Quel âge avez-vous vraiment ? La réponse serait inscrite sur votre visage.

Votre âge biologique reflète votre santé physique et peut différer de votre âge réel de plusieurs années. Un nouvel outil capable de le calculer « pourrait servir de signal d’alarme ».

De Connie Chang
Publication 7 févr. 2023, 16:06 CET
À l’aide d’une caméra 3D et de l’intelligence artificielle, Jing-Dong Han, chercheuse de l’Université de Pékin, ...

À l’aide d’une caméra 3D et de l’intelligence artificielle, Jing-Dong Han, chercheuse de l’Université de Pékin, a mis au point un système capable de déterminer l’âge physiologique d’une personne. Cette heatmap rouge (valeurs plus élevées sur les axes x, y et z) et bleue (valeurs plus basses) indique comment le visage d’une femme chinoise moyenne de l’ethnie Han évolue avec l’âge. L’âge physiologique peut différer de l’âge chronologique de 7,5 années (donné obtenue en faisant la moyenne des 5% de participants les plus à la marge).

PHOTOGRAPHIE DE Image by Jing-Dong Jackie Han, Peking University

Une image vaut mille mots. Mais quand cette image est un rendu on ne peut plus précis d’un visage en trois dimensions, elle vaut peut-être bien également mille prises de sang. En effet, ces joues pleines et ces cernes sous nos yeux ne sont pas que de disgracieux signes annonciateurs de l’âge qui vient, mais également un reflet de notre santé.

Depuis des décennies déjà, les scientifiques savent que l’âge chronologique, un simple nombre qu’il suffit de glaner sur un permis de conduire, ne fait pas tout. Notre âge biologique, qui est influencé par une multitude de choses comme notre environnement, notre alimentation et la fréquence à laquelle nous nous dépensons physiquement, reflète la santé de nos cellules et de nos organes et peut différer de notre âge chronologique de plusieurs années. Mais à l’inverse du nombre d’années qui nous séparent de la naissance, l’âge biologique ne se laisse pas identifier si facilement. Pour remédier à cela, Jing-Dong (Jackie) Han et ses collègues ont mis au point un outil fonctionnant grâce à l’intelligence artificielle (IA) qui permet de prendre une image en trois dimensions du visage d’une personne et de calculer son âge biologique, une « horloge du vieillissement du visage » comme ils le surnomment.

Inspirée par une pratique chinoise ancestrale consistant à deviner la santé d’une personne en « lisant » sur son visage, Jing-Dong Han, biologiste numérique de l’Université de Pékin, et son équipe ont construit leur horloge en analysant les photos de visages en 3D d’environ 5 000 résidents de la ville chinoise de Jidong. Les chercheurs ont créé deux horloges fonctionnant grâce à l’IA ; une qui prédit l’âge chronologique et une autre qui prédit l’âge biologique. Ces horloges du vieillissement du visage suivent les changements que subit notre visage au fil du temps : le coin des yeux tombe, le nez s’empâte, les bajoues s’affaissent, et la distance entre le nez et la bouche augmente. En outre, on sait que certaines caractéristiques faciales s’alignent avec certaines affections. Une peau qui pend peut par exemple trahir une inflammation systémique.

Vieillissement du visage d’une femme de 20 ans à 65 ans (de gauche à droite) tel que prédit par le modèle de Jing-Dong Han. Ses recherches indiquent que le vieillissement accéléré du visage est un indicateur d’inflammation systémique et est associé à divers problèmes de santé comme un taux de cholestérol trop élevé, l’hypertension et d’autres maladies liées à l’âge. Ce système est actuellement utilisé dans des cliniques chinoises pour se faire une idée de la santé des patients.

