmes et enfants à la rue », déplore Manuel Domergue, qui dénonce « une forme d'acceptation par les pouvoirs publics ».