Les 12 et 13 janvier 2023, les groupes armés ont fait un acte inédit dans notre pays : ils ont enlevé une cinquantaine de femmes [61 selon certaines sources] de la commune d’Arbinda [dans la province de Soum, dans le nord du pays, une région située dans la zone dite des “trois frontières”, entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, où sévissent principalement les groupes armés et terroristes]. Les femmes sont celles qui paient le plus lourd tribut de cette guerre depuis 2015.

Elles sont violentées dès qu’elles s’aventurent en brousse. C’est pour cette raison qu’elles y vont en groupe, mais les assaillants voulaient plus cette fois et surtout par cet acte symbolique de rapt immense, un message est adressé aux hommes du Burkina. Ils nous disent que non seulement ils sont les maîtres de la brousse, mais aussi de nos femmes. Qui peut le leur contester ?

C’est vraiment un sentiment d’extrême vulnérabilité qui nous habite tous quand on voit le délitement sécuritaire du pays. Avons-nous emprunté le chemin de la sauvegarde et de la restauration ? Qui sont ceux qui ont enlevé les femmes d’Arbinda ?

Des résistantes abandonnées de tous

Quel sera leur sort aux mains de leurs ravisseurs ? Pourquoi ces femmes n’ont-elles eu pour seul recours que de braver la mort pour aller chercher des feuilles et des fruits pour nourrir leur famille ? Sommes-nous capables, aujourd’hui, d’organiser un convoi de ravitaillement terrestre dans les zones à forts défis sécuritaires ?

Ce sont des résistantes qui viennent d’être enlevées aux environs d’Arbinda il y a une semaine. Elles ont refusé d’abandonner leurs terres, villages, habitations, et maigres biens, pour prendre les routes et aller ailleurs vivre de mendicité.

Ce sont des résistantes abandonnées de tous, principalement de l’État burkinabè, du gouvernement et de tous ceux qui ont en charge la sécurité du pays et de ses habitants. Ces femmes vivaient l’enfer mais ne baissaient pas les bras, ne courbaient pas l’échine et cherchaient par tous les moyens à vivre libres chez elles, sur la terre de leurs ancêtres.

Des rapts pratiqués aussi au Nigeria et en Syrie

Elles ont été enlevées par des hommes armés, probablement un des groupes terroristes qui nous disputent le territoire. Dans cette partie du pays qui fait partie du Liptako-Gourma, aussi appelé la zone des trois frontières, il y a le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) affilié à Al-Qaida au Maghreb islamique, et l’État islamique au grand Sahara (EIGS).

Les enlèvements de femmes et de jeunes filles sont un mode opératoire usité de l’État islamique, et sa franchise africaine Boko Haram, au Nigeria, est connue pour l’enlèvement de jeunes pensionnaires d’un collège à Chibok, au Nigeria [dans la nuit du 14 au 15 avril 2014, 276 lycéennes, la plupart chrétiennes, avaient été enlevées]. L’État islamique l’a pratiqué en Irak et en Syrie.

Selon un communiqué du 18 janvier 2023 du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), lu sur sa page Facebook, ce sont en bonne proportion des jeunes filles qui ont été enlevées. “Suite à ces informations, le Mouvement a établi une liste, non exhaustive, de 61 femmes enlevées, dont au moins 26 âgées de moins de 18 ans.”

L’enlèvement n’a pas été revendiqué comme la plupart des opérations des groupes armés depuis ces dernières années. Les groupes terroristes qui se sont adonnés à ces actes odieux comme Boko Haram et l’EIGS n’ont jamais caché que [les femmes] étaient destinées à servir comme esclaves sexuelles ou à être mariées de force à leurs combattants.

Le gouvernement est face à un nouveau problème que le pays n’a pas encore connu ? Il faut libérer ces femmes au plus vite pour que le pire n’arrive pas. Notre pays, pour l’instant, n’a aucune expérience connue de nous de libération d’otages des mains de groupes terroristes. Naturellement, les libérations sous Blaise Compaoré ne comptent pas puisque nous étions le médiateur choisi par eux et roulant pour eux.

Des mères en quête de nourriture

Pourquoi ces femmes sont-elles allées en brousse ? Elles sont allées chercher des fruits sauvages comestibles et des feuilles. C’est de cela qu’elles nourrissent leur famille car, depuis novembre 2022, il n’y a plus rien à manger à Arbinda, situé à 90 kilomètres de Djibo, chef-lieu de la province du Soum, dont il dépend et qui vit aussi souvent sous le blocus des terroristes sans ravitaillement.