PHOTOGRAPHIE DE IMAGE DE JING-DONG JACKIE HAN, PEKING UNIVERSITY, Peking University

Selon Andre Esteva, fondateur et P-DG d’une start-up du secteur médical sise à Los Altos, en Californie, le travail de Jing-Dong Han pourrait chambouler la médecine préventive : « Si vous pouviez obtenir votre âge biologique en prenant une photo, cela pourrait vraiment influencer votre mode de vie. » Grâce à cet outil, les médecins pourraient également surveiller et gérer les soins apportés à des patients suivant des traitements onéreux connus pour entraîner un vieillissement prématuré tels que la chimiothérapie. Cet outil a en outre le potentiel de contribuer à la recherche sur le vieillissement.

« Nous avons reçu tant de demandes de la part d’entreprises qui veulent [que notre outil] évalue l’efficacité de leurs suppléments ou de leurs médicaments anti-âge », révèle Jing-Dong Han.

Les modèles d’intelligence artificielle ont besoin d’exemples dans lesquels la bonne réponse (ou « vérité terrain ») est déjà connue afin d’apprendre à la repérer au sein de nouveaux ensembles de données ; faire correspondre un visage à l’âge d’un sujet, par exemple. Mais un point d’achoppement potentiel surgit : il n’existe pas d’étalon-or pour l’âge biologique. « Le concept d’âge biologique est un terme générique désignant l’ensemble des événements multisystémiques survenant avec l’âge », explique Christopher Bell, qui étudie la relation entre l’âge et les maladies chroniques à l’Université de Londres. Qu’il s’agisse du rétrécissement de nos télomères, ces capsules qui empêchent nos chromosomes de se dégrader, de la dégradation de nos mitochondries ou de l’affaiblissement de notre système immunitaire, les marqueurs de vieillissement sont légion.

Les premières horloges de mesure du vieillissement reposaient sur les changements de forme des groupes méthyles, des marqueurs chimiques qui s’ajoutent à l’ADN et activent ou inhibent des gènes. Cette mécanique de méthylation de l’ADN, qui régule l’activité des gènes, se détériore avec le temps. La forme de cette détérioration, c’est-à-dire les zones de notre génome qui sont affectées, peuvent nous renseigner sur la vitesse à laquelle nos cellules et nos tissus vieillissent. D’autres horloges estimant l’âge s’appuient sur la distribution sanguine des protéines ou sur le nombre de divisions des cellules souches.

 

UNE HORLOGE DU VIELLISSEMENT FACIAL

En 2016, Jing-Dong Han a décidé d’employer une autre mesure, l’âge perçu ; autrement dit, l’âge que vous donnent les autres. Son inspiration venait d’une étude publiée en 2009 dans laquelle les participants devaient estimer l’âge et la santé de jumeaux sur une photographie, estimation suivie d’une évaluation médicale des sujets sept ans plus tard. Les chercheurs s’étaient aperçus que celui des deux jumeaux qui paraissait le plus âgé était le plus fragile, qu’il souffrait de davantage de troubles cognitifs et qu’il avait plus de chances d’avoir trouvé la mort par le passé que son double qui avait l’air plus jeune. À l’évidence, s’est dit Jing-Dong Han, l’âge biologique tel qu’exprimé par l’apparence est fortement corrélé à la santé. Son groupe avait déjà incorporé des images de visages en 3D dans des recherches publiées en 2015 dans lesquelles ils avançaient que les traits du visage permettaient de prédire l’âge chronologique dans un modèle statistique composé de 300 sujets habitant Pékin.

À cette époque, elle s’efforçait d’établir le lien qu’entretiennent certains marqueurs sanguins avec l’âge quand elle a remarqué que l’Institut de biologie numérique de la Société Max-Planck de l’Académie chinoise des sciences, où elle travaillait, possédait de quoi réaliser des images du visage en 3D. Puisqu’ils avaient un imageur à disposition, s’est-elle dit, autant l’emporter avec eux lorsqu’ils allaient effectuer des prises de sang et s’en servir pour découvrir ce que le visage révélait sur l’âge par rapport aux marqueurs sanguins.

