Éthologie

Le rôle essentiel des pollinisateurs oubliés

Les abeilles et autres insectes diurnes sont loin d’être les seuls pollinisateurs des cultures. L’activité de nombreux animaux nocturnes ne doit pas être sous-estimée…

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La fleur de cacao pollinisée par une micromouche

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Quand on pense pollinisation, on pense souvent abeille… et même abeille mellifère (Apis mellifera), l’espèce domestique élevée depuis des milliers d’années pour sa capacité à produire du miel à la différence de la plupart des 20 000 espèces de ses congénères sauvages connues. Ce fut également longtemps la principale focale des chercheurs. Jusqu’à ce que des études montrent, en 2009, que l’abeille mellifère ne suffisait pas à elle seule à polliniser les superficies croissantes de cultures qui dépendent de la pollinisation dans le monde. Depuis, les recherches se sont élargies aux espèces d’abeilles sauvages, qui vivent généralement en solitaire ou en petites colonies, ainsi qu’à d’autres animaux. « Or, malgré le nombre impressionnant de publications sur la pollinisation animale des cultures, il reste encore beaucoup d’inconnues », constate Fabrice Requier, spécialiste des pollinisateurs à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Avec ses collègues, il a analysé, à partir de 154 articles scientifiques, la pollinisation de 83 cultures essentiellement alimentaires d’importance mondiale ou locale. Douze espèces de pollinisateurs ont été identifiées. Les chercheurs ont constaté que, si les abeilles sont les plus observées, les chauves-souris et de manière plus générale la pollinisation de nuit est importante et très peu étudiée.

On estime que la pollinisation animale rapporte 235 à 577 milliards de dollars chaque année à l’agriculture mondiale. Abeilles, bourdons, mouches, papillons, guêpes, scarabées, oiseaux, chauves-souris… sont attirés tant par le nectar, liquide sucré nourrissant, que par le pollen, lui aussi sucré mais en outre très protéiné. En se nourrissant, ces animaux transportent le pollen, assurant ainsi la reproduction des plantes à fleurs. Environ 70 à 80 % des cultures en dépendent, certaines exclusivement comme le cacao, essentiellement pollinisé par des micromouches. Pour beaucoup de grandes cultures, la pollinisation animale permet d’accroître les rendements, la quantité ou la qualité des graines ou des fruits produits. Elle vient en synergie de l’autopollinisation, dans une même fleur, par exemple des poacées (l’autre nom des graminées) comme le blé ou le maïs.

Pourtant, ce service fondamental pour l’agriculture a longtemps été ignoré. Ce sont les inquiétudes quant au déclin de l’abeille mellifère et des insectes en général, à partir de 2005, qui ont réveillé les consciences. « Il y a désormais un consensus pour affirmer que le rôle des abeilles sauvages comme celui des autres insectes est crucial, précise l’agroécologue. La dernière lacune que nous mettons en exergue est celle de la pollinisation de nuit, assurée par des chauves-souris, des papillons, des scarabées, fondamentale pour certaines cultures tropicales, en particulier celles qui sont exploitées localement, en circuit court, vendues sur les marchés ou en autosuffisance. »

La première raison est simple : les chercheurs sortent peu la nuit… et la plupart des méthodes communes de suivi n’enregistrent pas l’activité des pollinisateurs nocturnes. Or, comme les autres pollinisateurs, ceux-ci améliorent les rendements. « Autrement dit, l’idée par exemple d’une pulvérisation d’insecticide la nuit pour préserver les pollinisateurs de jour sacrifierait un service loin d’être négligeable », avance Fabrice Requier. Certaines cultures tropicales, d’importance majeure localement, ne sont visitées que la nuit, comme celles du pitaya jaune (ou fruit du dragon, Stenocereus queretaroensis) très courant au Pérou, du langsat (un fruit qui ressemble au litchi, Lansium domesticum) en Thaïlande ou du petaï (une sorte de haricot, Parkia speciosa) d’Indonésie. Pour d’autres plantes, comme la banane, largement exportée mais encore plus consommée localement, les chauves-souris jouent un rôle crucial en augmentant les rendements. Tout le monde ne dort pas la nuit… et certaines fleurs restent ouvertes. D’autres, enfin, ne s’ouvrent qu’au coucher du soleil.

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Isabelle Bellin

Isabelle Bellin est journaliste scientifique indépendante.

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Références

F. Requier et al., Bee and non-bee pollinator importance for local food security, Trends in Ecology & Evolution, 2022.

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