Livre-enquête sur PPDA : des femmes réclament le respect de l'anonymat, les prochains tirages seront amendés

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Livre-enquête sur PPDA : des femmes réclament le respect de l'anonymat, les prochains tirages seront amendés

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Le livre "PPDA Le Prince Noir" (Editions Fayard) du journaliste Romain Verley est paru le 8 février 2023.
Le livre "PPDA Le Prince Noir" (Editions Fayard) du journaliste Romain Verley est paru le 8 février 2023.
© Radio France - Victor Vasseur

Plusieurs femmes qui accusent Patrick Poivre d'Arvor de viol et d'agression sexuelle se sont indignées de la publication mercredi du livre "Le prince noir" qui, selon elles, a "violé" leur "consentement", en publiant des récits de violence sans leur autorisation. L'auteur, Romain Verley, répond.

"Il est passé outre notre consentement." C'est ainsi qu'Hélène Devynck, journaliste ayant porté plainte contre PPDA pour viol, résume la démarche du journaliste Romain Verley, qui publie cette semaine chez Fayard une nouvelle enquête sur l'ancien présentateur du JT de TF1. "PPDA, Le prince noir" revient sur "la toute-puissance et l'impunité d'un homme" contre qui plusieurs dizaines de femmes ont témoigné et 23 ont porté plainte, dont douze pour viol. Patrick Poivre d'Arvor, visé par deux enquêtes judiciaires à Nanterre, nie ces accusations. Il a également porté plainte contre 16 femmes pour "dénonciations calomnieuses".

Si le projet de livre n'est pas "contesté", explique  Hélène Devynck, ce sont les méthodes employées par le journaliste qui questionnent. Une femme qui n'avait jusque-là jamais accepté que le récit détaillé de son viol soit fait publiquement a vu le contenu de son audition dans le cadre de l'enquête judiciaire retranscrit dans l'ouvrage, sans qu'elle n'ait donné son accord. Contacté, l'auteur, Romain Verley, rappelle que la justice "a estimé que le livre participait au débat d'intérêt public" et a autorisé sa publication mardi 7 février. Avec son éditrice, il a toutefois décidé d'anonymiser le témoignage en question en cas de réimpression du livre. C'est d'ores et déjà le cas de 5.000 nouveaux exemplaires.

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Des témoignages recueillis dans d'autres médias

Le livre, de 400 pages, revient sur un an et demi d'enquête autour de Patrick Poivre d'Arvor, et le "système PPDA" installé autour de lui, qui lui aurait permis d'agir pendant plus de trente ans. Le journaliste a rencontré "plus de cent personnes" et livre des "témoignages exclusifs", notamment de journalistes, juges, collaborateurs et personnalités qui ont côtoyé le présentateur TV. Toutefois, seules quatre femmes victimes ont accepté de se confier à lui, et une seule parmi les vingt femmes qui ont témoigné publiquement auprès de Mediapart en mai dernier.

Romain Verley "a utilisé des témoignages qu'on a fait ailleurs, ou devant la justice, ou devant la presse, sans nous demander notre avis", estime Hélène Devynck, par ailleurs autrice d'"Impunité" (Ed. Seuil), où elle revient elle aussi sur le "système criminel" autour de PPDA et le choix qu'elle a fait, avec d'autres femmes, de témoigner publiquement.

"Il y a des témoignages qui sont présentés comme si le journaliste avait rencontré les personnes en question, alors qu'il ne les a pas rencontrées", ajoute Cécile Delarue, qui a elle aussi témoigné contre PPDA dans Libération et Mediapart. Dans un mail commun adressé au journaliste et aux Éditions Fayard dimanche dernier, dix femmes s'insurgent : "Pourquoi anoblir un prédateur ? Vous n'exploitez pas seulement nos malheurs. Vous exploitez aussi notre travail pour dissimuler votre échec. Ainsi, par exemple, la page 241 est une recopie du livre d'Hélène Devynck, 'Impunité'. Vous attribuez le texte aux colleuses en sachant très bien qui en est l'auteur".

