Lire Lacan aujourd'hui

Guillaume Erner reçoit Jacques-Alain Miller, psychanalyste, éditeur de Premiers écrits de Jacques Lacan, et co-auteur du  Le séminaire. Livre XIV, la logique du fantasme (Seuil, 2023), et Sophie Mendelsohn, psychanalyste, co-autrice, avec Livio Boni, de La vie psychique du racisme, l’empire du démenti (La Découverte, 2021).

Publication des “Premiers écrits” et du “séminaire XIV” : des inédits précieux ?

Jacques-Alain Miller explique que le caractère précieux de ces textes réside dans le fait que ce sont des écrits qui “peuvent être lus comme des livres d’aujourd’hui. Il n’y a pas beaucoup de livres, je crois même que c’est une exception, qui ont été conçus il y a cinquante ans et qui sont lus comme d’aujourd’hui. C’est un phénomène singulier, mais qu’on constate avec Lacan”.

Pour Sophie Mendelsohn, la publication de La Logique du fantasme au Seuil “inaugure une nouvelle saison d’édition, après dix ans. C’est réjouissant car c’est comme une partie interrompue qui reprend. L’histoire de la publication au Seuil a son intérêt, puisqu’il s’agit d’une publication discontinue dans le temps, qui n’a pas suivi l’ordre des séminaires”. La psychanalyste ajoute : “on a beaucoup regretté cet apparent manque d’ordre. Mais on peut se demander si cela n’a pas eu l’intérêt d’empêcher que l’œuvre de Lacan ne s’auto-totalise, ne se referme sur elle-même en un savoir figé, et donc ne se transforme en patrimoine”.

La logique du fantasme : un paradoxe

Jacques-Alain Miller confirme cet aspect : “la logique du fantasme est un paradoxe, même un couac. Car le fantasme, pour tout le monde, et même indépendamment de sa définition psychanalytique, renvoie à l’imagination donc à l’imaginaire. Tandis que la logique est une manipulation de symboles qui appartient, selon Jacques Lacan, au registre symbolique”. Ce sont “deux champs tout à fait différents, la logique ne devrait jamais rencontrer le fantasme donc quand Jacques Lacan les met ensemble, c’est déjà un phénomène de surprise” souligne l'éditeur.

Le psychanalyste continue : “par ailleurs, la logique du fantasme est un peu l’arlésienne du séminaire, car Lacan en parle, mais elle n’apparaît jamais. Il n’y a pas de chapitre qui y est explicitement consacré. Lacan laisse à ses lecteurs et ses auditeurs la tâche de la recomposer”.

Faire usage de Lacan aujourd’hui

Sophie Mendelsohn souligne qu’en ce qui concerne les usages de Lacan aujourd’hui, “la théorie lacanienne est porteuse d’une formidable vitalité, notamment par son nouage avec les sciences sociales aussi bien en France, qu’à l’étranger où Lacan est particulièrement mobilisé ces temps-ci".

Pour la psychanalyste, “Lacan permet ainsi de penser quelque chose qui ouvre des perspectives tout à fait nouvelles, qui se décale de l’interprétation classiquement freudienne”. Elle prend pour point de départ son texte intitulé L’étourdi où Lacan “ouvre une perspective du rapport à la clinique aux dires des patients, en soulignant ce point que ce que l’analyste a à faire est de se régler plus sur l’acte de dire que sur la signification des paroles d’un patient”.