En 2016, elle a eu accès à une cohorte plus importante, environ 5 000 personnes de la ville de Jidong, ainsi qu’à des techniques d’IA plus poussées. Grâce aux capacités élevées de traitement de données de l’IA, Jing-Dong Han a réussi à répliquer la façon dont un humain perçoit la manifestation de l’âge biologique sur le visage d’une personne. Afin de minimiser les fluctuations d’une observation à l’autre, dans son étude, l’âge biologique de chacun des sujets a été estimé indépendamment par cinq volontaires et a servi de « vérité terrain » pour entraîner l’intelligence artificielle.

Son moteur IA, qui a appris grâce à ces observations humaines et qui les a affinées, était étonnamment précis. En moyenne, ses prédictions déviaient de l’âge correct d’environ trois années par rapport au modèle de l’âge chronologique et par rapport à celui de l’âge perçu. Dans l’étude de Jing-Dong Han, on considérait que les participants qui paraissaient trois ans de plus que la date inscrite sur leur certificat de naissance vieillissaient rapidement, tandis qu’on considérait que ceux qui paraissaient trois ans de moins vieillissaient lentement.

Selon Jing-Dong Han, la différence entre leur âge prédit et leur âge réel peut être corrélée à divers paramètres de santé, et ce sont ces cas particuliers qui nous renseignent le plus sur la façon dont nous vieillissons.

Pour explorer les liens entre apparence, âge et facteurs sous-jacents ayant une influence sur la santé, Jing-Dong Han a réalisé des prises de sang et mené une enquête sur les habitudes des participants. Par exemple, le fait de fumer, de ronfler et d’avoir un niveau élevé de cholestérol dans le sang étaient des traits souvent associés aux personnes vieillissant vite tandis que la consommation de yaourts, le fait de prendre ses repas à heures régulières et d’avoir une densité minérale osseuse plus importante étaient des traits plus fréquemment présents chez ceux qui vieillissent plus lentement.

L’âge mûr, c’est-à-dire la quarantaine et le début de la cinquantaine, semble être une période à laquelle les différences entre personnes vieillissant rapidement et personnes vieillissant lentement deviennent davantage visibles. Certaines personnes peuvent avoir l’air assez âgées alors qu’elles n’ont que 40 ans tandis que d’autres ont 55 ans mais ont encore l’air très jeune. Selon Jin-Dong Han, cette variabilité signifie que l’adoption d’habitudes plus saines pourrait changer la donne de manière importante à cette période.

Jing-Dong Han et ses collaborateurs ont également développé des modèles supplémentaires afin d’examiner les mécanismes moléculaires qui sous-tendent le vieillissement et afin de les associer aux traits du visage de personnes vieillissant plus vite grâce à des horloges créées grâce à l’intelligence artificielle. Ils ont par exemple conçu des horloges capables d’identifier des gènes actifs dans le sang d’individus paraissant plus âgés et de les associer aux traits du visage du même individu.

Lorsque ces prédictions se chevauchent, les chercheurs sont en mesure de déterminer quels gènes (et donc quels chemins moléculaires) sont activés sur les visages paraissant plus vieux et inhibés sur ceux qui paraissent plus jeunes. D’après Jing-Dong Han, pour l’ensemble des horloges, « le vieillissement accéléré est hautement associé à des infections et à des inflammations » qui se manifestent sur le visage par un rétrécissement du front tandis que la peau s’affaisse. D’autre part, des taux élevés de LDL et de cholestérol dans le sang se traduisent par des joues pleines et des poches sous les yeux.

 

QUELLES APPLICATIONS POUR CETTE TECHNOLOGIE ?

La recherche sur le vieillissement s’est démocratisée mais ce domaine continue de faire face à un problème : nous ne savons pas exactement ce qu’est l’âge biologique, ni s’il existe une manière objective de le définir quantitativement. Mais selon Ruibao Ren, médecin-chercheur du Centre international pour le vieillissement et le cancer de la Faculté de médecine de Hainan, en Chine, les recherches de Jing-Dong Han, ainsi que des travaux en cours dans d’autres laboratoires, ont permis de grandes avancées pour combler cette lacune.

