Décès maternels en RDC : « dans certains milieux, les filles accouchent très tôt et enchaînent les naissances », Anny Modi

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De nombreux partenaires locaux appuient le gouvernement dans la lutte contre la mortalité maternelle. Dans un entretien accordé au Desk Femme, Anny Modi de l’ONG Afia Mama fait le point sur les réalités en provinces, leurs contributions, ainsi que les recommandations au sujet du nouveau plan stratégique lié à la contraception  et la gratuité de la maternité. 

 Anny Modi,vous êtes directrice exécutive de l’Asbl Afia Mama. Parlez-nous de vos activités ? 

Anny Modi : Afia Mama signifie "bien-être de la femme" en swahili. Nos activités se fondent essentiellement sur la défense et la promotion des droits humains des femmes, des filles et des enfants. Nous proposons une assistance juridique et judiciaire aux victimes des violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG), nous faisons la vulgarisation des textes de loi, le renforcement des capacités des acteurs, sensibilisons autour de la santé sexuelle et reproductive. Nous sommes également dans le développement social, la résolution des conflits (…). Nous offrons également la préparation professionnelle aux étudiants et nouveaux diplômés.

Quel est votre objectif principal et dans combien de provinces êtes-vous installé ? 

Anny Modi : notre objectif est de redonner à la femme le pouvoir que les lois lui confèrent. Une femme en mesure de contribuer à son propre développement et celui de sa communauté (…) Nous avons des bureaux physiques dans 24 provinces et des équipes dans les 26 provinces. Je vois Afia Mama dans les 145 territoires de la RDC d’ici 10 ans, ainsi que dans plusieurs autres pays car notre approche de mobilisation communautaire pour le développement est appréciée.

A ce jour, quels sont selon vous, les défis auxquels sont confrontées les femmes et les filles congolaises en matière de santé ? 

Anny Modi : l'inaccessibilité aux soins de santé de qualité. De nombreuses formations sanitaires sont plutôt privées qu’étatiques. Par conséquent, le coût est élevé par rapport au pouvoir économique d’une grande majorité de la population. L’autre défi concerne les pesanteurs culturelles et religieuses des prestataires de santé. Certains ne se sentent pas capables d’offrir quelques services pourtant prescrits par la loi.  Problème de la mise en œuvre du protocole de Maputo. Les avortements non sécurisés nous font perdre des filles dans toutes les provinces. Cependant, là où les services sont disponibles, les femmes et les filles craignent la stigmatisation. Certains agents du système judiciaire, des OPJ, policiers ou magistrats ne sont pas encore mis à jour par rapport à l'application de ce protocole (se limitent à considérer les recommandations du code pénal). 

Selon les chiffres du gouvernement congolais et ses partenaires, au moins 4 femmes meurent chaque heure en RDC des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Partant de vos descentes sur terrain, surtout en milieu rural, quelles sont les principales difficultés que connaissent les femmes enceintes ?

  Anny Modi : la distance entre certaines zones et les hôpitaux de référence, l'état des infrastructures routières, (accouchements à 20 ou 30 kilomètres) elles prennent des motos, des vélos. D’autres sont transportées sur des planches. Le temps qui s’écoule pour atteindre la maternité met en danger sa santé. Pour que les médicaments atteignent notamment les villages du Bas-Uele, de Lomami, du Sankuru, il faut des bonnes routes. Lors de nos visites auprès des centres de santé, nous trouvons soit un sous-effectif du personnel qualifié, soit un déficit de médicaments. La médecine moderne a beaucoup évolué. Mais plus vous allez à l'intérieur des provinces, moins vous voyez d'appareils. Il y a des centres de santé où les seringues sont encore bouillis pour leur réutilisation. La communauté a aussi une part de responsabilité parce que certaines femmes prennent la décision de consulter très tard. 

Des spécialistes interrogés par Actualité.CD ont fait savoir que l’âge est un facteur important dans la lutte contre les décès maternels. En RDC, plusieurs jeunes filles tombent enceintes à l’âge pubertaire. Que faut-il  faire pour mettre fin à cette situation? 

Anny Modi : en milieu rural, les filles commencent à faire des enfants très tôt et elles enchaînent les naissances. Ce qui rend leurs corps très vulnérables et les expose à la mortalité. Nous avons des lois en RDC qui prennent en charge les questions des mariages précoces, des grossesses précoces et non désirées. Les femmes, les communautés doivent être sensibilisées sur le danger d’enchainer les naissances. Le protocole de Maputo intervient aussi car la plupart de ces filles ont moins de 18 ans, ce qui constitue le viol selon la loi congolaise. 

La RDC vient de mettre en place un nouveau Plan Stratégique National Multisectoriel de la planification familiale 2021-2025. Cela va permettre, selon le ministre de la santé, de réduire à 30 % la mortalité maternelle. Comment comptez-vous contribuer à la mise en œuvre de ce programme ? 

Anny Modi : nous allons mener des campagnes de sensibilisation pour que les femmes, les hommes, les filles et les garçons, soient informés et prennent des décisions qui concernent leur santé de la reproduction. Nous ferons également le référencement, pourvu qu’il n’y ait pas rupture d’intrants ou sous-effectifs au niveau du personnels (…) Il va falloir aussi couvrir l’écart entre le discours et la pratique. Qu’est-ce qui est réellement fait sur terrain ? On peut bien avoir le plan mais si l’on n’arrive pas à le réaliser à 100 %, il y a aura beaucoup de difficultés à atteindre les objectifs que le gouvernement se fixe. 

Le gouvernement a lancé un programme de maternité gratuite et des soins pour les nouveaux nés. Comment un tel projet peut réussir en RDC selon vous ?  

Anny Modi : sa réussite est liée notamment à la maîtrise des données réelles sur la moyenne des naissances par jour et le nombre d'infrastructures sanitaires, la consultation prénatale, l’accouchement et les soins y relatifs. La volonté de rendre la maternité gratuite est louable. Ne pas tenir compte de ces préalables mettrait en difficulté sa matérialisation.

En somme, quelles sont vos propositions en tant que partenaire du gouvernement pour réduire le taux des décès maternels en RDC ? 

Anny Modi : nous devons arriver à inculquer premièrement dans nos populations hommes et femmes, filles et garçons, les notions de DSSR. C’est la clé pour arriver à réduire ce fléau. 

Un dernier mot ?  

Anny Modi : soyons des acteurs.trices de changement pour créer la RDC que nous voulons. Je tiens à remercier tous ceux qui ont cru et adhéré à ma vision, les partenaires techniques et financiers qui appuient nos actions, tous les bénévoles qui sont passés par Afia mama en 10 ans et vous pour m’avoir accordé votre temps et attention.

Propos recueillis par Prisca Lokale