Il faut s’arrêter avant le point de non-retour, plaide Jürgen Habermas. Le penseur et théoricien de l’École de Francfort publie dans la Süddeutsche Zeitung, ce mercredi 15 février, un “plaidoyer pour des négociations”, dans lequel il développe sa position sur la guerre en Ukraine. Le texte est également traduit en anglais sur le site du quotidien de Munich, montrant sa volonté de s’adresser à tous les Occidentaux.

“Pour moi, l’important, c’est le caractère préventif de la négociation, explique-t-il. Il s’agit de négocier au bon moment, afin d’empêcher que la guerre ne se prolonge et ne coûte encore plus de vies humaines et de destructions.” Un tel scénario mettrait les Occidentaux dans une situation bien inconfortable : ils devraient “soit intervenir activement dans la guerre, soit abandonner l’Ukraine à son sort pour ne pas refaire la Première Guerre mondiale entre puissances dotées de l’arme nucléaire”.

Or les alliés de l’Ukraine semblent perdre de jour en jour leur objectif de départ, à savoir des négociations d’égal à égal entre Kiev et Moscou. L’annonce de livraisons de chars Leopard aux Ukrainiens a rapidement laissé la place aux débats sur l’envoi d’avions de combat, regrette le nonagénaire. Il note aussi que les appels à vaincre la Russie se font de plus en plus audibles, y compris en Allemagne.

La montée en puissance de nos livraisons d’armes dans la perspective d’une victoire à tout prix a développé une dynamique propre qui risque de nous faire franchir plus ou moins discrètement le seuil de la troisième guerre mondiale.

“L’Ukraine ne doit pas perdre la guerre”

Pour lui, le choix des Occidentaux de laisser l’Ukraine dicter le tempo des négociations est problématique, tout comme les déclarations affirmant que l’Europe et les États-Unis soutiendront Kiev “tant que ce sera nécessaire”. “L’Occident a ses intérêts légitimes et ses obligations propres, analyse-t-il. Les gouvernements occidentaux sont juridiquement obligés de satisfaire les besoins de sécurité de leurs citoyens et portent également une responsabilité morale pour les morts et les destructions qui ont été causées par des armes occidentales – indépendamment de l’attitude de la population ukrainienne.”

Plus la guerre durera, plus il sera difficile d’organiser des négociations, conclut le philosophe. La souffrance et les morts engendrées par les combats risquent de durcir davantage les positions des deux camps, et il sera à l’avenir encore plus difficile de trouver “un compromis acceptable”. Jürgen Habermas déplore que les pays occidentaux n’aient pas été plus clairs sur les raisons qui les poussaient initialement à soutenir Kiev. Il reprend à son compte la phrase du chancelier allemand, Olaf Scholz, selon laquelle “l’Ukraine ne doit pas perdre la guerre”. Elle ne doit, en revanche, pas nécessairement la gagner.