« Le simple fait d’être capable de mesurer le vieillissement est déjà un grand bond en avant et la technologie du docteur Han, dont on se sert déjà dans l’hôpital où [elle] officie à Hainan, va jouer un rôle important dans les études sur le vieillissement », indique Ruibao Ren. Les entreprises du secteur pharmaceutique peuvent se servir de cet outil pour évaluer des médicaments favorisant la longévité ou ralentissant le vieillissement. D’ailleurs, en tant qu’oncologue, Ruibao Ren a bon espoir que l’horloge faciale lui permettra de diagnostiquer des patients atteints de cancers dès les premiers stades de la maladie. Puisque le cancer est fortement corrélé à l’âge, si quelqu’un montre des signes de vieillissement accéléré, les médecins auront ainsi l’occasion de réaliser davantage de dépistages à des fins de prévention. « Le vieillissement est probablement à l’origine de 80 % des maladies », explique Ruibao Ren.

Les médecins pourraient également incorporer l’âge biologique dans la batterie de tests inclus dans notre bilan annuel lors duquel on mesure notre taux de cholestérol ou notre tension artérielle. « Cela pourrait servir de signal d’alarme et vous pousser à vous demander : est-ce que tu t’y prends correctement en ce qui concerne ta santé ? » prédit Ruibao Ren.

Et à l’inverse d’autres horloges qui nécessitent des prélèvements sanguins ou tissulaires et des analyses onéreuses pour être mis en œuvre, l’horloge faciale est économique et non invasive, le patient n’a qu’à s’asseoir le temps d’une minute devant un imageur 3D.

 

PERSPECTIVES FUTURES

Christopher Bell voit lui aussi un grand potentiel dans l’étude approfondie des horloges du vieillissement, en particulier à mesure que les ensembles de données vont s’étoffer. Les plus anciennes horloges épigénétiques prenaient par exemple en compte 1 500 sites de méthylation potentiels sur notre ADN, tandis que les horloges les plus récentes en examinent plus de 900 000. Mais selon Christopher Bell, le vrai pouvoir de ces horloges de l’âge est qu’elles peuvent nous offrir de nouveaux aperçus des mécanismes du vieillissement.

Il insiste par exemple sur le fait que la méthylation anormale de l’ADN est caractéristique du cancer mais également du vieillissement. En comprenant ces deux scénarios, « nous pourrions identifier de nouvelles avenues thérapeutiques pour soigner ces maladies », affirme Christopher Bell.

Mais il recommande d’être prudent dans l’interprétation des résultats issus d’horloges du vieillissement. « Au niveau d’une population, ces horloges saisissent certains aspects du vieillissement. » En revanche, au niveau individuel, il y a plus de travail à fournir. « Si nous mesurons l’âge d’une personne en particulier avec une horloge épigénétique, nous ne pouvons pas être certains que cette dernière le mesurera aussi bien chez cette personne, ni que les changements survenus au fil du temps sont représentatifs de la réalité. »

Quant à Jing-Dong Han, son équipe continue d’étudier d’autres horloges comme l’horloge du transcriptome qui reflète les dégâts subis par l’ADN dans le sang, et une horloge fonctionnant avec l’information de cellules uniques. Le but est d’agréger des mesures disparates (chaque horloge présente un aspect différent du vieillissement) et d’en faire une horloge composite. Ils continuent également à affiner leur horloge du vieillissement facial dont une version applicable à n’importe quel groupe ethnique sera bientôt publiée.

Quel est le but ultime de Jing-Dong Han ? « Eh bien, je dis à mes collègues que je vais essayer de les faire vivre au moins cinq ans de plus, et de les faire paraître cinq ans de moins », s’amuse-t-elle.

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