Arbinda est aussi éloigné de 104 kilomètres du chef-lieu de la région, Dori. La situation d’embargo était connue des autorités, des lanceurs d’alerte avaient interpellé les autorités, et la population, en désespoir de cause, avait pillé un magasin de la Sonagess [Société nationale de gestion des stocks de sécurité alimentaire du Burkina Faso] qui avait des vivres entreposés à Arbinda.

Voilà près de deux mois que nous refusons de porter secours à nos sœurs et frères en détresse, et les premiers en cause sont ceux qui sont en responsabilité. C’est la faim qui a poussé ces femmes en brousse, et c’est l’absence de ravitaillement du village qui est la cause première.

Depuis le drame de Gaskindé, le 26 septembre 2022 [un convoi alimentaire de 207 véhicules avait été attaqué par un groupe djihadiste près de cette commune de la région du Soum. L’attaque avait été revendiquée par Al-Qaida], aucun convoi terrestre de ravitaillement n’a été organisé.

Silence coupable

Notre armée reste muette sur ses défaillances. On se demande si elle recherche la rationalité qui se cache derrière ses défaites. C’est en démêlant les fils du pourquoi et du comment que l’on avance et que l’on apprend de ses erreurs. Sinon on se condamne à vivre les mêmes erreurs du passé et à avoir une peur bleue de la reproduction de l’événement traumatique.

C’est normal, c’est humain que le nom d’Arbinda et la route d’Arbinda fassent peur parce qu’ils évoquent des drames de notre guerre, des moments où nous avons accusé d’énormes pertes, en 2019. Lors d’une attaque du détachement militaire le 24 décembre 2019 qui a fait 35 morts chez les civils dont 31 femmes et 7 FDS (Forces de défense et de sécurité, 4 gendarmes et 3 militaires). L’attaque a duré trois heures et a été repoussée par l’intervention de l’aviation laissant 80 terroristes au sol.

Arbinda, c’est aussi le souvenir douloureux de l’attaque d’un convoi de civils escorté par les FDS et les VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) [citoyens engagés volontaires dans la lutte contre les groupes terroristes], le 18 août 2021, sur l’axe Gorgadji-Arbinda. La douleur est toujours vive car le triste bilan est de 65 civils, 15 FDS et 6 VDP décédés suite au guet-apens des groupes terroristes.

Abandon de souveraineté

Est-ce que ce sont ces souvenirs traumatiques qui empêchent d’organiser le ravitaillement ? Pourquoi l’armée n’essaie pas d’associer le maximum de gens à la recherche de solutions, peut-être que des compétences existent dans le civil pour convoyer des vivres dans ces zones ?

En lançant un appel d’offres, elles verraient les solutions proposées et les nouvelles idées pour organiser la sécurité des convois. Si on doit dépendre du PAM [Programme alimentaire mondial] pour ravitailler nos populations, c’est encore un abandon de notre souveraineté.

Car en le faisant nous-même, nous luttons pour la sauvegarde de notre bien, de notre territoire, de notre pays. Le président du MPSR II [Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, nom pris par les militaires qui ont pris le pouvoir après le coup d’État du 24 janvier 2022], le capitaine Ibrahim Traoré, s’est présenté comme celui qui parle du côté des populations qui n’ont rien à manger, qui mangent des herbes (sic) [allusion à un discours au cours duquel Ibrahim Traoré avait déploré la famine qui touche certaines populations sous blocus : “On fait la fête à Ouaga, [tandis que] des gens mangent l’herbe.”], il avait le visage détendu et heureux à l’université Joseph Ki-Zerbo face aux étudiants qu’il a quitté il y a une dizaine d’années [Ibrahim Traoré y a été étudiant], c’est vrai que tout est urgent, mais la sécurité est plus urgente.

En disant cela, on ne demande que ce que le MPSR I [après le coup d’État du 24 janvier 2022, Paul-Henri Sandaogo Damiba prend le titre de président] et II [Ibrahim Traoré prend la tête du MPSR par un autre coup d’État, le 30 septembre 2022.] ont promis : se consacrer prioritairement à la lutte contre l’insécurité, qui connaît des accès de fièvre dans tout le nord du pays, de l’Est à l’Ouest. Selon des informations de dernière minute de l’AIB [l’Agence d’information du Burkina], les femmes auraient été retrouvées [ce 20 janvier]. Nous attendons les détails à venir, et maintenons la présente analyse.