Le journaliste, qui n'a pas répondu à ce courrier, s'explique auprès de France Inter : "Dans le texte du collage, il n'est pas dit que ce texte est sorti d''Impunité'. Et il n'y a aucune volonté de ma part de plagier Hélène Devynck et son livre, que j'ai lu et que j'ai trouvé brillant, édifiant et très fort." Il poursuit : "J'ai effectivement repris, en citant nommément, les articles de presse dans lesquels elles avaient parlé. J'entends la souffrance de ces femmes. Ce livre est à leurs côtés et pour dénoncer le système PPDA. Il ne faut pas se tromper de propos", se défend-il.

La plupart de ces femmes avaient déjà refusé de témoigner dans son documentaire "Complément d'enquête : PPDA, la chute d'un intouchable" diffusé en avril 2022. "À cause précisément de son arrogance, et de la façon dont il a travaillé. Contacter nos familles dans notre dos sans nous le dire...On n'a pas eu confiance", confie Hélène Devynck. "Je ne sais pas ce que ces femmes ont contre moi, j'ai toujours été très élégant avec elles. Je n'ai jamais forcé de témoignages, je suis quelqu'un de correct", répond Romain Verley.

Un récit de viol récupéré dans une audition

Le livre rapporte également des procès-verbaux d'auditions réalisés par la brigade de répression de la délinquance à la personne dans le cadre d'une enquête judiciaire. L'une des femmes citées, qui a témoigné auprès de Mediapart, n'avait jamais raconté publiquement les détails de son viol. "Il y a plusieurs victimes qui ne voulaient pas qu'on sache les détails sordides et ignobles qui leur étaient arrivés. Ce livre montre à quel point on avait raison de ne pas lui faire confiance", note encore Cécile Delarue.

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Comme l'a révélé le Parisien, la plaignante, dont nous conservons l'anonymat, a saisi la justice mardi 7 février, la veille de la publication du livre pour "atteinte à l'intimité de sa vie privée" et demandant "la suppression des extraits qui la concerne, sous astreinte de 500 euros par jour de retard". La justice a finalement tranché ce recours en référé et autorisé la publication du livre tel quel, imprimé à 20.000 exemplaires. Les juges ont estimé que "les informations en cause participent à l'information du public et sont dès lors susceptibles d'autoriser, compte tenu de l'intérêt général s'attachant au sujet traité, le journaliste à en faire état, nonobstant l'absence d'autorisation en ce sens de la demanderesse."

"Le vrai sujet, c'est un sujet de déontologie journalistique", selon les avocats de la plaignante. "Tous les journalistes jusque-là qui ont écrit sur ce dossier ont respecté le choix des victimes de révéler ou pas le détail de ce qu'elles ont subi ." "Notre cliente envisage de porter cette action au fond", ajoutent-ils, c'est-à-dire de poursuivre le journaliste et la maison d'édition Fayard pour atteinte à l'intimité de sa vie privée.

À réécouter : PPDA, la chape de plomb
La chronique médiatique
3 min

L'anonymat rétabli dans les nouveaux ouvrages imprimés

Interrogé par le Canard Enchaîné, le journaliste Romain Verley confesse : "Je ne lui ai pas dit que je publierai son nom. J'aurais peut-être dû en effet". À France Inter, il précise : "Elle ne m'a jamais fermement et formellement dit qu'elle ne voulait pas qu'on utilise son interview." Toutefois, il revient sur son texte et va rendre l'anonymat à cette femme dans les exemplaires réimprimés : "J'entends la souffrance de cette plaignante. Avec mon éditrice, on a décidé que pour les prochaines réimpressions, son témoignage sera anonyme. Déontologiquement, on décide de le faire."

"Le livre est d'ores et déjà réimprimé" à 5.000 exemplaires, précise Isabelle Saporta, PDG des éditions Fayard. "Je pense que c'est tout à notre honneur de dire qu'on a entendu sa souffrance et qu'on retire [son nom]", déclare-t-elle. Elle ajoute : "Je suis très fière, de publier cette enquête, qui est un travail colossal. Si ce livre avait été pilonné, la victoire aurait été celle de PPDA."

La plaignante, elle, aurait souhaité, ne jamais voir son nom dans ce livre. "Fayard et son auteur seraient sortis grandis de cette affaire en décalant de quelques jours la sortie du livre, comme nous leur avions demandé dans un premier temps", confie-t-elle à Médiapart jeudi matin. Lors de la diffusion du documentaire en mai, elle avait déclaré que "prendre la parole publiquement" ne la "libérait pas", qu'elle le faisait "pour les autres femmes".

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