Roberto Saviano pour le livre "Crie-le !"

Roberto Saviano le 15 janvier 2022 à Rome ©AFP - Filippo MONTEFORTE
Roberto Saviano le 15 janvier 2022 à Rome ©AFP - Filippo MONTEFORTE
Roberto Saviano le 15 janvier 2022 à Rome ©AFP - Filippo MONTEFORTE
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Un homme qui refuse de se taire. Et qui en paie le prix puisqu’il est menacé de mort par la mafia depuis 2006, suite au succès de son livre “Gomorra, dans l’empire de la Camora”. Roberto Saviano est en direct dans Totémic avec cette exclamation : “Crie-le !” C’est le titre de son nouvel essai.

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C’est à toi que je parle, comme si tu étais un autre moi. Toi, qui es maintenant élève au lycée Diaz de Caserte, que j’ai également fréquenté. Toi qui cherches à présent les réponses que je cherchais alors."

C’est avec ces mots qu’il ouvre son nouvel essai : par une adresse au jeune homme qu’il a été, par une adresse à la jeunesse du monde entier.
Et il lui propose une carte, un parcours balisé par des figures d’hier et d’aujourd’hui : un écrivain comme Emile Zola, une comédienne comme Jean Seberg ou encore un lanceur d’alertes comme Edward Snowden. Des hommes et des femmes qui ont pris le risque de dire la réalité du monde. Il l’a fait lui-même en mettant la mafia et son système à jour à travers plusieurs livres.

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Il vit sous protection policière depuis ses 27 ans. Il a aujourd’hui 43.

Ce livre, une adresse aux jeunes

S’il devait s’adresser à lui adolescent, il lui dirait d’être prudent, de ne pas gaspiller ou brûler sa vie. Il craint ce que le jeune Roberto Saviano aurait dit de sa vie actuelle : "La vie d’un intellectuel adulte est une vie faite de médiations, et ce Roberto n’aurait permis à personne de freiner sa liberté. Il n’aurait permis à personne de poser de faux jugements et pourtant, c’est bien ce qui m’est arrivé. Mon corps n’est pas libre, je suis submergée par des accusations folles. Je me sens coupable par rapport à ce jeune homme, de rester dans cette situation. Je pourrais peut-être m'arrêter, envoyer tout promener et essayer de sauver ma vie au quotidien."

Il s’adresse dans son livre au jeune Roberto qu’il était, mais aussi à toute la jeunesse en général : "J’ai écrit ce livre, car je voulais donner une carte, un itinéraire, pour tous ceux qui ne supportent plus de vivre la vie que nous vivons, qui, de plus en plus, se sentent bêtes. Ceux qui se font avoir parce que ce ne sont pas des malins, ceux aussi que l'on considère comme des naïfs, ceux qui sont des gens qui ont tendance à tout voir comme si tout allait bien. À tous ces jeunes-là, j’ai eu envie de leur dire : tu peux crier. Tu peux être différent, et voilà la carte des gens qui ont résisté. Ça marque un itinéraire pour toi, que j'ai suivi moi-même, mais je sais bien évidemment que tu iras probablement dans d'autres directions, directions vers lesquelles moi-même, je n'ai pas pu me diriger."

Des personnalités qu'on a voulu délégitimer

Les figures qu'il convoque d'aujourd'hui et d'hier permettent de comprendre le monde contemporain. Ces figures, elles peuvent donc servir de boussole, comme il l'écrit. On croise des écrivains comme Zola, qu'il vient de citer, des journalistes comme Anna Politkovskaïa, un photographe comme Robert Capa, un cinéaste comme Pierre Paolo Pasolini. Toutes et tous ont dit la réalité de ce monde. Mais ils ont aussi un autre point commun, c'est la douleur de ne pas être cru.

Selon Roberto Saviano, "c'est la plus grande accusation que l'on peut porter contre le travail de quelqu'un, que la personne ne dit pas ce qui est vrai ou alors qu'elle dit telle ou telle chose avec une idée derrière la tête, ou que tout ce qui est dit, c'est quelque chose que l'on a été pioché ailleurs, qu'on a pillé la pensée de quelqu'un. C'est une pression exercée contre les gens qui font des choix. Et cette pression, elle est immense. Prenez l’exemple de Jean Seberg. Elle a fait peur, en fait, à tout cet univers conservateur américain à l'époque, parce qu'elle était aimée, elle, par le monde, je dirais blanc. Et pourtant elle défendait les Black Panthers. Et donc, c'est à ce moment-là qu'on a commencé à dire des choses sur sa vie et qu'on l'a détruite. Cependant, raconter des choses, ce n'est pas du divertissement. Le gossip, le fait de parler mal des gens, c'est un mal, vraiment."

Dans le livre, il parle justement de la délégitimation de la parole. On peut décrédibiliser quelqu'un, aujourd'hui plus qu'hier, avec les réseaux sociaux par exemple, il y a la calomnie.

La viralité des mensonges

Quand de fausses informations sur soi circulent, pour Roberto Saviano, on ne peut pas résister, on est bouleversé, c’est tout : "On est tourneboulé complètement, alors on peut être aidé par des gens qui nous connaissent, qui nous lisent, qui vont exercer une sorte de protection. Mais avec Internet, les mensonges qui courent sur les gens sont d'une viralité incroyable et qu'on ne peut absolument pas contenir."

Il décrit plus précisément ce phénomène dans le domaine politique : "Lorsque quelqu'un décide de mentir au sujet de quelqu'un d'autre, on peut inventer absolument n'importe quoi. Petit à petit, on va pouvoir démonter les arguments. Mais c'est comme placer une sorte de contrat sur la tête de quelqu'un. En Italie, on a, je dirais, la première démocratie en Europe qui fait ce genre de choses sur les intellectuels. Je pense qu'en France, ce n'est pas encore le cas, en ce sens qu'il n'y a pas encore vraiment une politique qui va cibler très précisément les intellectuels, alors qu'en Italie, c'est quelque chose qui est en train de se faire. Je suis vraiment désolé de constater que la France ne se soucie pas suffisamment de ce risque-là. J'ai envie de dire que le présent de l'Italie d'aujourd'hui pourrait bien être l'avenir de la France de demain."

  • Crie-le, 30 portraits pour un monde engagé, c'est le titre de son essai paru chez Gallimard.

Le tube de l'invité

BRASSENS – FABRIZIO DE ANDRE : Le Gorille

Programmation musicale

BRUCE SPRINGSTEEN – Turn Back the hands of time

Programmation musicale

  • BRUCE SPRINGSTEEN

    Turn back the hands of time

    Album Only the strong survive (2022)

    Label COLUMBIA

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